La commune est condamnée à indemniser le bénéficiaire d'un permis de construire illégal et annulé pour le préjudice qu'il subit (avec toutefois un partage de responsabilité).
"1. Par un arrêté du 27 juin 2013, le maire de la commune d’Erquy a délivré à M. B un permis de construire une maison d’habitation sur un terrain situé 2 rue des Sternes, cadastré section AL nos 1 et 134. Par un nouvel arrêté du 17 septembre 2015, le maire de la commune d’Erquy a délivré à M. B un permis de construire une extension de la maison d’habitation, ainsi que l’édification, sur ce même terrain, d’un abri pour entreposer des kayaks et d’une plateforme pour faciliter l’accès à la maison. Ces deux arrêtés ont été annulés par des jugements du tribunal du 4 novembre 2016 en raison de la méconnaissance des dispositions de la loi littoral dans la bande de cent mètres et de l’illégalité du classement en zone urbaine UAf du terrain d’assiette du projet. Ces jugements ont été confirmés par des arrêts de la cour administrative d’appel de Nantes du 30 mai 2018 et les pourvois formés devant le conseil d’Etat ont été rejetés le 31 décembre 2018. M. B a demandé, par courrier du 8 juillet 2020, à la commune d’Erquy de l’indemniser des préjudices qu’il estime avoir subis à la suite de l’annulation de ces arrêtés mais par une décision du 4 août 2020 cette réclamation a été rejetée. M. B demande au tribunal de condamner la commune d’Erquy à lui verser la somme de 31 123,09 euros assortie des intérêts au taux légal et de leur capitalisation.
Sur les conclusions à fin d’indemnisation :
En ce qui concerne la responsabilité de la commune d’Erquy :
2. Aux termes du III de l’article L. 146-4 du code de l’urbanisme dans sa rédaction alors applicable : « En dehors des espaces urbanisés, les constructions ou installations sont interdites sur une bande littorale de cent mètres à compter de la limite haute du rivage () ». Un espace urbanisé au sens de ces dispositions s’entend d’un espace caractérisé par un nombre et une densité significatifs des constructions.
3. En premier lieu, ainsi que l’ont jugé le tribunal puis la cour administrative d’appel de Nantes, les permis de construire du 27 juin 2013 et du 17 septembre 2015 ont autorisé des constructions nouvelles sur le terrain d’assiette cadastré section AL nos 1 et 134, qui borde la plage de Caroual à moins de cent mètres du littoral, en dehors du bourg d’Erquy, dans un secteur à dominante naturelle ne faisant pas partie d’un espace urbanisé et ont ainsi été délivrés en méconnaissance des dispositions du III de l’article L. 146-4 du code de l’urbanisme, désormais codifiées à l’article L. 121-16 du code de l’urbanisme.
4. En deuxième lieu, il a également été jugé que le plan local d’urbanisme de la commune d’Erquy était entaché d’une erreur manifeste d’appréciation en tant qu’il classait le terrain d’assiette du projet, cadastré section AL nos 1 et 134, en zone urbaine UAf pouvant accueillir des constructions nouvelles au sein de la bande des cent mètres dans un espace qui n’était pas urbanisé au sens du III de l’article L. 146-4 du code de l’urbanisme.
5. Les illégalités entachant les permis de construire délivrés le 27 juin 2013 et le 17 septembre 2015 ainsi que le classement en zone constructible des parcelles cadastrées section AL nos 1 et 134 en zone constructible alors que le terrain litigieux se trouvait situé dans la bande littorale des cent mètres en dehors d’un espace urbanisé caractérisé par un nombre et une densité significatifs de constructions, sont constitutives de fautes de nature à engager la responsabilité de la commune d’Erquy. La circonstance, à la supposée établie, que l’architecte sollicité par M. B aurait manqué à son devoir de conseil n’est pas de nature à écarter la responsabilité de la commune en raison des illégalités qu’elle a commises dans la mise en œuvre du droit de l’urbanisme.
6. La commune soutient également que M. B serait à l’origine du préjudice dont il demande réparation, dès lors qu’il ne pouvait ignorer que son terrain était en réalité inconstructible en particulier en raison de son appartenance à l’association pour la protection des sites d’Erquy et ses environs « Erquy Environnement », dont il était trésorier et administrateur, qui lui a fait connaître dès l’origine son opposition à ce projet et les motifs s’y opposant et qu’il a refusé tout compromis lors des réunions de médiation qui ont été organisées par la commune, a maintenu ses deux permis de construire et poursuivi une action contentieuse alors que le jugement du tribunal administratif confirmait l’illégalité de ses projets de construction. Il résulte de l’instruction que, si lors de l’achat de sa propriété, le terrain appartenant à M. B, qui supportait déjà une construction, était bien classé en zone ND, il est constant, d’une part, que le plan local d’urbanisme approuvé le 16 septembre 2008 a classé en zone urbaine constructible UAf4 le terrain du requérant et, d’autre part, que la commune d’Erquy lui a délivré le 23 juin 2012, un certificat d’urbanisme opérationnel positif pour la construction « d’un bâtiment à usage d’habitation » sans mentionner les dispositions particulières applicables au littoral et finalement autorisé la construction de cette habitation par le permis de construire délivré le 27 juin 2013. M. B indique également que pour tenir compte des remarques de l’association de protection des sites d’Erquy et ses environs, il a présenté une nouvelle demande de permis de construire qui a recueilli l’accord des services de l’État et conduit à la délivrance d’un second permis de construire le 17 septembre 2015. Cependant, par son engagement actif au sein de l’association « Erquy Environnement » qui a pour but la protection de l’environnement et en particulier du littoral sur le territoire de la commune d’Erquy et l’a clairement alerté sur les risques d’illégalité, malgré le classement du terrain et les permis de construire délivrés, M. B ne pouvait ignorer que son projet de construction était de nature à méconnaître les dispositions particulières de la loi littoral qu’il connaissait. Dans les circonstances particulières de l’espèce, il sera fait une exacte appréciation de la faute commise par M. B en estimant qu’elle est propre à exonérer la commune d’Erquy à concurrence d’un cinquième de la responsabilité qu’elle encourt à l’égard du requérant.
En ce qui concerne les préjudices indemnisables :
7. La responsabilité d’une personne publique n’est susceptible d’être engagée que s’il existe un lien de causalité suffisamment direct et certain entre les fautes commises par cette personne et le préjudice subi par la victime. Il résulte à cet égard de l’instruction, et notamment de ce qui a été indiqué au point 6 du présent jugement, que la décision d’engager les travaux de construction résulte du classement illégal des parcelles cadastrées section AL nos 1 et 134, de la délivrance du certificat d’urbanisme le 23 juin 2012 et de celle des permis de construire le 27 juin 2013 et le 17 septembre 2015.
S’agissant des frais liés à la mise en œuvre des permis de construire illégaux :
8. Le requérant justifie du paiement le 3 octobre 2014 des honoraires d’un architecte pour un montant de 6 000 euros, du paiement de frais d’étude au titre de la réglementation thermique le 16 octobre 2013 et le 3 octobre 2014 pour un montant de 1 437,20 euros, du paiement de frais liés à la réalisation de deux constats d’huissier réalisés les 4 octobre et 4 décembre 2013 concernant le permis de construire délivré le 27 juin 2013 et de deux autres constats d’huissier réalisés les 29 septembre et 3 décembre 2015 pour un montant de 1 619,52 euros. Ce chef de préjudice s’établit à la somme de 9 056,72 euros. Compte tenu du partage de responsabilité retenu au point 6 du présent jugement, l’indemnité à verser à M. B à ce titre s’établit à la somme de 7 245,38 euros.
S’agissant des frais de conseil liés aux précédentes instances :
9. Les frais de justice exposés devant le juge administratif en conséquence directe d’une faute de l’administration sont susceptibles d’être pris en compte dans le préjudice résultant de la faute imputable à celle-ci dans les conditions suivantes. Lorsqu’une partie avait la qualité de demanderesse à une instance à l’issue de laquelle le juge annule pour excès de pouvoir une décision administrative illégale, la part de son préjudice correspondant à des frais exposés et non compris dans les dépens est réputée intégralement réparée par la décision que prend le juge dans l’instance en cause sur le fondement de l’article L. 761-1 du code de justice administrative. Lorsqu’en revanche une partie autre que l’administration ayant pris la décision illégale avait la qualité de défenderesse à une telle instance ou relève appel du jugement rendu à l’issue de l’instance ayant annulé cette décision, les frais de justice utilement exposés par elle, ainsi que, le cas échéant, les frais mis à sa charge par le juge au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative, sont susceptibles d’être pris en compte dans le préjudice résultant de la faute imputable à l’administration.
10. M. B sollicite l’allocation d’une somme de 22 066,37 euros au titre des frais qu’il a exposés, en qualité de partie, pour défendre la légalité des permis de construire qui lui ont été délivrés par la commune d’Erquy. Ces sommes n’ont pas donné lieu à paiement au titre des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative, dès lors que M. B avait la qualité de partie perdante dans les instances engagées. Par suite, ces frais de conseil doivent être regardés comme présentant un lien direct avec la faute commise par la commune. Compte tenu du partage de responsabilité retenu au point 6 du présent jugement, il y a lieu de mettre à la charge de la commune d’Erquy le paiement d’une somme de 17 653,10 euros.
11. M. B ne pouvant ignorer, ainsi qu’il a été dit au point 6 du présent jugement, que ses projets étaient de nature à méconnaître les dispositions de la loi littoral qu’il entendait par ailleurs défendre, en raison de son engagement au sein de l’association Erquy Environnement, il n’y a pas lieu, dans les circonstances de l’espèce, de faire droit à la demande présentée au titre de son préjudice moral.
12. Il résulte de tout ce qui précède que la commune d’Erquy doit être condamnée à verser à M. B la somme totale de 24 898,48 euros.
Sur les intérêts et la capitalisation :
13. Cette somme de 24 898,48 euros sera majorée des intérêts au taux légal à compter du 8 juillet 2020, date de réception de la demande préalable par la commune d’Erquy. Les intérêts échus au 8 juillet 2021 seront capitalisés ainsi qu’à chaque échéance annuelle à compter de cette même date pour produire eux-mêmes intérêts.
Sur les frais liés au litige :
14. Les dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à que soit mise à la charge de M. B, qui n’est pas partie perdante dans la présente instance, la somme demandée par la commune d’Erquy sur le fondement de ces dispositions.
15. En revanche, il y a lieu de mettre à la charge de la commune d’Erquy le versement d’une somme de 1 500 euros à M. B au même titre.
D É C I D E :
Article 1er : La commune d’Erquy est condamnée à verser à M. B la somme de 24 898,48 euros.
Article 2 : Cette somme portera intérêt au taux légal à compter du 8 juillet 2020. Les intérêts échus au 8 juillet 2021 seront capitalisés ainsi qu’à chaque échéance annuelle à compter de cette même date pour produire eux-mêmes intérêts.
Article 3 : La commune d’Erquy versera une somme de 1 500 euros à M. B en application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.
Article 5 : Le présent jugement sera notifié à M. C B et à la commune d’Erquy.
Délibéré après l’audience du 2 juin 2023 à laquelle siégeaient :
M. Radureau, président,
Mme Plumerault, première conseillère,
M. Bozzi, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 16 juin 2023.
Le président-rapporteur,
signé
C. Radureau
L’assesseure la plus ancienne,
signé
F. Plumerault
Le greffier,
signé
N. Josserand
La République mande et ordonne au préfet des Côtes-d’Armor en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l’exécution de la présente décision."