Les abeilles peuvent constituer un trouble anormal du voisinage.
"Se plaignant de ce que leurs voisins directs élèvent sur leur propriété des abeilles en nombre trop important (166 ruches pouvant contenir chacune entre 50.000 et 70.000 abeilles) provoquant des nuisances, par acte d'huissier en date du 20 septembre 2017, M. Patrice V. et son épouse, Mme Virginie D. et M. Gérard D. (consorts V./D.) ont assigné M. Patrice B. devant le tribunal de grande instance de Senlis.
Dans leur dernières conclusions, les consorts V./D. ont demandé au tribunal, sous le bénéfice de l'exécution provisoire, d'ordonner à ce dernier de réduire à dix le nombre de ruches implantées sur sa propriété, dans un délai d'un mois à compter de la signification du jugement à venir et sous astreinte d'une somme de 100 euros par jour de retard pendant quatre mois, de le condamner à payer à M. et Mme V. les sommes de 10.000 euros à titre de dommages-intérêts au titre de leur préjudice de jouissance et 5.000 euros au titre de leur préjudice moral et de le condamner à payer à M. D. les sommes de 10.000 euros à titre de dommages-intérêts au titre de son préjudice de jouissance et 5.000 euros au titre de son préjudice moral, outre une indemnité procédurale de 3.000 euros.
M. B. a conclu au débouté des prétentions des consorts V./D. et sollicité une indemnité de procédure de 3.500 euros.
C'est dans ces conditions que, par jugement rendu le 29 janvier 2019, le tribunal de grande instance de Senlis a :
- ordonné à M. B. de réduire à quarante le nombre de ruches implantées sur sa propriété située à Avilly Saint Léonard dans un délai de trois mois à compter de la signification du jugement à venir et sous astreinte d'une somme de 100 euros par jour de retard pendant quatre mois
- condamné M. B. à verser à M. V. la somme de 1.000 euros au titre de son préjudice de jouissance et la somme de 500 euros au titre de son préjudice moral
- condamné M. B. à verser à Mme V. la somme de 1.000 euros au titre de son préjudice de jouissance et la somme de 500 euros au titre de son préjudice moral
- condamné M. B. à verser à M. D. la somme de 1.000 euros au titre de son préjudice de jouissance et la somme de 500 euros au titre de son préjudice moral
- condamné M. B. aux entiers dépens de l'instance, dont distraction au profit de Me Pierre Le T.
- condamné M. B. à payer la somme globale de 1.500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile à Mme V. et MM. V. et D.
- ordonné l'exécution provisoire de ce jugement
- débouté les parties de leurs demandes plus amples ou contraires.
Par déclaration au greffe en date du 8 mars 2019, M. B. a interjeté appel de cette décision.
Dans ses dernières conclusions transmises par voie électronique le 22 octobre 2019, M. B. demande à la cour de :
- déclarer recevable et fondé l'appel interjeté par M. B.
- y faisant droit, infirmer en toutes ses dispositions le jugement entrepris
Statuant à nouveau
- débouter les consorts V./D. toutes leurs demandes, fins et prétentions, et notamment de leur appel incident.
- ordonner le remboursement des sommes qui auront pu être versées en vertu de l'exécution provisoire de la décision entreprise, en principal, intérêts, frais et accessoires, avec intérêts au taux légal à compter de leur versement, et ce au besoin à titre de dommages-intérêts
- condamner solidairement les consorts V./D. à verser à M. B. la somme de 5000 euros par application de l'article 700 du Code de procédure civile
- condamner solidairement les consorts V./D. en tous les dépens de première instance et d'appel, dont distraction est requise au profit de Me Hélène C., Avocat aux offres de droit.
Dans leurs dernières conclusions transmises par voie électronique le 26 mai 2020, les consorts V./D. demandent à la cour, au visa des articles 544 et suivants du code civil et de l'arrêté portant réglementation des ruches du Préfet de l'Oise en date du 21 février 2017, de :
- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a retenu l'existence d'un trouble excessif de voisinage consécutif à l'installation de ruches en grand nombre, et en ce qu'il a alloué des dommages intérêts à M. et Mme V. et à M. D., ainsi que sur l'indemnité article 700 du code de procédure civile
- l'infirmer pour le surplus
- dire et juger que M. B. devra réduire à dix le nombre de ruches implantées sur sa propriété dans un délai de 2 mois à compter de la signification de l'arrêt à intervenir et sous astreinte de 100€ par jour pendant 4 mois
- condamner M. B. à payer à Mme V., d'une part, à M. V., d'autre part, et à M. D. de troisième part, la somme de 5.000 euros chacun à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice de jouissance
- s'entendre M. B. condamner en caused'appelà payer une somme de 3.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.
Conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, il est fait expressément référence aux conclusions des parties, visées ci-dessus, pour l'exposé de leurs prétentions et moyens.
L'ordonnance de clôture est intervenue le 27 avril 2020 et l'affaire a reçu fixation pour être plaidée à l'audience rapporteur du 18 juin 2020. Le prononcé de l'arrêt, par mise à disposition du greffe, a été fixé au 22 octobre 2020.
SUR CE, LA COUR
A titre liminaire
Il convient de rappeler qu'en application de l'article 954 du code de procédure civile, la cour ne doit statuer que sur les prétentions énoncées au dispositif. Ne constituent pas des prétentions au sens de l'article 4 du code de procédure civile les demandes des parties tendant à voir 'constater' ou 'donner acte' ou encore 'considérer que' voire 'dire et juger que' et la cour n'a dès lors pas à y répondre.
Sur l'ordonnance de clôture
Par conclusions transmises par voie électronique le 13 mai 2020, M. B. demande à la cour, « in limine litis » de révoquer l'ordonnance de clôture prononcée le 27 avril 2020 et par conséquent admettre ses conclusions et la communication de la piècen°10, arguant de ce qu'il verse aux débats un constat établi le 1er avril 2020 aux termes duquel, l'huissier a examiné, y compris en les faisant ouvrir, l'ensemble des ruches présentes sur son terrain et a dénombré 30 ruches peuplées, les autres étant simplement stockées. Il fait valoir que le constat a été réalisé pendant la période de confinement et n'a pas pu être communiqué avant la date de la mise en état pour clôture, que son conseil, confiné et ayant la garde d'un enfant en bas âge n'a réceptionné le constat que le 21 avril 2020 et il lui a été impossible de conclure et de recueillir les observations de son client avant le 27 avril 2020. Il ajoute que le litige a trait à l'existence d'un prétendu trouble de voisinage causé par des ruches et que le constat du 1er avril 2020 apporte des éléments récents, factuels et objectifs et surtout, a vocation à éclairer la cour suite à la communication d'un constat d'huissier à l'initiative des consorts V./D. le 24 mars 2020.
Par conclusions transmises par voie électronique le 26 mai 2020, les consorts V./D. s'opposent à cette demande. Ils exposent qu'en mars 2020, M. B. n'avait toujours pas réduit le nombre de ruches présentes sur son terrain en dépit des graves nuisances générées par ces ruches, ce qui confirme sa mauvaise foi et son comportement inacceptable. Ils font valoir que la clôture de la procédure a été prononcée le 29 avril 2020, qu'aucune demande de report n'a été formulée de part et d'autre et que pour autant, M. B. a attendu le 13 mai pour produire le constat d'huissier et sollicité le rabat de l'ordonnance de clôture prononcée depuis 15 jours.
En l'état, pour rappel, en vertu de l'article 15 du code de procédure civile :
« Les parties doivent se faire connaître mutuellement en temps utile les moyens de fait sur lesquels elles fondent leurs prétentions, les éléments de preuve qu'elles produisent et les moyens de droit qu'elles invoquent, afin de chacune soit à même d'organiser sa défense. »
Aux termes de l'article 783 du même code :
« Après l'ordonnance de clôture, aucune conclusion ne peut être déposée ni aucune pièce produite aux débats, à peine d'irrecevabilité prononcée d'office.
Sont cependant recevables les demandes en intervention volontaire, les conclusions relatives aux loyers, arrérages, intérêts et autres accessoires échus et aux débours faits jusqu'à l'ouverture des débats, si leur décompte ne peut faire l'objet d'aucune contestation sérieuse, ainsi que les demandes de révocation de l'ordonnance de clôture.
Sont également recevables les conclusions qui tendent à la reprise de l'instance en l'état où celle-ci se trouvait au moment de son interruption. »
Et selon l'article 784 :
« L'ordonnance de clôture ne peut être révoquée que s'il se révèle une cause grave depuis qu'elle a été rendue ; la constitution d'avocat postérieurement à la clôture ne constitue pas, en soi, une cause de révocation.
Si une demande en intervention volontaire est formée après la clôture de l'instruction, l'ordonnance de clôture n'est révoquée que si le tribunal ne peut immédiatement statuer sur le tout.
L'ordonnance de clôture peut être révoquée, d'office ou à la demande des parties, soit par ordonnance motivée du juge de la mise en état, soit, après l'ouverture des débats, par décision du tribunal. »
En l'espèce, suivant avis du 29 avril 2020, les parties ont été informées de la date de plaidoirie du 18 juin 2020 et de clôture des débats au 27 avril 2020.
L'état d'urgence sanitaire a été déclaré à compter du 12 mars en application de la loi du 23 mars 2020 et a pris officiellement fin le 11 juillet 2020 ; l'arrêt du confinement ayant pris fin quant à lui le 11 mai 2020.
Il résulte de ce qui précède que M. B. justifie d'une cause grave au sens de l'article 784 du code de procédure civile dans sa rédaction applicable au litige pour cause de pandémie liée à la COVID 19 ayant frappé la France antérieurement à l'avis fait aux parties, tant l'état d'urgence sanitaire que le confinement s'étant prolongés au-delà de l'ordonnance de clôture.
Il y a donc lieu de rabattre l'ordonnance de clôture rendue le 27 avril 2020 et de clôturer la procédure à l'audience de ce jour.
Sur le fond
M. B. soutient en substance que :
- les preuves versées au débat par les intimés ne sont pas exemptes de critique, les moyens techniques pour effectuer les mesures sont inconnus et en tout état de cause, le respect du contradictoire n'a pas été respecté
- sa condamnation à réduire le nombre de ses ruches à 40 est arbitraire et irrégulière
- il appartient au demandeur de rapporter la preuve d'un trouble et de son anormalité, mais également de son imputabilité.
- aucune présomption d'imputabilité ne pèse sur l'apiculteur
- il est plus que probable que ces taches jaunes soient constituées de pollen, et plus précisément de ce que l'on appelle du pollen anémophile, c'est-à-dire du pollen emporté par le vent directement à partir d'arbres ou des plantes ; la dispersion des pollens par le vent est une donnée biologique connue et quantifiée, notamment pour des raisons de santé publique en raison des allergies ; ces pollens peuvent donc se déposer n'importe où
- il est strictement impossible pour l'huissier d'imputer ces tâches aux abeilles, et surtout à ses abeilles ; cette preuve de l'imputabilité des tâches et des piqûres n'est en aucun rapporté en l'espèce et il est donc impossible d'imputer en toute impartialité les désordres constatés aux abeilles de M. B.
- si des piqûres d'abeilles sont en effet particulièrement désagréables surtout pour une personne allergique, il n'en demeure pas moins qu'un fait unique atteignant une seule personne ne constitue pas un trouble anormal de voisinage
- une carrosserie de voiture peut facilement être lavée, et ne sera de toute façon jamais propre
la commune d'Avilly Saint-Léonard, qui dénombre environ 900 habitants n'est pas "en milieu urbain" ; elle peut s'enorgueillir de faire partie du parc naturel régional de l'Oise, ce qui explique qu'elle présente un environnement très propice au développement des pollinisateurs sauvages dont font partie les abeilles
- à l'heure actuelle, de nombreuses communes accueillent des ruches sur le toit d'établissements publics sans qu'aucun procès n'ai jamais été fait aux apiculteurs
la présence d'abeilles en milieu rural ne constitue pas un trouble anormal de voisinage
- il verse au débat un constat établi le 1er avril 2020, aux termes duquel, l'huissier a examiné, y compris en les faisant ouvrir, l'ensemble des ruches présentes sur son terrain et a dénombré 30 ruches peuplées, les autres étant simplement stockées.
Les consorts V./D. font valoir pour l'essentiel que :
- si M. B. est en droit de détenir des ruches, pour autant, cette activité ne doit pas prendre une ampleur telle qu'elle constitue une nuisance excessive dépassant les inconvénients normaux du voisinage
- indépendamment des menaces permanentes de piqûres, la présence des abeilles se traduit par des excréments sur le mobilier de jardin, sur les véhicules, sur les vêtements et - également sur les produits d'alimentation ainsi qu'en font foi les constats d'huissier
- les voisins de M. B. ne peuvent plus, en période estivale, prendre de repas dehors ; ils doivent vivre fenêtres fermées et dès qu'ils sortent, ils vivent dans la hantise d'être piqués
- M. B. aurait pu, suites aux plaintes répétées de ses voisins, procéder à une répartition différente de ses ruches sur ses divers sites et respecter ainsi l'arrêté préfectoral ; il n'aurait pas craint dans ce cas de laisser l'accès à son rucher à la DDPPO qui s'est présentée le 15 février 2017
- M. B. a commis une faute en ne respectant par l'arrêté préfectoral
- les attestations et constats versés aux débats démontrent qu'un grand nombre de voisins se plaignent du trouble continuel subi au quotidien : les multiples déjections d'abeilles dégradent leurs matériels et sont incommodantes lorsque l'on souhaite profiter de son jardin ; le risque de piqûres d'abeilles est accru au regard de l'importance du rucher en raison de leur agressivité non maitrisable et imprévisible ; M. D., allergique aux piqûres d'abeilles, a été attaqué le 14 juin 2013 par les abeilles de M. B. et a dû être hospitalisé
- la jurisprudence actuelle, reconnait la dangerosité des abeilles et l'angoisse légitime que cela peut engendrer en ce qu'elles peuvent se sentir menacées et devenir agressives de façon imprévisible, indétectable et non maîtrisable pour le voisinage de sorte que la proximité des ruches constitue un danger
- très récemment, le 21 juillet 2019, Mme V. a été agressée par les abeilles alors qu'elle sortait de sa voiture ; elle a pu prendre une vidéo que la cour pourra visionner et prendre ainsi la mesure des désagréments subis
- les premiers juges ont limité à 40 le nombre de ruches, mais cette diminution est insuffisante, car malgré le fait que M. B. a opéré cette réduction dans le cadre de l'exécution provisoire attachée au jugement, force est de constater que le nombre résiduel de ruches reste encore beaucoup trop important ; la preuve est rapportée par la vidéo montrant l'agression des abeilles en juillet 2019 ; à raison de 50.000 ou 70.000 abeilles par ruches, 40 ruches représentent une colonie de 2.400.000 abeilles en circulation
- les consorts V./D. subissent indiscutablement un préjudice depuis plusieurs années, en raison de l'impossibilité de jouir paisiblement de leur maison et jardin du fait de la dangerosité et des contraintes et autres gênes que causent les millions d'abeilles en circulation en provenance des ruches de M. B. : le voisinage vit dans la crainte permanente d'être agressé et piqué ainsi que cela est justifié au débat par des photos ou des témoignages ; l'impossibilité de pouvoir jouir normalement de son jardin, l'angoisse d'être agressé par les abeilles, les nettoyages constants des meubles de jardin, voitures, salis par les déjections sont constitutifs d'un dommage dont les requérants sont fondés à demander réparation par l'allocation de dommages intérêts à la fois pour le préjudice de jouissance, mais aussi moral ; il n'est pas normal d'habiter à la campagne et de ne pouvoir jouir normalement de son jardin sans être agressé en permanence par des abeilles ; les déjections jaunes sont également insupportables tant elles sont nombreuses et salissantes
- les consorts V./D. qui vivent à Avilly Saint Léonard depuis de très nombreuses années, n'avaient jamais connu de nuisance de ce type avant l'installation des ruches de M. B.
En l'état,
D'une part, aux termes de l'article L211-6 du code rural et de la pêche maritime :
« Les préfets déterminent, après avis des conseils départementaux, la distance à observer entre les ruches d'abeilles et les propriétés voisines ou la voie publique, sans préjudice de l'action en réparation, s'il y a lieu. »
Selon l'article L211-7 du même code
« Les maires prescrivent aux propriétaires de ruches, toutes les mesures qui peuvent assurer la sécurité des personnes, des animaux, et aussi la préservation des récoltes et des fruits. A défaut de l'arrêté préfectoral prévu par l'article L. 211-6, les maires déterminent à quelle distance des habitations, des routes, des voies publiques, les ruchers découverts doivent être établis. Toutefois, ne sont assujetties à aucune prescription de distance les ruches isolées des propriétés voisines ou des chemins publics par un mur, une palissade en planches jointes, une haie vive ou sèche, sans solution de continuité. »
L'arrêté préfectoral du 21 février 2017 prévoit quant à lui :
« Article 1 : Les ruches d'abeilles peuplées doivent être implantées à plus de 100 mètres des établissements publics à caractère collectif et divers.
Article 2 : Les ruches d'abeilles peuplées doivent être implantées à plus de 20 mètres des voies publiques.
Article 3 : Les ruches d'abeilles peuplées doivent être implantée à plus de 10 mètres des propriétés voisines.
Article 4 : Lorsque les propriétés voisines sont constituées d'une piscine, d'une maison d'habitation, d'un jardin potager ou d'un jardin d'agrément, la distance minimale à respecter est de :
* 20 mètres lorsque le rucher comprend moins de 10 ruchers d'abeilles peuplées ;
* 30 mètres lorsque le rucher comprend entre 10 et 50 ruches d'abeilles peuplées ;
* 40 mètres lorsque le rucher comprend plus de 50 ruches d'abeilles peuplées.
Article 5 : La distance à prendre en compte est mesurée à partir de l'entrée de la ruche la plus proche.
Article 6 : A l'exception des ruches d'abeilles implantées à proximité des établissements publics, ne sont assujettis à aucune prescription de distance les ruches isolées des propriétés voisines ou des voies publiques, par un mur, une palissade en planches jointes, une haie vive ou sèche, sans solution de continuité ayant une hauteur de 2 mètres au-dessus du sol et s'étendant sur au moins de 2 mètres de chaque côté du rucher.
En cas de plainte exprimée par un riverain, le propriétaire des ruches devra apporter la preuve de l'absence de solution de continuité. »
D'autre part, le droit pour un propriétaire de jouir de sa chose de la manière la plus absolue, sauf usage prohibé par la loi ou les règlements visé à l'article 544 du code civil, est limité par l'obligation qu'il a de ne causer à la propriété d'autrui aucun dommage dépassant les inconvénients normaux du voisinage.
Dès lors, le droit pour un propriétaire de jouir de sa chose peut être limité par l'obligation qu'il a de ne pas causer à la propriété d'autrui un dommage dépassant les inconvénients normaux du voisinage, sans que la réparation du dommage soit subordonnée à la preuve d'une faute.
Il y a lieu de recherche le caractère excessif du trouble invoqué par rapport aux inconvénients normaux du voisinage, même en l'absence de toute infraction à la loi et aux règlements.
A contrario, la seule infraction à une disposition administrative est insuffisante pour distinguer le trouble normal du trouble anormal du voisinage.
Il résulte de ce qui précède que l'installation des ruchers est réglementée s'agissant essentiellement des ruches « peuplées d'abeilles », en distinguant selon le nombre de ruches et selon que la ruche se trouve près d'un établissement public à caractère collectif, une voie publique, une propriété voisine constituée ou non d'une piscine, d'une maison d'habitation, d'un jardin potager ou d'un jardin d'agrément.
En l'espèce, les ruches appartenant à M. B. se trouvent près de propriétés voisines constituée de maisons d'habitation avec jardin d'agrément.
S'agissant du nombre de ruches, il ressort du « Compte rendu de visite du 15/02/2017 à Avilly saint leonard » que lorsque la DDPP s'est rendue chez M. B., celui-ci était absent, « Madame présente mais n'a pas ouvert. Elle nous propose de revenir cet après-midi après le retour de Monsieur B. ».
La DDPP n'a manifestement pas souhaité attendre le retour de M. B. et, si elle indique en « Commentaire annexe : Rucher de Monsieur B. très bien entretenu », elle ne précise pas dans son compte rendu s'il s'agit de ruches d'abeilles peuplées ou non s'agissant de la propriété de M. et Mme V., indiquant, sans plus de précision « Il est constaté que le rucher de Monsieur B. n'est pas clos » et concernant la propriété de M. D., elle indique :
« - Nombre de ruches (approximativement) :
. 5 rangées de 18 (aucune activité)
. 19 rangées de 4 (avec activité et sous un filet) »
En toute logique, le compte rendu de la DDTT ne comporte aucune mesure relative à la distance entre les ruches et les propriétés voisines, puisque la DDTT n'a pas pénétré sur la propriété de M. B..
Les consorts V./D. produisent au dossier deux procès-verbaux de constat des 29 avril et 29 juin 2017 (donc antérieure à la décision dont il est relevé appel) dont il ressort que « Un très grand nombre de ruches » sont disposées sur la parcelle de terrain de M. B. à proximité de la propriété de M. et Mme V. ; des photographies de ruches fermées, petites ou grandes, seules ou empilées, certaines coiffées d'une pierre, une autre manifestement vide ainsi que des planches de bois sont annexées aux procès-verbal. Dans le second constat, l'huissier de justice a utilisé un mètre laser pour établir la distance entre la ruche la plus proche et la clôture de la propriété de M. et Mme V., soit 34,40 mètres
Les consorts V./D. versent également aux débats deux autres procès-verbaux de constats d'huissier des 27 juin 2019 et 18 janvier 2020 dont il ressort que l'huissier de justice note la présence de « nombreuses ruches, notamment des ruches verticales modulaires » sur la parcelle de M. B., « remarque sept alignement de ruches en parallèle », qu'il dénombre 17 ruches en première ligne, « au moins » 10 en seconde ligne, « au moins » 4 en troisième rangée, « au moins » 6 ruches, en cinquième rangée « au moins » 7 ruches, soit « au moins 44 ruches visibles, sans compter les deux dernières rangées partiellement masquées par un réservoir » ; dans le second constat, l'huissier constatant la présence de nombreux modules de ruches, relève en page 5 : « Le nombre de 40 ruches imposé dans le jugement à Monsieur B. est largement dépassé. » ; les photographies montrent des ruches prises depuis les terrains des consorts V./D., dont certaines sont manifestement vides car tombées au sol.
Les procès-verbaux de constat d'huissier produits par les consorts V./D. relèvent également « la présence de plusieurs gallinacés » qui importune Mme V. « par le chant intempestif des coqs » ainsi que la présence de moutons dont Mme V. « craint qu'ils soient vecteurs de parasites tels les tiques ».
Quant à M. B., il verse aux débats un procès-verbal de constat établi le 1er avril 2020 par Maître O., huissier de justice dont il ressort que toutes les ruches situées sur la propriété de M. B. ne sont pas colonisées par des abeilles. L'huissier de justice, équipé d'une tenue d'apiculteur, a procédé à l'ouverture de toutes les ruches afin de constater celles qui sont réellement exploitées, soit 30 ruches au total se trouvant sur la parcelle de terrain située en contrebas de la maison de M. B..
« Il est constaté les éléments suivants :
- 1ère rangée : 16 ruches dont 5 sont en service et occupée par des abeilles
- 2ème rangée : 13 ruches dont 4 sont en service et occupées par des abeilles
- 3ème rangée : 11 ruches dont 6 sont en service et occupées par des abeilles
- 4ème rangée : 14 ruches dont 4 sont en service et occupées par des abeilles
- 5ème rangée : 14 ruches dont 5 sont en service et occupées par des abeilles
- 6ème rangée : 7 ruches dont 5 sont en service et occupées par des abeilles
- 1 ruche isolée en service et occupées par des abeilles près de la rivière La Nonette. »
Le long de la clôture, l'huissier constate que des ruches ou ruchettes (demie ruche) vides sont stockées ainsi que des hausses et haussettes (étages servant à rehausser les ruches et ruchettes) également vides, soit 26 ruches ou ruchettes, 10 haussettes, 290 hausses et 2 ruches en plastique. Le procès-verbal est accompagnée de plus de 30 photographies.
Il est constant que :
- le nombre de ruches d'abeilles peuplées ainsi que les distances entre ces ruches et les propriétés voisines ne sont pas connues
- M. B. a respecté la décision dont appel qui lui ordonnait de réduire à 40 ruches le nombre de ruches implantées sur sa propriété située à Avilly Saint Léonard
- M. B., invité à se présenter à une réunion de conciliation à la mairie de Senlis les 22 mars 2017 et 8 avril 2017, ne s'est pas présenté
- il existe de fortes tensions entre M. B. et certains habitants d'Avilly Saint Léonard relevées par la sous-préfecture saisie par le Maire.
C'est donc à tort que les premiers juges ont relevé, d'une part, que M. B. ne démontrait pas que les mesures effectuées étaient erronées et, d'autre part, que les agents de la DDPP n'avaient pu opérer de constatations sur le terrain de M. B. en raison du refus qui leur avait été opposé, de sorte qu'il ne pouvait leur être reproché de ne pas avoir ouvert chaque ruche avant de pouvoir se prononcer sur leur degré d'activité, puisqu'il leur suffisait de revenir dans l'après midi, étant précisé qu'il n'est pas justifié que M. B. ait été informé de la date et l'heure de la visite de la DDPP.
Néanmoins, s'il n'est pas établi que M. B. ait contrevenu à la réglementation sur les ruches d'abeilles peuplées, cela n'exclut pas pour autant l'existence d'un trouble anormal du voisinage.
En l'espèce, il ressort des éléments du dossier (procès-verbaux de constat, attestations de témoins) que les consorts V./D. subissent manifestement un trouble anormal du voisinage, comme se trouvant empêchés de profiter sereinement de leur extérieur et leur habitation et tout objets de trouvant en extérieur (linge, mobilier de jardin, véhicules) constamment souillés par des déjections d'abeilles, même si la dangerosité des ruches de M. B. ne peut être établie, seules deux personnes ayant été piquées par des abeilles, dans des circonstances non connues et ce, sur une période débutant le 15 juin 2013.
Ainsi, c'est à bon droit que les premiers juges ont considéré que les nuisances dénoncées par les consorts V./D. étaient bien réelles et trouvaient leur origine dans l'installation du rucher de M. B.à proximité immédiate de leur terrain et dans des proportions qui n'était pas compatibles avec la configuration des lieux.
S'agissant de l'appel incident formé par les consorts V./D. consistant à voir réduire de 40 à 10 le nombre de ruche, force est de constater que si M. B. a exécuté le jugement dont appel, ce dont il justifie dans le procès-verbal de constat du 1er avril 2020 qui dénombre 30 ruches réellement exploitées sur la parcelle, les nuisances perdurent, comme le constate l'huissier de justice dans son procès-verbal du 27 juin 2019.
Par ailleurs, il ressort des déclarations de détention et d'emplacement de ruches de M. B. que celui-ci dispose de trois autres emplacements, à savoir à Thiers sur Thève, Rosières et Montgressin et qu'il n'avait déclaré que 11 colonies d'abeilles situées à Avilly Saint Léonard le 17 octobre 2016.
En conséquence, le jugement déféré doit être infirmé en ce qu'il a ordonné à M. B. de réduire à quarante le nombre de ruches implantées sur sa propriété située à Avilly Saint Léonard dans un délai de trois mois à compter de la signification du jugement à venir et sous astreinte d'une somme de 100 euros par jour de retard pendant quatre mois.
Dans ces conditions, il convient, statuant à nouveau, d'ordonner à M. B. de réduire à onze le nombre de ruches implantées sur sa propriété située à Avilly Saint Léonard dans un délai de trois mois à compter de la signification de l'arrêt et sous astreinte d'une somme de 100 euros par jour de retard pendant quatre mois.
Concernant l'indemnisation des préjudices subis, c'est par une juste appréciation des faits de la cause que les premiers juges ont fixé le préjudice de jouissance et le préjudice moral de chacun.
Le jugement sera par conséquent confirmé en ce qu'il a condamné M. B. à verser à M. V. la somme de 1.000 euros au titre de son préjudice de jouissance et la somme de 500 euros au titre de son préjudice moral, condamné M. B. à verser à Mme V. la somme de 1.000 euros au titre de son préjudice de jouissance et la somme de 500 euros au titre de son préjudice moral, condamné M. B. à verser à M. D. la somme de 1.000 euros au titre de son préjudice de jouissance et la somme de 500 euros au titre de son préjudice moral et condamné M. B. aux entiers dépens de l'instance, dont distraction au profit de Me Pierre Le T..
Compte tenu de la solution donnée au litige, M. B. ne pourra qu'être débouté de sa demande tendant à voir ordonner le remboursement des sommes qui auront pu être versées en vertu de l'exécution provisoire de la décision entreprise, en principal, intérêts, frais et accessoires, avec intérêts au taux légal à compter de leur versement, et ce au besoin à titre de dommages-intérêts.
Sur les dépens et les frais irrépétibles
Le sens du présent arrêt conduit à confirmer le jugement sur les dépens et les dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
M. B. succombant en ses demandes, il doit être condamné aux dépens d'appel.
L'équité commande d'écarter l'application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile à la présente procédure.
PAR CES MOTIFS
La Cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire rendu en dernier ressort,
RABAT l'ordonnance de clôture rendue le 27 avril 2020 ;
ORDONNE la clôture de l'instruction ce jour ;
CONFIRME le jugement rendu le 29 janvier 2019 par le tribunal de grande instance de Senlis, sauf en ce qu'il a ordonné à M. B. de réduire à quarante le nombre de ruches implantées sur sa propriété située à Avilly Saint Léonard dans un délai de trois mois à compter de la signification du jugement à venir et sous astreinte d'une somme de 100 euros par jour de retard pendant quatre mois ;
LE REFORME sur ce point ;
Statuant à nouveau sur le seul chef infirmé
ORDONNE à M. Christophe B. de réduire à onze le nombre de ruches implantées sur sa propriété située à Avilly Saint Léonard dans un délai de trois mois à compter de la signification de l'arrêt et sous astreinte d'une somme de 100 euros par jour de retard pendant quatre mois ;
Y ajoutant
DEBOUTE M. Christophe B. de sa demande tendant à voir ordonner le remboursement des sommes qui auront pu être versées en vertu de l'exécution provisoire de la décision entreprise, en principal, intérêts, frais et accessoires, avec intérêts au taux légal à compter de leur versement, et ce au besoin à titre de dommages et intérêts ;
LE CONDAMNE aux dépensd'appelqui seront recouvrés au profit de Maître Hélène C., avocate, en application des dispositions de l'article 699 du Code de Procédure Civile ;
DIT n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ."