Les conséquences possibles de la mise en location sur Airbnb d'un logement conventionné sont la résiliation du bail et le paiement au bailleur des loyers perçus, selon cet arrêt de la Cour de cassation.
"Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 23 mars 2021), le 15 décembre 2004, la Régie immobilière de la ville de Paris (le bailleur) a signé avec Mme [P] (le preneur) un bail portant sur un local à usage d'habitation qui interdisait la sous-location.
2. Alléguant que le preneur offrait une partie de son logement en location par l'intermédiaire d'une plate-forme dédiée, le bailleur l'a assigné en résiliation du bail.
Examen des moyens
Sur le premier moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
3. Le bailleur fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande de résiliation du bail, alors « qu'en application des articles 1728 et 1729 du code civil, le preneur peut sous-louer en tout ou en partie son bail ou le céder s'il n'est pas privé de ce droit, en tout ou en partie, par la loi ou la convention ; qu'en matière de location de logements sociaux conventionnés, l'article R. 353-37 du code de la construction et de l'habitation pose à l'égard du preneur une interdiction formelle de sous-louer ; qu'ainsi, la mise en sous-location d'un logement social conventionné est considérée comme une circonstance aggravante du manquement du preneur qui sous-loue en violation des termes du contrat de bail ; qu'en retenant que « le manquement litigieux est dans la présente occurrence insuffisamment grave pour justifier la résiliation du bail » motifs pris que « 136 locations, entre le mois de novembre 2014 et le mois de janvier 2018, date de l'assignation, soit 38 mois, la moyenne des locations par mois durant cette période serait de 3,5 locations, ce qui n'est pas considérable », et que « la location portait sur une des trois chambres et que l'appelante continuait d'occuper son logement avec ses trois filles » et que « la bailleresse ne justifie pas avoir mis en demeure la locataire de cesser cette infraction à la clause du bail lui interdisant la sous-location », sans prendre en compte, comme il lui était demandé par la Régie immobilière de la ville de Paris pour apprécier la gravité du manquement, sa qualité de bailleur social et l'interdiction formelle de sous-louer qui pesait sur Mme [P], en application de l'article D. 353-37 du code de la construction et de l'habitation, dont il résultait que l'activité particulièrement lucrative de location d'un bien par l'intermédiaire du site Airbnb était radicalement contraire à la destination d'un tel logement ouvrant droit à des prestations sociales et destiné à des locataires dont les revenus ne dépassent pas un certain montant, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 1728 et 1729 du code civil, et D. 353-37 du code de la construction et de l'habitation. »
Réponse de la Cour
Vu les articles 1728 et 1729 du code civil, dans leur rédaction antérieure à celle issue de la loi n° 2014-873 du 4 août 2014, et R. 353-37 du code de la construction et de l'habitation, dans sa rédaction antérieure à celle issue du décret n° 2005-1733 du 30 décembre 2005 :
4. Il résulte du premier de ces textes que le preneur est tenu d'user de la chose louée suivant la destination qui lui a été donnée par le bail.
5. Selon le deuxième, si le preneur emploie la chose louée à un autre usage que celui auquel elle a été destinée, ou dont il puisse résulter un dommage pour le bailleur, celui-ci peut, suivant les circonstances, faire résilier le bail.
6. Aux termes du dernier, les logements conventionnés sont loués nus à des personnes physiques, à titre de résidence principale, et occupés au moins huit mois par an. Ils ne peuvent faire l'objet de sous-location sauf au profit de personnes ayant passé avec le locataire un contrat conforme à l'article L. 443-1 du code de l'action sociale et des familles et doivent répondre aux conditions d'occupation suffisante telles que définies par l'article L. 621-2 du même code.
7. Pour rejeter la demande en résiliation du bail, l'arrêt relève que le preneur avait ouvert un compte sur le site internet Airbnb au mois de novembre 2014 et que la page de présentation du compte comportait cent trente-six commentaires relatifs à des locations faites entre novembre 2014 et janvier 2018.
8. Il retient qu'à supposer que chaque commentaire corresponde à une location, la moyenne mensuelle des locations n'était que de trois et demi, que la location ne portait que sur une des trois chambres du logement que le preneur continuait d'occuper et que le bailleur n'avait pas mis le preneur en demeure de cesser cette activité, de sorte que le manquement dénoncé n'était pas suffisamment grave pour justifier la résiliation du bail.
9. En se déterminant ainsi, sans examiner, comme il le lui était demandé, la gravité de la faute du preneur au regard des circonstances résultant du régime applicable aux logements conventionnés, de l'interdiction légale de sous-location et d'un changement de destination des locaux susceptible d'être caractérisé par l'utilisation répétée et lucrative d'une partie du logement conventionné, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision.
Sur le second moyen, pris en ses deuxième et troisième branches
Enoncé du moyen
10. Le bailleur fait grief à l'arrêt de condamner le preneur à lui payer une certaine somme en restitution des fruits civils perçus par les sous-locations non autorisées, alors :
« 2°/ que, sauf lorsque la sous-location a été autorisée par le bailleur, les sous-loyers perçus par le preneur constituent des fruits civils qui appartiennent par accession au propriétaire ; qu'en faisant application de l'article 548 du code civil et en décidant que « le loyer de Mme [P] étant de 981,82 euros, le loyer quotidien est donc de 32,72 euros, ce qui, sur 136 jours, correspond à 4 449,92 euros de sorte que la bailleresse ne saurait réclamer utilement une somme supérieure à 2 350 euros (6 800- 4 449,92) », décidant ainsi que seule la plus-value résultant des sous-locations illégales devait être remboursée à la Régie immobilière de la ville de Paris, cependant que l'intégralité des sous-loyers perçus illégalement par le locataire devait être restituée au propriétaire, la cour d'appel a violé l'article 549 du code civil ;
3°/ qu'en statuant comme elle l'a fait, la cour d'appel a fractionné les fruits civils et, donc, les sous-loyers en attribuant une partie au propriétaire, représentant la plus-value de la sous-location illégale, et une partie au locataire, représentant le prix du loyer quotidien, cependant que l'article 548 du code civil impose uniquement au propriétaire de rembourser aux tiers les frais qu'ils auraient exposés pour parvenir à la perception des fruits et que les loyers, qui constituent des fruits civils qui appartiennent au propriétaire, s'analysent comme des « frais » au sens de l'article 548, la cour d'appel a violé l'article susvisé. »
Réponse de la Cour
Vu les articles 548 et 549 du code civil :
11. Aux termes du premier de ces textes, les fruits produits par la chose n'appartiennent au propriétaire qu'à la charge de rembourser les frais des labours, travaux et semences faits par des tiers et dont la valeur est estimée à la date du remboursement.
12. Selon le second, le simple possesseur ne fait les fruits siens que dans le cas où il possède de bonne foi.
13. Après avoir évalué à une certaine somme les fruits issus de la sous-location non autorisée, l'arrêt condamne le preneur à rembourser au bailleur une somme moindre en déduisant les loyers perçus par ce dernier en exécution du bail.
14. En statuant ainsi, alors que le loyer constitue un fruit civil de la propriété et que le preneur, auteur de la sous-location interdite, ne pouvait être un possesseur de bonne foi, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 23 mars 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;
Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris autrement composée ;
Condamne Mme [P] aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, condamne Mme [P] à payer à la Régie immobilière de la ville de Paris la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-deux juin deux mille vingt-deux. MOYENS ANNEXES au présent arrêt
Moyens produits par la SCP Alain Bénabent, avocat aux Conseils, pour la société Régie immobilière de la ville de Paris
PREMIER MOYEN DE CASSATION
La Régie Immobilière de la Ville de Paris fait grief à l'arrêt infirmatif attaqué de l'avoir déboutée de sa demande de résiliation du bail conclu le 15 décembre 2004 avec Mme [P], ainsi que de ses demandes subséquentes ;
1°) ALORS QU' en application des articles 1728 et 1729 du code civil, le preneur peut sous-louer en tout ou en partie son bail ou le céder s'il n'est pas privé de ce droit, en tout ou en partie, par la loi ou la convention ; qu'en matière de location de logements sociaux conventionnés, l'article R. 353-37 du code de la construction et de l'habitation pose à l'égard du preneur une interdiction formelle de sous-louer ; qu'ainsi, la mise en sous-location d'un logement social conventionné est considérée comme une circonstance aggravante du manquement du preneur qui sous-loue en violation des termes du contrat de bail ; qu'en retenant que « le manquement litigieux est dans la présente occurrence insuffisamment grave pour justifier la résiliation du bail » (arrêt attaqué, p. 4§6), motifs pris que « 136 locations, entre le mois de novembre 2014 et le mois de janvier 2018, date de l'assignation, soit 38 mois, la moyenne des locations par mois durant cette période serait de 3,5 locations, ce qui n'est pas considérable » (arrêt attaqué, p. 4§3), que « la location portait sur une des trois chambres et que l'appelante continuait d'occuper son logement avec ses trois filles » et que « la bailleresse ne justifie pas avoir mis en demeure la locataire de cesser cette infraction à la clause du bail lui interdisant la sous-location » (arrêt attaqué, p. 4§4 et 5), sans prendre en compte, comme il lui était demandé par la Régie Immobilière de la Ville de Paris (p. 4 § 6 et 7 concl.) pour apprécier la gravité du manquement, sa qualité de bailleur social et l'interdiction formelle de sous-louer qui pesait sur Madame [P], en application de l'article D. 353-37 du code de la construction et de l'habitation, dont il résultait que l'activité particulièrement lucrative de location d'un bien par l'intermédiaire du site Airbnb était radicalement contraire à la destination d'un tel logement ouvrant droit à des prestations sociales et destiné à des locataires dont les revenus ne dépassent pas un certain montant, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 1728 et 1729 du code civil, et D. 353-37 du code de la construction et de l'habitation ;
2°) ALORS, EN OUTRE, QU'en retenant que « le manquement litigieux est dans la présente occurrence insuffisamment grave pour justifier la résiliation du bail » (arrêt attaqué, p. 4§6), motifs pris que « 136 locations, entre le mois de novembre 2014 et le mois de janvier 2018, date de l'assignation, soit 38 mois, la moyenne des locations par mois durant cette période serait de 3,5 locations, ce qui n'est pas considérable » (arrêt attaqué, p. 4§3), cependant que la gravité du manquement est manifeste lorsque la sous-location en violation des stipulations du bail est constatée sur une longue période, en l'occurrence de 38 mois et réitérée 136 fois, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences de ses propres constatations et a violé les articles 1728, 1729 du code civil et D. 353-37 du code de la construction et de l'habitation ;
3°) ALORS, AU SURPLUS, QU'en retenant que « le manquement litigieux est dans la présente occurrence insuffisamment grave pour justifier la résiliation du bail » (arrêt attaqué, p. 4§6), motifs pris qu'« il doit être surtout relevé que la location portait sur une des trois chambres et que l'appelante continuait d'occuper son logement avec ses trois filles » et que « la bailleresse ne justifie pas avoir mis en demeure la locataire de cesser cette infraction à la clause du bail lui interdisant la sous-location » (arrêt attaqué, p. 4§4 et 5), cependant que la sous-location d'une partie des lieux qui était interdite au même titre que la location de la totalité des lieux, était indifférente pour apprécier la gravité du manquement commis par Mme [P], tout comme l'absence de mise en demeure préalable, la cour d'appel a statué par des motifs inopérants et a privé sa décision de base légale au regard des articles 1728, 1729 du code civil et D. 353-37 du code de la construction et de l'habitation.
SECOND MOYEN DE CASSATION
La Régie Immobilière de la Ville de Paris fait grief à l'arrêt infirmatif attaqué d'avoir condamné Madame [P] à lui verser la somme de 2.350 euros en restitution des fruits civils perçus par les sous-locations non autorisées ;
1°) ALORS QUE le juge doit, en toutes circonstances, faire observer et observer lui-même le principe de la contradiction ; qu'il ne peut fonder sa décision sur les moyens de droit qu'il a relevés d'office sans avoir au préalable invité les parties à présenter leurs observations ; qu'en relevant d'office le moyen fondé sur la limitation de la restitution des fruits civils sur le fondement de l'article 548 du code civil, sans avoir au préalable invité les parties, et en particulier la Régie Immobilière de la Ville de Paris, à présenter des observations, la cour d'appel a méconnu le principe du contradictoire et a violé l'article 16 du code de procédure civile ;
2°) ALORS, EN TOUT ETAT DE CAUSE, QUE sauf lorsque la sous-location a été autorisée par le bailleur, les sous-loyers perçus par le preneur constituent des fruits civils qui appartiennent par accession au propriétaire ; qu'en faisant application de l'article 548 du code civil et en décidant que « le loyer de Mme [P] étant de 981,82 euros, le loyer quotidien est donc de 32,72 euros, ce qui, sur 136 jours, correspond à 4 449,92 euros de sorte que la bailleresse ne saurait réclamer utilement une somme supérieure à 2 350 euros (6 800 - 4 449,92) » (arrêt attaqué, p. 5§1), décidant ainsi que seule la plus-value résultant des sous-locations illégales devait être remboursée à la Régie Immobilière de la Ville de Paris, cependant que l'intégralité des sous-loyers perçus illégalement par le locataire devait être restituée au propriétaire, la cour d'appel a violé l'article 549 du code civil ;
3°) ALORS, EN TOUT ETAT DE CAUSE, QUE en statuant comme elle l'a fait, la cour d'appel a fractionné les fruits civils et, donc, les sous-loyers en en attribuant une partie au propriétaire, représentant la plus-value de la sous-location illégale, et une partie au locataire, représentant le prix du loyer quotidien, cependant que l'article 548 du code civil impose uniquement au propriétaire de rembourser aux tiers les frais qu'ils auraient exposés pour parvenir à la perception des fruits et que les loyers, qui constituent des fruits civils qui appartiennent au propriétaire, s'analysent comme des « frais » au sens de l'article 548, la cour d'appel a violé l'article susvisé. "