Cet arrêt juge que l'exploitant de la boulangerie est responsable de la chute d'une client en raison d'un paillasson qui s'est dérobé sous ses pieds.
"FAITS PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES:
Le 29 novembre 2012, Mme Nicole M.a chuté en sortant de la boulangerie 'les filles du boulanger' à Marseille et s'est blessée.
Par exploit d'huissier en date du 6 octobre 2015, Mme Nicole M. a fait assigner la société boulangerie pâtisserie D. exerçant sous l'enseigne 'les filles du boulanger' et son assureur, la compagnie Generali, devant le tribunal de grande instance de Marseille aux fins d'obtenir l'indemnisation de son préjudice, et ce au contradictoire de la caisse primaire d'assurance maladie des Bouches-du-Rhône.
Mme M. a déclaré que le paillasson sur lequel elle avait posé le pied s'était dérobé, entraînant ainsi sa chute.
Elle a chiffré son préjudice sur la base d'un rapport d'expertise établi le 17 août 2015 par le docteur D., médecin expert désigné suivant ordonnance de référé en date du 9 janvier 2015.
La caisse primaire d'assurance maladie des Bouches-du-Rhône a sollicité le remboursement des prestations versées du chef de cet accident.
Par jugement en date du 19 avril 2018, le tribunal de grande instance de Marseille a :
- débouté Mme Nicole M. de toutes ses demandes principales et annexes,
- débouté la caisse primaire d'assurance maladie des Bouches-du-Rhône de toutes ses demandes,
- débouté les parties de toutes demandes plus amples ou contraires,
- condamné Mme Nicole M. à verser à la société boulangerie pâtisserie D. et à la compagnie Generali la somme de 800 € chacune au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- dit n'y avoir lieu à exécution provisoire,
- condamné Mme Nicole M. aux dépens.
Par déclaration en date du 29 mai 2018, Mme Nicole M. a interjeté appel de ce jugement, son appel tendant à la réformation de la décision en ce qu'elle l'a déboutée de l'ensemble de ses demandes.
Dans ses conclusions en date du 16 juillet 2018, Mme M. demande à la cour de :
- réformer la décision entreprise,
et en conséquence,
- dire et juger que la société boulangerie pâtisserie D. a engagé sa responsabilité,
- la condamner solidairement avec son assureur la compagnie Generali au paiement des sommes suivantes :
- aide humaine : 2.319,00 €
- déficit fonctionnel temporaire partiel à 50 % : 1.223,01 €
- déficit fonctionnel temporaire partiel à 25 % : 710,13 €
- déficit fonctionnel temporaire partiel à 10 % : 883,72 €
- souffrances endurées : 9.000,00 €
- déficit fonctionnel permanent : 7.500,00 €
- dommage esthétique : 1.800,00 €
- dommages et intérêts pour le préjudice moral : 4.000,00 €
- la condamner solidairement avec son assureur la compagnie Generali au paiement de la somme de 2.500,00 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- la condamner solidairement avec son assureur la compagnie Generali aux entiers dépens incluant le coût de l'expertise médicale, dont distraction au profit de Me Dorothée S. sur son affirmation de droit.
Mme M. expose qu'au moment où elle posait le pied sur le paillasson qui se trouvait sur le seuil de la boulangerie, à même la dalle béton, sans être encastrée, celui-ci s'est dérobé entraînant sa chute et qu'en tombant, elle s'est fracturée la malléole.
Elle fonde au principal sa demande sur les dispositions des articles 1242 alinéa 1er et 1240 du code civil et subsidiairement sur celles de l'article 1231-1 du même code et fait valoir que :
- sa chute a été provoquée par le tapis entreposé par la société D. à l'entrée de son magasin et dont elle était restée propriétaire en l'absence de preuve d'un transfert de la garde à ses clients,
- ce tapis a joué un rôle anormal dans la survenance du sinistre dés lors qu'il se trouvait sur le seuil de la boulangerie, à même la dalle béton, sans y être encastré ni fixé au sol et que le support sur lequel il était posé n'avait aucune propriété anti dérapante,
- il peut aussi être reproché à la société D. d'avoir simplement posé un paillasson à l'entrée de son magasin sans le fixer correctement au sol ce qui caractérise un comportement fautif,
- il n'est pas démontré qu'elle ait manqué de prudence,
- subsidiairement, si la cour considère que la responsabilité de la société D. ne peut être engagée que sur le fondement de l'article 1231-1 du code civil, il doit être jugé qu'elle a manqué à son obligation de sécurité.
Aux termes de ses conclusions en date du 28 septembre 2018, la compagnie Generali demande à la cour de :
- confirmer le jugement rendu en toutes ses dispositions,
à titre principal,
- dire et juger que seule la responsabilité contractuelle de la société boulangerie pâtisserie D. peut être engagée,
- dire et juger que la société D. est tenue d'une obligation de sécurité qui est une obligation de moyen,
- constater que Mme M. ne rapporte pas la preuve de l'existence d'une faute commise par la société boulangerie pâtisserie D. dans le cadre de l'exécution de son contrat,
- dire et juger que la responsabilité contractuelle de la société boulangerie pâtisserie D. n'est pas engagée,
en conséquence,
- débouter Mme M. de l'intégralité de ses demandes, fins et conclusions,
- condamner Mme M. au paiement de la somme de 1.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner Mme M. au paiement des dépens dont distraction sera faite au profit de Maître Bruno Z. qui y a pourvu en application des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile,
à titre subsidiaire,
- dire et juger que Mme M. ne rapporte pas la preuve de la position anormale de l'instrument du dommage litigieux,
- dire et juger que la responsabilité quasi délictuelle de la société boulangerie pâtisserie D. n'est pas engagée,
- dire et juger que Mme M. ne rapporte pas la preuve d'une faute commise par la société boulangerie pâtisserie D.,
- dire et juger que la responsabilité délictuelle de la société boulangerie pâtisserie D. n'est pas engagée,
en conséquence,
- débouter Mme M. de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions.
- condamner Mme M. au paiement de la somme de 1.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner Mme M. au paiement des dépens dont distraction sera faite au profit de Maître Bruno Z. qui y a pourvu en application des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
à titre infiniment subsidiaire,
- à défaut, réduire les demandes d'indemnisation formulées par Mme M. et la débouter de ses demandes injustifiées,
- déduire des sommes qui seront allouées à Mme M. les créances des organismes sociaux,
- dire n'y avoir lieu à exécution provisoire du jugement à intervenir,
- débouter Mme M. du surplus de ses demandes, fins et conclusions,
- débouter Mme M. de sa demande de condamnation au titre de l'article 700 du code de procédure civile;
- laisser les dépens de l'instance à sa charge.
La compagnie Generali fait valoir que :
- les parties sont liées par un contrat de vente de sorte que leur relation s'inscrit dans un cadre contractuel et le principe du non cumul des responsabilités exclut l'application de la responsabilité délictuelle,
- la société D. était tenue d'une obligation de sécurité de moyen vis à vis de Mme M. et celle-ci ne rapporte pas la preuve d'un manquement à cette obligation,
- la société D. a en effet pris soin de disposer sur le seuil de son magasin un paillasson afin justement d'éviter d'éventuelles glissades,
- le béton n'est pas une surface glissante et en outre, le jour du sinistre, il ne pleuvait pas,
- elle n'est tenue par ailleurs d'aucune obligation légale visant à encastrer le paillasson pour prévenir d'éventuelles dérapages,
- elle ne peut qu'opposer à Mme M. sa propre faute d'imprudence et son manque d'attention,
- subsidiairement, sur le fondement de la responsabilité délictuelle, il n'est pas davantage démontré, s'agissant d'une chose inerte, l'existence d'une anormalité du paillasson sur lequel Mme M. a chuté, ni encore moins d'une faute de sa part.
Par exploit d'huissier en date du 17 juillet 2018, remis en étude d'huissier, Mme M. a fait signifier sa déclaration d'appel et ses conclusions à la société boulangerie pâtisserie D..
Par exploit d'huissier en date du 17 juillet 2018, remis à personne habilitée, Mme M. a fait signifier sa déclaration d'appel et ses conclusions à la caisse primaire d'assurance maladie des Bouches-du-Rhône.
La société D. et la caisse primaire d'assurance maladie des Bouches-du-Rhône n'ont pas constitué avocat.
Il convient de statuer par décision de défaut.
Par un courrier adressé à la cour le 19 novembre 2018, la caisse primaire d'assurance maladie des Bouches-du-Rhône a fourni un relevé de sa créance, soit la somme de 14.137,88 € au titre des frais d'hospitalisation, médicaux, pharmaceutiques, d'appareillage et de transport.
L'ordonnance de clôture est intervenue le 7 mai 2019 et l'affaire a été fixée à plaider à l'audience du 22 mai 2019.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Mme Sylvie S., fille de Mme M., indique qu'elle se trouvait également en présence de sa mère lors de l'accident et atteste qu'il y avait devant l'entrée de la boulangerie un tapis à même le sol glissant alors qu'il n'y avait pas d'encadrement prévu pour celui-ci.
Il n'existe pas de raisons de remettre en cause, du moins en ce qui concerne les deux premiers, la sincérité de ces témoignages rédigés dans le respect des dispositions de l'article 202 du code de procédure civile.
Une photographie de l'emplacement où se trouvait le paillasson atteste également de ce que le support en béton de ce paillasson était lisse.
L'absence d'adhérence d'un paillasson, non muni d'un dispositif anti dérapant, posé sur un support lisse à la sortie d'un magasin, sans dispositif d'encastrement de nature à en assurer la fixité au point qu'il puisse glisser lorsqu'on y pose le pied, y compris par temps sec comme cela était le cas le jour de l'accident, caractérise une anormalité au sens de l'article 1242 du code civil.
Il s'en déduit que ce paillasson, chose inerte, a été du fait de son anormalité l'instrument du dommage de Mme M..
Par ailleurs, aucune faute n'est établie à l'encontre de la victime dont il n'est pas soutenu qu'elle soit sortie du magasin précipitamment et le seul fait qu'elle ait glissé sur le paillasson en y posant le pied ne suffit pas à caractériser un défaut de précautions.
Il convient dés lors, réformant le jugement, de déclarer la société boulangerie pâtisserie D. entièrement responsable des conséquences dommageables de cette chute et de la condamner, in solidum avec son assureur, la compagnie Generali, qui ne conteste pas sa garantie, à indemniser Mme M. de son préjudice.
Le rapport d'expertise établi par le docteur D., expert judiciaire, mentionne que l'accident a occasionné à Mme M. une fracture malléolaire de la cheville gauche ayant justifié une ostéosynthèse par plaque vissée, le port d'un plâtre d'immobilisation jusqu'au 7 janvier 2013, un traitement anti coagulant et des soins infirmiers pendant un mois et demi ainsi que des séances de kinésithérapie.
Les conséquences médico-légales de l'accident pour Mme M. s'établissent comme suit :
- déficit fonctionnel temporaire total du 29 novembre au 3 décembre 2012,
- déficit fonctionnel temporaire partiel à 50 % du 4 décembre 2012 au 4 février 2013,
- déficit fonctionnel temporaire partiel à 25 % du 5 février au 18 avril 2013, fin de la kinésithérapie,
- déficit fonctionnel temporaire partiel à 10 % du 19 avril 2013 jusqu'à la consolidation,
- consolidation le 29 novembre 2013,
- aide humaine à raison de deux heures par jour durant la période de déficit fonctionnel temporaire à 50 % et de trois heures par semaine pendant la période de déficit fonctionnel temporaire partiel à 25 %,
- souffrances endurées 3,5/7,
- préjudice esthétique évalué à 1/7,
- déficit fonctionnel permanent de 5 %.
Ces conclusions médico-légales qui ne sont pas discutées méritent de servir de base à l'évaluation du préjudice de Mme M. :
- dépenses de santé actuelles : 14.137,88 €
Ce poste est constitué des frais d'hospitalisation, médicaux, pharmaceutiques, d'appareillage et de transport pris en charge par la caisse primaire d'assurance maladie, soit 14.137,88 €, la victime ne réclamant rien de ce chef.
- assistance par tierce personne temporaire : 2.319,00 €
Le rapport a retenu un besoin d'assistance par tierce personne à raison de deux heures par jour durant la période de déficit fonctionnel temporaire à 50 % et de trois heures par semaine pendant la période de déficit fonctionnel temporaire partiel à 25 %,
La nécessité de la présence auprès de Mme M. d'une tierce personne n'est pas contestée dans son principe ni son étendue pour l'aider dans les actes de la vie quotidienne, préserver sa sécurité, suppléer sa perte d'autonomie mais elle reste discutée dans son coût.
Eu égard à la nature de l'aide requise et du handicap qu'elle est destinée à compenser et des tarifs d'aide à domicile en vigueur dans la région, l'indemnisation se fera sur la base d'un taux horaire moyen de 15 €, ainsi que sollicité par Mme M..
L'indemnité de tierce personne s'établit donc comme suit :
- 2 heure par jour pendant 62 jours soit 62 x 2 x 15 : 1.860 €
- 3 heures par semaine pendant 10,2 semaines soit 10,2 x 3 x 15 : 459 €
2.319 €
- déficit fonctionnel temporaire partiel :1.927,80 €
Ce poste de préjudice peut être justement indemnisé à hauteur de 27 € par jour, soit 810 € par mois et fixé comme suit :
- déficit fonctionnel temporaire partiel à 50 % (62 jours) : 837,00 €
- déficit fonctionnel temporaire partiel à 25 % (72 jours) : 486,00 €
- déficit fonctionnel temporaire partiel à 10 % (224 jours) : 604,80 €
soit un total de : 1.927,80 €
- souffrances endurées : 8.000,00 €
Ce poste qui prend en considération les souffrances physiques et psychiques et les troubles associés supportés par la victime a été quantifié à 3,5/7 par l'expert.
Il justifie l'allocation d'une somme de 8.000 €.
- déficit fonctionnel permanent : 6.500,00 €
Le rapport d'expertise a fixé à 5 % le taux de ce déficit caractérisé par un enraidissement dans toutes les amplitudes et toutes les directions de la cheville gauche et une augmentation de 1/2 cm de la mensuration bi-malléolaire de cette cheville par rapport à la droite.
Compte tenu de l'âge de la victime, soit 58 ans à la date de la consolidation, il peut lui être alloué la somme de 6.500 €.
- préjudice esthétique : 1.800,00 €
Ce poste de dommage cherche à réparer les atteintes physiques et plus généralement, les éléments de nature à altérer l'apparence physique.
Qualifié par l'expert de 1/7, en raison d'une cicatrice chirurgicale malléolaire de 7 cm, il peut être justement indemnisé à hauteur de 1.800 €, ainsi que sollicité par Mme M..
Mme M. ne justifie pas d'un préjudice moral distinct, le contexte post-traumatique dont elle se prévaut en raison d'une très grosse peur de tomber, pouvant être assimilé à une souffrance morale, déjà indemnisée dans le cadre des souffrances endurées avant consolidation et du déficit fonctionnel permanent après consolidation.
Le total de l'indemnité destinée à réparer le préjudice de Mme M. s'élève donc à 34.684,68 €, soit un solde lui revenant après imputation de la créance du tiers payeur de 20.546,80 €.
Il convient en conséquence de condamner la société boulangerie pâtisserie D. et la compagnie Generali in solidum à payer à Mme M. la somme de 20.546,80 € laquelle conformément à l'article 1231-7 du code civil portera intérêts au taux légal à compter de ce jour.
La cour constate que le jugement n'est pas remis en cause en ce qu'il a débouté la caisse primaire d'assurance maladie de ses demandes.
L'équité commande de faire application de l'article 700 du code de procédure civile au profit de Mme M. et il convient de lui allouer à ce titre et pour l'ensemble de la procédure, la somme de 2.000 €.
L'équité ne commande pas de faire application de l'article 700 du code de procédure civile au profit des autres parties à l'instance.
Les dépens de première instance, incluant les frais de l'expertise judiciaire, et les dépens d'appel sont mis à la charge de la société boulangerie pâtisserie D. et de la compagnie Generali.
PAR CES MOTIFS
La cour,
statuant dans les limites de l'appel,
Infirme le jugement entrepris,
statuant de nouveau et y ajoutant,
Déclare la société boulangerie pâtisserie D. entièrement responsable des conséquences dommageables de la chute dont Mme Nicole M. a été victime le 29 novembre 2012 et dit qu'elle doit indemniser Mme M., in solidum avec son assureur, la compagnie Generali, de son préjudice.
Fixe le préjudice de Mme M. ensuite de cet accident à la somme de 34.684,68 € et après imputation de la créance de la caisse primaire d'assurance maladie, constate qu'il lui revient la somme de 20.546,80 €.
Condamne la société boulangerie pâtisserie D. et la compagnie Generali, in solidum, à payer à Mme Nicole M. la somme de VINGT MILLE CINQ CENT QUARANTE SIX EUROS QUATRE VINGT (20.546,80 €) avec intérêts au taux légal à compter de ce jour.
Condamne de même la société boulangerie pâtisserie D. et la compagnie Generali, in solidum, à payer à Mme Nicole M. la somme de DEUX MILLE EUROS (2.000 €) au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Déclare le présent arrêt commun à la caisse primaire d'assurance maladie des Bouches-du-Rhône.
Déboute les parties du surplus de leurs demandes.
Condamne la société boulangerie pâtisserie D. et la compagnie Generali in solidum, aux dépens de première instance, incluant les frais de l'expertise judiciaire, et aux dépens d'appel et accorde à Maître Dorothée S. le bénéfice de l'article 699 du code de procédure civile."
Cour d'appel, Aix-en-Provence, 1re et 6e chambres réunies, 4 Juillet 2019 – n° 18/09024