La vente séparée de l'usufruit et de la nue propriété n'empêche pas la préemption de la Safer.
"Attendu, selon l'arrêt attaqué (Nancy, 13 septembre 2016), que, par lettre du 30 août 2012, le notaire instrumentaire a informé la société d'aménagement et d'établissement rural de Lorraine devenue SAFER Grand Est (la SAFER) de la vente par M. Y... et Mme Z..., propriétaires chacun de parcelles de terre, de l'usufruit à M. X... et de la nue-propriété au groupement foncier agricole de Grisières (le GFA) ; que, par acte dressé le 17 septembre 2012, il a authentifié cette cession ; que la SAFER s'est prévalue de son droit de préemption et a saisi le tribunal de grande instance en annulation de la vente et substitution aux acquéreurs ;
Sur le premier moyen :
Attendu que M. X... et le GFA font grief à l'arrêt d'annuler la vente, alors, selon le moyen :
1°/ que le juge ne peut dénaturer le sens ni la portée, clairs et précis, des conventions qui lui sont soumises ; que l'acte authentique du 17 septembre 2012 contenait vente par Mme Y... épouse Z... et par M. Y..., à M. X... de l'usufruit des parcelles leur appartenant respectivement, et au GFA de la nue-propriété de ces mêmes parcelles ; qu'en énonçant que l'acte de vente emportait la vente, non pas de l'usufruit ou de la nue-propriété des biens concernés, mais de ces deux droits simultanément de sorte qu'il avait pour objet la vente de la pleine propriété des biens, ce dont elle a déduit que la vente était soumise au droit de préemption de la SAFER, la cour d'appel a dénaturé l'acte de vente du 17 septembre 2012 en violation de l'article 1134, devenu 1103, du code civil ;
2°/ que le droit de préemption des SAFER ne peut s'exercer qu'en cas d'aliénation à titre onéreux en pleine propriété et ne peut jouer, sauf fraude, en cas de démembrement du droit de propriété ; qu'il résultait des constatations des juges du fond que Mme Y... épouse Z... et M. Y... avaient, chacun en ce qui le concerne, cédé l'usufruit de ses biens à M. X... et la nue-propriété au GFA, la vente ayant ainsi porté sur des droits démembrés au profit de deux acquéreurs distincts ; qu'en affirmant néanmoins que cette vente était soumise au droit de préemption de la SAFER, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences qui s'évinçaient de ses propres constatations au regard des articles L. 143-1, L. 143-4, dans leur rédaction antérieure à la loi n° 2014-1170 du 13 octobre 2014, L. 143-8 et L. 412-10 du code rural et de la pêche maritime ;
3°/ que le droit de préemption des SAFER ne peut s'exercer qu'en cas d'aliénation à titre onéreux en pleine propriété et ne peut jouer, sauf fraude, en cas de démembrement du droit de propriété ; que la fraude ne peut résulter de la seule concomitance des ventes à des acquéreurs distincts de l'usufruit et de la nue-propriété de biens ruraux ; qu'en annulant la vente du 17 septembre 2012 portant sur les droits en usufruit de M. X... et en nue-propriété du GFA pour méconnaissance du droit de préemption de la SAFER, sans caractériser l'existence d'une fraude, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 143-1 et L. 143-4 du code rural et de la pêche maritime, dans leur rédaction antérieure à la loi du 13 octobre 2014 applicable à la cause ;
Mais attendu qu'ayant retenu, sans dénaturation, que l'acte du 17 septembre 2012 emportait la vente, non pas de l'usufruit ou de la nue-propriété des biens concernés, mais de celle de ces deux droits simultanément, de sorte qu'il avait pour objet le transfert, en une seule opération, de la pleine propriété, même si l'usufruit et la nue-propriété étaient cédés à deux personnes distinctes, la cour d'appel, qui n'était pas tenue de procéder à une recherche d'intention frauduleuse que ses constatations rendaient inopérante, en a exactement déduit que l'aliénation était soumise au droit de préemption de la SAFER et devait être annulée pour avoir méconnu les prérogatives d'ordre public qui en résultent ;
D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;
Mais sur le second moyen :
Vu les articles L. 412-10, R. 143-9 et R. 143-20 du code rural et de la pêche maritime, ces deux derniers dans leur rédaction applicable à la cause ;
Attendu que, pour dire que la SAFER sera substituée aux acquéreurs, l'arrêt retient que l'acte du 17 septembre 2012 a été régularisé moins de deux mois après information de la société par le notaire instrumentaire ;
Qu'en statuant ainsi, alors qu'elle avait relevé que le notaire avait envoyé une déclaration d'opération exemptée du droit de préemption et non pas une notification valant offre de vente, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé les textes susvisés ;
PAR CES MOTIFS :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il dit que la SAFER de Lorraine devenue SAFER Grand Est sera substituée à M. X... et au GFA de Grisières au prix mentionné dans la vente et ordonne la publication de la décision valant transfert de propriété sur les registres tenus par les services chargés de la publicité foncière, l'arrêt rendu le 13 septembre 2016, entre les parties, par la cour d'appel de Nancy ; remet, en conséquence, sur ces points, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Metz ;
Condamne la SAFER Grand Est aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du trente et un mai deux mille dix-huit. MOYENS ANNEXES au présent arrêt
Moyens produits par la SCP Garreau, Bauer-Violas et Feschotte-Desbois, avocat aux Conseils, pour M. X... et le GFA de Grisières
PREMIER MOYEN DE CASSATION
Le moyen reproche à l'arrêt confirmatif attaqué d'avoir annulé l'acte de vente dressé le 17 septembre 2012 par Maître B..., notaire à [...], entre M. Jean Y... et Mme Marie Y... d'une part et M. Gaëtan X... et le GFA de Grisières d'autre part, concernant des parcelles sises à [...] et cadastrées section [...] , [...][...][...] et [...], et dit que la SAFER de Lorraine sera substituée aux acquéreurs pour le prix principal de 54 000 euros s'agissant de la vente opérée par M. Jean Y... et celui de 49 830 euros pour la vente opérée par Mme Marie Y...,
AUX MOTIFS QUE « l'article L. 143-1 du code rural et de la pêche, dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2014-1170 du 13 octobre 2014 applicable en l'espèce, dispose qu'il est institué au profit des sociétés d'aménagement foncier et d'établissement rural un droit de préemption en cas d'aliénation à titre onéreux de biens immobiliers à utilisation agricole et de biens mobiliers qui leur sont attachés ou de terrains à vocation agricole, quelles que soient leurs dimensions, sous réserve des dispositions prévues au premier alinéa de l'article L. 143-7 ; qu'il résulte de ce texte qui vise le seul cas d'aliénation à titre onéreux de fonds agricoles, c'est-à-dire des biens, et non des droits, que, pour des raisons qui tiennent à la nature des missions conférées à la SAFER, les droits démembrés de la propriété se trouvent exclus du champ d'application matériel du droit de préemption de cette société ; qu'en l'espèce, les appelants soutiennent que les époux Y... ont vendu des droits, et non des biens immobiliers de sorte que l'acte du 17 septembre 2012 qui consacrait cette vente ne pouvait être considéré comme une offre de vente soumise au droit de préemption de la SAFER, mais comme une simple information faite à celle-ci ; que cependant, il est constant que l'acte du 17 septembre 2012 emportait la vente, non pas de l'usufruit ou de la nue-propriété des biens concernés, mais de ces deux droits simultanément de sorte qu'à juste titre le tribunal a considéré qu'il avait pour objet la vente de la pleine propriété des biens, même si l'usufruit et la nue-propriété étaient cédés à deux personnes distinctes, une personne physique et une personne morale, et qu'il entrait dans le champ d'application de l'article L. 143-1 du code rural et de la pêche ; »
ET AUX MOTIFS ADOPTES QUE « l'opération litigieuse ne concerne pas une cession de nue-propriété ou d'usufruit, mais la cession simultanée des deux, c'est-à-dire la cession de la pleine propriété du bien ; qu'ainsi dans la mesure où l'opération envisagée par les consorts Y... avait pour but de céder la pleine propriété des terres litigieuses au terme de la cession simultanée et dans un même acte, de l'usufruit à M. Gaëtan X... et de la nue-propriété au GFA de Grisières dont M. X... est l'associé et gérant, elle entre dans le champ d'exercice du droit de préemption de la Safer ; que la vente portant sur la pleine propriété du bien aurait dû faire l'objet d'une déclaration d'intention d'aliéner par le notaire auprès de la Safer de Lorraine ; qu'à défaut il convient d'annuler la vente ainsi intervenue, conformément aux dispositions de l'article L. 412-10 du code rural et de la pêche maritime, »
1) ALORS QUE le juge ne peut dénaturer le sens ni la portée, clairs et précis, des conventions qui lui sont soumises ; que l'acte authentique du 17 septembre 2012 contenait vente par Mme Y... épouse Z... et par M. Y..., à M. X... de l'usufruit des parcelles leur appartenant respectivement, et au GFA de Grisières de la nue-propriété de ces mêmes parcelles ; qu'en énonçant que l'acte de vente emportait la vente, non pas de l'usufruit ou de la nue-propriété des biens concernés, mais de ces deux droits simultanément de sorte qu'il avait pour objet la vente de la pleine propriété des biens, ce dont elle a déduit que la vente était soumise au droit de préemption de la SAFER, la cour d'appel a dénaturé l'acte de vente du 17 septembre 2012 en violation de l'article 1134, devenu 1103, du code civil ;
2) ALORS QUE le droit de préemption des SAFER ne peut s'exercer qu'en cas d'aliénation à titre onéreux en pleine propriété et ne peut jouer, sauf fraude, en cas de démembrement du droit de propriété ; qu'il résultait des constatations des juges du fond que Mme Y... épouse Z... et M. Y... avaient, chacun en ce qui le concerne, cédé l'usufruit de ses biens à M. X... et la nue-propriété au GFA de Grisières, la vente ayant ainsi porté sur des droits démembrés au profit de deux acquéreurs distincts ; qu'en affirmant néanmoins que cette vente était soumise au droit de préemption de la Safer, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences qui s'évinçaient de ses propres constatations au regard des articles L. 143-1, L. 143-4, dans leur rédaction antérieure à la loi n° 2014-1170 du 13 octobre 2014, L. 143-8 et L. 412-10 du code rural et de la pêche maritime ;
3) ALORS QUE le droit de préemption des SAFER ne peut s'exercer qu'en cas d'aliénation à titre onéreux en pleine propriété et ne peut jouer, sauf fraude, en cas de démembrement du droit de propriété ; que la fraude ne peut résulter de la seule concomitance des ventes à des acquéreurs distincts de l'usufruit et de la nue-propriété de biens ruraux ; qu'en annulant la vente du 17 septembre 2012 portant sur les droits en usufruit de M. Gaëtan X... et en nue-propriété du GFA de Grisières pour méconnaissance du droit de préemption de la SAFER de Lorraine, sans caractériser l'existence d'une fraude, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 143-1 et L. 143-4 du code rural et de la pêche maritime, dans leur rédaction antérieure à la loi du 13 octobre 2014 applicable à la cause.
SECOND MOYEN DE CASSATION (Subsidiaire)
Le moyen reproche à l'arrêt confirmatif attaqué d'avoir annulé l'acte de vente dressé le 17 septembre 2012 par Maître B..., notaire à [...], entre M. Jean Y... et Mme Marie Y... d'une part et M. Gaëtan X... et le GFA de Grisières d'autre part, concernant des parcelles sises à [...], cadastrées section [...] , [...][...][...] et [...], et dit que la SAFER sera substituée aux acquéreurs pour le prix principal de 54 000 euros s'agissant de la vente opérée par M. Jean Y... et celui de 49 830 euros pour la vente opérée par Mme Marie Y...,
AUX MOTIFS QUE « l'article R. 143-20 du code rural dispose que si un immeuble sur lequel aurait pu être exercé le droit de préemption a été aliéné au profit d'un tiers en violation des dispositions du présent chapitre, la société d'aménagement foncier et d'établissement rural peut demander au tribunal de grande instance de se prononcer sur l'application des dispositions, selon le cas, de l'article L. 412-10 ou du troisième alinéa de l'article L. 412-12 ; que selon l'article L. 412-10 du même code, dans le cas où le propriétaire bailleur vend son fonds à un tiers soit avant l'expiration des délais prévus à l'article précédent, soit à un prix ou à des conditions de paiement différents de ceux demandés par lui au bénéficiaire du droit de préemption ou lorsque le propriétaire bailleur exige du bénéficiaire du droit de préemption des conditions tendant à l'empêcher d'acquérir, le tribunal paritaire, saisi par ce dernier, doit annuler la vente et déclarer ledit bénéficiaire acquéreur aux lieu et place du tiers, aux conditions communiquées, sauf, en cas de vente à un prix inférieur à celui notifié, à le faire bénéficier de ce même prix ; qu'en l'espèce, alors que la SAFER disposait d'un délai de deux mois pour lever l'option et décider d'exercer ou non son droit de préemption, l'acte de vente a été signé le 17 septembre 2012, soit moins de deux mois après qu'elle eut été informée par le notaire instrumentaire, le 30 août précédent, du projet de vente ; qu' en conséquence c'est à juste titre que le tribunal, faisant application des textes précédemment rappelés, a annulé la vente, déclaré la SAFER de Lorraine substituée aux acquéreurs, M. Gaëtan X... et le G.F.A. de Grisières, au prix de 49 830 € en ce qui concerne la parcelle de terre vendue par Mme Marie Y..., et au prix de 54 000 € en ce qui concerne les parcelles de terre vendues par M. Jean Y..., et dit que son jugement serait publié au Service de la Publicité foncière pour valoir transfert de propriété opposable aux tiers » ;
ET AUX MOTIFS ADOPTES QUE « la vente portant sur la pleine propriété du bien aurait dû faire l'objet d'une déclaration d'intention d'aliéner par le notaire auprès de la Safer de Lorraine ; qu'à défaut, il convient d'annuler la vente ainsi intervenue conformément aux dispositions de l'article L. 412-10 du code rural et de la pêche maritime, »
1) ALORS QUE la cassation du chef de l'arrêt attaqué en ce qu'il a prononcé l'annulation de l'acte de vente du 17 septembre 2012, entraînera, par voie de conséquence nécessaire, celle du chef l'arrêt ayant dit que la Safer de Lorraine serait substituée aux acquéreurs, en application de l'article 624 du code de procédure civile ;
2) ALORS QUE le notaire chargé de rédiger l'acte authentique de vente d'un bien rural situé dans le périmètre de préemption d'une SAFER doit préalablement informer la SAFER concernée de l'aliénation projetée portant sur l'usufruit ou la nue-propriété de biens ruraux visés à l'article L. 141-1 II, 1° du code rural et de la pêche maritime ; que la déclaration d'intention d'aliéner ne vaut pas offre de vente au profit de la SAFER et ne peut donner ouverture à son droit de préemption et, partant, à une substitution de celle-ci à l'acquéreur ; qu'en retenant que l'acte du 17 septembre 2012 avait pour objet la vente de la pleine propriété des biens et avait été signé moins de deux mois après que la SAFER eut été informée par le notaire instrumentaire, le 30 août précédent, du projet de vente, pour annuler la vente et dire la SAFER substituée aux acquéreurs, la cour d'appel a violé les articles L. 141-1, L. 412-10, R. 143-9 et R. 143-20 du code rural et de la pêche maritime, ces derniers dans leur rédaction alors en vigueur ;
3) ALORS QU'en toute hypothèse, dans tous les cas où le bénéficiaire du droit de préemption n'a pu exercer ce droit par suite de la non exécution par le propriétaire des obligations mises à sa charge concernant la notification des conditions de la vente, il est recevable à intenter une action en nullité et en dommages-intérêts, sans qu'il soit question de substitution ; qu'en déclarant la SAFER de Lorraine substituée aux acquéreurs, tout en constatant que les vendeurs s'étaient bornés à adresser au notaire une déclaration concernant la vente, alors qu'elle aurait dû faire l'objet d'une déclaration d'intention d'aliéner, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision au regard des articles L. 143-1, L. 143-8, L. 412-10, L. 412-12, et R. 143-20 du code rural et de la pêche maritime, ce dernier dans sa rédaction alors en vigueur."