Cet arrêt du Conseil d'Etat annule la décision rendue en première instance qui avait déclaré irrecevable le recours d'une voisine d'un projet de lotissement au motif que celle-ci "aurait dû expliquer en quoi l'aménagement autorisé était de nature à affecter directement les conditions d'occupation, d'utilisation ou de jouissance de son bien".
"Vu la procédure suivante :
Mme B...D...a demandé au tribunal administratif de Marseille d'annuler l'arrêté du 18 mars 2014 par lequel le maire de Peynier a délivré à Mme C...A...un permis d'aménager un lotissement de sept lots. Par une ordonnance n° 1403548 du 3 novembre 2014, le président de la 2ème chambre du tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande.
Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et deux nouveaux mémoires, enregistrés les 5 janvier et 2 avril 2015 et les 20 et 27 avril 2016 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, Mme D...demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler cette ordonnance ;
2°) de mettre à la charge de la commune de Peynier la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code de l'urbanisme ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Cyrille Beaufils, auditeur,
- les conclusions de Mme Suzanne von Coester, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Monod, Colin, Stoclet, avocat de Mme D...et à la SCP Rocheteau, Uzan-Sarano, avocat de la commune de Peynier ;
1. Considérant, d'une part, qu'aux termes de l'article L. 600-1-2 du code de l'urbanisme : " Une personne autre que l'Etat, les collectivités territoriales ou leurs groupements ou une association n'est recevable à former un recours pour excès de pouvoir contre un permis de construire, de démolir ou d'aménager que si la construction, l'aménagement ou les travaux sont de nature à affecter directement les conditions d'occupation, d'utilisation ou de jouissance du bien qu'elle détient ou occupe régulièrement ou pour lequel elle bénéficie d'une promesse de vente, de bail, ou d'un contrat préliminaire mentionné à l'article L. 261-15 du code de la construction et de l'habitation " ;
2. Considérant qu'il résulte de ces dispositions qu'il appartient, en particulier, à tout requérant qui saisit le juge administratif d'un recours pour excès de pouvoir tendant à l'annulation d'un permis de construire, de démolir ou d'aménager, de préciser l'atteinte qu'il invoque pour justifier d'un intérêt lui donnant qualité pour agir, en faisant état de tous éléments suffisamment précis et étayés de nature à établir que cette atteinte est susceptible d'affecter directement les conditions d'occupation, d'utilisation ou de jouissance de son bien ; qu'il appartient au défendeur, s'il entend contester l'intérêt à agir du requérant, d'apporter tous éléments de nature à établir que les atteintes alléguées sont dépourvues de réalité ; que le juge de l'excès de pouvoir apprécie la recevabilité de la requête au vu des éléments ainsi versés au dossier par les parties, en écartant le cas échéant les allégations qu'il jugerait insuffisamment étayées mais sans pour autant exiger de l'auteur du recours qu'il apporte la preuve du caractère certain des atteintes qu'il invoque au soutien de la recevabilité de celui-ci ; qu'eu égard à sa situation particulière, le voisin immédiat justifie, en principe, d'un intérêt à agir lorsqu'il fait état devant le juge, qui statue au vu de l'ensemble des pièces du dossier, d'éléments relatifs à la nature, à l'importance ou à la localisation du projet de construction ;
3. Considérant, d'autre part, qu'aux termes de l'article R. 222-1 du code de justice administrative : " Les présidents de tribunal administratif et de cour administrative d'appel, les premiers vice-présidents des tribunaux et des cours, le vice-président du tribunal administratif de Paris et les présidents de formation de jugement des tribunaux et des cours peuvent, par ordonnance : (...) 4° Rejeter les requêtes manifestement irrecevables, lorsque la juridiction n'est pas tenue d'inviter leur auteur à les régulariser ou qu'elles n'ont pas été régularisées à l'expiration du délai imparti par une demande en ce sens (...) " ; que le juge administratif, saisi d'un recours pour excès de pouvoir tendant à l'annulation d'un permis de construire, de démolir ou d'aménager, peut, lorsque le requérant, pour justifier d'un intérêt lui donnant qualité pour agir, n'a pas fait apparaître suffisamment clairement en quoi les conditions d'occupation, d'utilisation ou de jouissance de son bien sont susceptibles d'être directement affectées par le projet litigieux, rejeter la requête comme manifestement irrecevable par ordonnance, sans audience publique, sur le fondement du 4° de l'article R. 222-1 du code de justice administrative, y compris dans l'hypothèse où le requérant aurait été préalablement invité par la juridiction à apporter des précisions ;
4. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis au juge du fond que, pour justifier de son intérêt à demander l'annulation du permis d'aménager litigieux, Mme D... s'est bornée à joindre à sa demande copie de la demande de permis, du permis délivré ainsi que d'un plan indiquant l'implantation des constructions envisagées ; que le greffe du tribunal administratif de Marseille a invité la requérante, par un courrier du 3 juin 2014, à régulariser sa demande en apportant les précisions permettant d'en apprécier la recevabilité au regard des exigences de l'article L. 600-1-2 du code de l'urbanisme ; que l'intéressée a fourni un acte de notoriété et une facture d'électricité établissant sa qualité de propriétaire voisin ainsi qu'un extrait de plan cadastral faisant apparaître la localisation du terrain d'assiette du projet par rapport à sa parcelle ainsi que la proximité de sa maison d'habitation avec ce lotissement et la voie d'accès à ce dernier ; que l'ordonnance attaquée rejette toutefois sa demande pour irrecevabilité manifeste, faute que Mme D...justifie d'un intérêt pour agir suffisant, en relevant que l'intéressée aurait dû expliquer en quoi l'aménagement autorisé était de nature à affecter directement les conditions d'occupation, d'utilisation ou de jouissance de son bien ; qu'en se prononçant ainsi, alors que la requérante avait apporté la preuve de sa qualité de voisin du projet litigieux et fourni des documents cartographiques permettant d'apprécier la nature, l'importance et la localisation du projet contesté, le président de la 2ème chambre du tribunal administratif de Marseille a méconnu, au prix d'une erreur de droit, les règles d'application de l'article L. 600-1-2 du code de l'urbanisme rappelées au point 2 ;
5. Considérant qu'il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner l'autre moyen du pourvoi, que Mme D...est fondée à demander l'annulation de l'ordonnance qu'elle attaque ;
6. Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la commune de Peynier la somme de 3 000 euros à verser à Mme D...au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ; que ces mêmes dispositions font, en revanche, obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de MmeD..., qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante ;
D E C I D E :
Article 1er : L'ordonnance du 3 novembre 2014 du président de la 2ème chambre du tribunal administratif de Marseille est annulée.
Article 2 : L'affaire est renvoyée au tribunal administratif de Marseille.
Article 3 : La commune de Peynier versera à Mme D...une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Les conclusions de la commune de Peynier présentées au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 5 : La présente décision sera notifiée à Mme B...D...et à la commune de Peynier.
Copie en sera adressée à Mme C...A...."