Une commune ne peut renoncer à préempter (droit de préemption à l'occasion de la cession d'un fonds de commerce ou d'un bail commercial) puis changer d'avis :
"La société LB Prestations de service et la société Flash Back ont demandé au tribunal administratif de Cergy-Pontoise d'annuler pour excès de pouvoir la décision du 2 juillet 2010 par laquelle le maire de la commune de Gennevilliers a décidé d'exercer le droit de préemption urbain sur une cession de droit au bail consentie par la société Flash Back pour des locaux situés 78 avenue Gabriel Péri. Par un jugement n° 1005512 du 9 mars 2012, le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a rejeté leur demande.
Par un arrêt n°s 12VE01796, 12VE01797 du 17 octobre 2013, sur appel des sociétés LB Prestations de service et Flash Back, la cour administrative d'appel de Versailles a annulé ce jugement et la décision de préemption du 2 juillet 2010, jugé qu'il n'y avait pas lieu de statuer sur la demande de sursis à exécution du jugement et rejeté les conclusions de la requête d'appel en tant qu'elles étaient présentées par la société Flash Back.
Procédure devant le Conseil d'Etat
Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 15 janvier 2014, 15 avril 2014 et 4 mars 2015 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la commune de Gennevilliers demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler cet arrêt de la cour administrative d'appel de Versailles en tant qu'il annule le jugement du tribunal administratif de Cergy-Pontoise du 9 mars 2012 et la décision de la commune du 2 juillet 2010 ;
2°) réglant l'affaire au fond, de rejeter l'appel de la société LB Prestations de service et de la société Flash Back ;
3°) de mettre à la charge de la société LB Prestations de service et de la société Flash Back la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code de l'urbanisme ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Henri Plagnol, conseiller d'Etat,
- les conclusions de M. Alexandre Lallet, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Lyon-Caen, Thiriez, avocat de la commune de Gennevilliers et à la SCP Didier, Pinet, avocat de la société LB Prestations de service ;
1. Considérant qu'aux termes de l'article L. 214-1 du code de l'urbanisme, dans sa rédaction applicable à la date de la décision en litige : " Le conseil municipal peut, par délibération motivée, délimiter un périmètre de sauvegarde du commerce et de l'artisanat de proximité, à l'intérieur duquel sont soumises au droit de préemption institué par le présent chapitre les cessions de fonds artisanaux, de fonds de commerce ou de baux commerciaux. / (...) / Chaque cession est subordonnée, à peine de nullité, à une déclaration préalable faite par le cédant à la commune. Cette déclaration précise le prix et les conditions de la cession. / Le droit de préemption est exercé selon les modalités prévues par les articles L. 213-4 à L. 213-7. Le silence de la commune pendant le délai de deux mois à compter de la réception de cette déclaration vaut renonciation à l'exercice du droit de préemption. Le cédant peut alors réaliser la vente aux prix et conditions figurant dans sa déclaration " ; qu'aux termes de l'article R. 214-5 du même code, dans sa rédaction alors applicable : " Dans un délai de deux mois à compter de la réception de la déclaration préalable, le titulaire du droit de préemption notifie au cédant soit sa décision d'acquérir aux prix et conditions indiqués dans la déclaration préalable, soit son offre d'acquérir aux prix et conditions fixés par l'autorité judiciaire saisie dans les conditions prévues à l'article R. 214-6, soit sa décision de renoncer à l'exercice du droit de préemption. / Il notifie sa décision au cédant par pli recommandé avec demande d'avis de réception (...) " ; qu'en vertu de l'article A. 214-1 du même code, dans sa rédaction alors applicable, la déclaration préalable prévue par les articles L. 214-1 et R. 214-4 doit être établie conformément à un formulaire enregistré par la direction générale de la modernisation de l'Etat ;
2. Considérant qu'il résulte de ces dispositions que le titulaire du droit de préemption dispose pour exercer ce droit d'un délai de deux mois qui court à compter de la réception de la déclaration préalable ; que ces dispositions visent notamment à ce que les propriétaires qui ont décidé de vendre un bien susceptible de faire l'objet d'une décision de préemption sachent de façon certaine et dans de brefs délais s'ils peuvent ou non poursuivre l'aliénation envisagée ; que, dans l'hypothèse d'une déclaration incomplète, le titulaire du droit de préemption peut adresser au propriétaire une demande de précisions complémentaires, qui proroge le délai de deux mois ; qu'en revanche, lorsqu'il a décidé de renoncer à exercer le droit de préemption, que ce soit par l'effet de l'expiration du délai de deux mois, le cas échéant prorogé, ou par une décision explicite prise avant l'expiration de ce délai, il se trouve dessaisi et ne peut, par la suite, retirer cette décision ni, par voie de conséquence, légalement exercer son droit de préemption ; que si la cession est intervenue et s'il estime que la déclaration préalable sur la base de laquelle il a pris sa décision était entachée de lacunes substantielles de nature à entraîner la nullité de la cession, il lui est loisible de saisir le juge judiciaire d'une action à cette fin ;
3. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que le 29 avril 2010, par un acte sous seing privé, la société Flash Back et la société LB Prestations de service ont conclu une promesse de cession de droit au bail pour des locaux inclus dans un périmètre de sauvegarde du commerce et de l'artisanat de proximité, à l'intérieur duquel la commune de Gennevilliers dispose d'un droit de préemption des fonds artisanaux, fonds de commerce et baux commerciaux ; que la société Flash Back a adressé à la commune une déclaration préalable, reçue par les services de la commune le 4 mai 2010 ; que la commune a, par une décision du 2 juillet 2010 notifiée le jour même, exercé son droit de préemption sur la cession du droit au bail ;
4. Considérant, en premier lieu, que la cour administrative d'appel de Versailles a relevé qu'il ressortait clairement des indications portées par la société Flash Back sur le formulaire Cerfa de déclaration préalable à la cession que celle-ci concernait l'aliénation d'un droit au bail ; qu'en jugeant qu'il ressortait des pièces du dossier qui lui était soumis que la commune avait, par une décision du 20 mai 2010, prise sous la forme d'une mention portée sur le formulaire de déclaration préalable, expressément renoncé à exercer son droit de préemption sur cette cession, la cour a suffisamment motivé son arrêt et n'a pas commis d'erreur de droit ;
5. Considérant, en deuxième lieu, que la cour n'a entaché son arrêt ni d'insuffisance de motivation ni d'erreur de droit en jugeant, sans dénaturer la portée de l'argumentation dont elle était saisie, que la commune ne pouvait utilement se prévaloir des circonstances que la lettre adressée le 1er juin 2010 par la commune de Gennevilliers à la société Flash Back, avec la décision de renonciation à préempter du 20 mai 2010, elle-même matérialisée par une mention portée, sous la signature du premier adjoint au maire, sur le formulaire Cerfa de déclaration de cession d'un bail commercial, n'aurait pas été signée par un agent communal disposant d'une délégation régulière et aurait été adressée à la société Flash Back par courrier simple, et non par lettre recommandée avec demande d'accusé de réception ;
6. Considérant, en troisième lieu, que le formulaire Cerfa auquel renvoie l'article A. 214-1 du code de l'urbanisme, qui définit l'intégralité des obligations du déclarant, prévoyait, dans sa version en vigueur à la date des faits soumis à la cour, la mention de l'activité du cédant mais non celle que le cessionnaire envisageait d'exercer ; qu'après avoir relevé que la société Flash Back avait rempli le formulaire de déclaration et que celui-ci faisait clairement apparaître que l'aliénation prévue portait sur un droit au bail, la cour, qui a suffisamment motivé son arrêt sur ce point, a pu juger, sans dénaturer les faits qui lui étaient soumis ni commettre d'erreur de droit, que la commune n'avait pas été induite en erreur sur la consistance de la cession envisagée ; qu'en tout état de cause, il résulte de ce qui a été dit au point 2 ci-dessus que la cour n'a pas commis d'erreur de droit en jugeant que la commune ne pouvait légalement retirer, par sa décision du 2 juillet 2010, sa décision du 20 mai 2010 de renoncer à l'exercice du droit de préemption ;
7. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que la commune de Gennevilliers n'est pas fondée à demander l'annulation de l'arrêt qu'elle attaque ;
8. Considérant que les conclusions de la commune de Gennevilliers présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent, par suite, qu'être rejetées ; que les conclusions présentées au même titre par la société Flash Back, qui ne s'est pas pourvue en cassation contre l'arrêt de la cour qui rejette son appel comme irrecevable, ne doivent également être rejetées ; qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la commune de Gennevilliers une somme de 1 500 euros à verser à la société LB Prestations de service au titre des mêmes dispositions ;
D E C I D E :
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Article 1er : Le pourvoi de la commune de Gennevilliers est rejeté.
Article 2 : La commune de Gennevilliers versera à la société LB Prestations de service une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Les conclusions de la société Flash Back présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à la commune de Gennevilliers, à la société LB Prestations de service et à la société Flash Back."