Principe affirmé par cet arrêt :
"Vu les articles 637 et 686 du code civil ;
Attendu qu'une servitude est une charge imposée sur un héritage pour l'usage et l'utilité d'un héritage appartenant à un autre propriétaire ; que s'il est permis aux propriétaires d'établir sur leur fonds ou en faveur de leurs propriétés telles servitudes que bon leur semble, c'est à la condition que les services établis ne soient imposés ni à la personne ni en faveur de la personne, mais seulement à un fonds et pour un fonds ;
Attendu selon l'arrêt attaqué (Paris, 20 mai 2010) que le propriétaire de l'immeuble sis ... à Alfortville a conclu en 1954 avec l'Electricité de France une convention par laquelle il donnait à bail à celle-ci une parcelle de 20 m ² dépendant de l'immeuble en cause, aux fins d'y édifier un poste de transformateur, pour une durée de trente ans et moyennant un loyer ; qu'acquéreur en 2004 de l'immeuble, la société civile immobilière des Jean, désireuse d'effectuer des travaux, a demandé le déplacement du transformateur ; que devant le refus d'Electricité de France, la société civile immobilière des Jean a demandé la conclusion d'un nouveau bail ; qu'Electricité de France a exposé que la convention de 1954 n'était pas constitutive d'un bail mais d'une servitude grevant l'immeuble ; que la société civile immobilière des Jean a alors assigné Electricité de France pour voir ordonner la conclusion d'un nouveau bail actualisé ;
Attendu que pour rejeter la demande, l'arrêt énonce par motifs propres et adoptés que la convention de 1954 doit s'analyser en une convention de servitude ayant pour objet d'instaurer une charge grevant le terrain en cause au profit d'un fonds dominant, en l'espèce constitué par le réseau de distribution électrique ;
Qu'en statuant ainsi, alors que le réseau de distribution électrique ne peut constituer un fonds dominant la cour d'appel a violé les textes susvisés ;
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur le second moyen :
CASSE ET ANNULE dans toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 20 mai 2010, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Paris, autrement composée ;
Condamne la société ERDF aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, condamne la société ERDF à payer à la société civile immobilière des Jean la somme de 2 500 euros ; rejette la demande de la société ERDF ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, troisième chambre civile, et prononcé par Madame le président en l'audience publique du treize juin deux mille douze, signé par Mme Fossaert, président, et par Mme Berdeaux, greffier de chambre, qui a assisté au prononcé de l'arrêt ;
MOYENS ANNEXES au présent arrêt
Moyens produits par Me Foussard, avocat aux Conseils, pour la société des Jean
PREMIER MOYEN DE CASSATION L'arrêt attaqué encourt la censure ;
EN CE QU'il a débouté la SCI DES JEAN des demandes qu'elle formait contre la société ERDF ;
AUX MOTIFS QUE « la SCI a acquis le 30 décembre 2004 un immeuble sis ... à Alfortville sur le terrain duquel se trouve un transformateur EDF ; qu'après avoir en vain sollicité le déplacement de ce poste, EDF se prévalant d'une convention signée en 1954 avec le propriétaire de l'époque, la SCI l'a assignée aux fins qu'elle reprend devant la cour, le tribunal l'ayant déboutée de ses demandes en retenant qu'en dépit de sa dénomination de bail l'acte de 1954 devait s'analyser en une convention de servitude, désormais acquise au profit d'EDF ; qu'au soutien de son appel la SCI fait valoir que le premier juge ne pouvait requalifier le contrat de bail, qui prévoyait le paiement d'un loyer, répondait aux conditions des articles 1709 et suivants du code civil et résultait de la commune intention des parties, en constitution d'une servitude, laquelle ne se présume pas, et que la prescription acquisitive est incompatible avec la situation de locataire ; que la société EDF réplique que la convention en cause présente toutes les caractéristiques d'une convention de servitude, quant à son objet, sa durée, son prix (symbolique) et au fait qu'elle a été enregistrée et transcrite au bureau des hypothèques, ce qui n'est pas l'usage en matière de baux, et que l'article 690 du code civil est applicable ; qu'en cause d'appel la société appelante reprend l'argumentation qu'elle avait soutenue devant le premier juge, qui a répondu par des motifs pertinents que la cour adopte ; qu'il suffit de rappeler que l'objet de la convention signée en 1954 consistait dans la mise à disposition par le propriétaire de l'immeuble d'un terrain de 20 m ² environ sur l'emplacement duquel EDF édifierait un local à usage de transformateur auquel elle aurait libre accès, et de préciser que la redevance annuelle de 100F prévue en contrepartie correspond à une somme de 2 €, ce qui ne saurait correspondre à la contrepartie financière sérieuse caractérisant le louage de choses ; qu'il y a lieu en conséquence de confirmer le jugement entrepris » (arrêt, p. 2 et 3) ;
Et AUX MOTIFS ADOPTES QUE « qu'il résulte des débats et de l'examen des pièces produites, que la SCI DES JEAN a acquis le 30 décembre 2004 un ensemble immobilier comportant notamment un terrain sur lequel est implanté un poste de transformation électrique dénommé poste « Flore » ; qu'il existe une convention intitulée « bail », enregistrée le 10 septembre 1954 et convenue entre l'Electricité de France et la société Ateliers LBM, propriétaire d'alors, relative à l'édification du poste ; qu'en dépit de la dénomination précitée de la convention en cause, il y a lieu de relever que celle-ci doit s'analyser en une convention de servitude ; qu'en effet elle a pour objet d'instaurer une charge grevant le terrain en cause, au profit d'un fond dominant en l'espèce constitué par le réseau de distribution électrique, moyennant une redevance symbolique et pour une durée de trente ans ; qu'il y a de surcroît lieu de constater que cette convention a été enregistrée au Bureau des hypothèques de la Seine ; que dès lors, dans la mesure où l'installation du poste date de 1954 et que l'occupation a été continue et apparente sans relever d'un bail réel, il y a lieu de constater que l'occupation du terrain par le poste constitue une servitude désormais acquise au profit de la société EDF impliquant de débouter la SCI DES JEAN de l'ensemble de ses demandes » (jugement, p. 3) ;
ALORS QU'une servitude ne peut être établie que sur un fonds pour le service d'un autre fonds ; qu'au cas d'espèce, en écartant la qualification de bail au profit de celle de servitude conventionnelle, pour régir les rapports entretenus entre la SCI DES JEAN et la société ERDF, quand il résultait de leurs propres constatations qu'il n'existait pas de fonds dominant, puisque la prétendue servitude avait été constituée au profit du « réseau de distribution électrique », les juges du fond ont violé les articles 637, 639, 686 et 687 du Code civil.
SECOND MOYEN DE CASSATION
L'arrêt attaqué encourt la censure ;
EN CE QU'il a débouté la SCI DES JEAN des demandes qu'elle formait contre la société ERDF ;
AUX MOTIFS ADOPTES QUE « dans la mesure où l'installation du poste date de 1954 et que l'occupation a été continue et apparente sans relever d'un bail réel, il y a lieu de constater que l'occupation du terrain par le poste constitue une servitude désormais acquise au profit de la société EDF impliquant de débouter la SCI DES JEAN de l'ensemble de ses demandes » (jugement, p. 3, alinéa 2 in fine) ;
ALORS QUE celui qui a commencé à posséder pour autrui est toujours présumé posséder au même titre, s'il n'y a preuve du contraire ; qu'au cas d'espèce, à supposer que les juges du fond aient considéré qu'en toute hypothèse, la société ERDF (venant aux droits de la société EDF) avait acquis la servitude litigieuse par prescription, l'arrêt devrait être censuré pour violation des articles 690 et 2257 du Code civil, dès lors qu'il était retenu par ailleurs que la possession de la servitude par la société ERDF résultait d'une
convention, peu important sa qualification exacte, de sorte que seule une interversion de son titre pouvait lui permettre de posséder à titre de propriétaire et que les juges du fond n'ont pas relevé les actes manifestant la volonté de la société ERDF de se comporter en véritable propriétaire en contradiction avec les droits de la SCI DES JEAN."