Le Droit de Préemption du Locataire Commercial selon l'Article L145-46-1 du Code de Commerce (dimanche, 16 mars 2025)

Un article sur le droit de préemption du locataire commercial selon l'article L145-46-1 du Code de Commerce.

une rue commercante de toscane en pastel

 

Le droit de préemption du locataire commercial selon l'article L145-46-1 du Code de commerce

 

Le droit de préemption du locataire commercial, institué par la loi Pinel du 18 juin 2014 et codifié à l'article L145-46-1 du Code de commerce, constitue une innovation majeure dans les relations entre bailleurs et entrepreneurs commerciaux.

Ce dispositif confère au locataire commercial une priorité sur la vente du local qu'il occupe.

La jurisprudence n'a arrêté d'apporter des précisions sur ce mécanisme, initialement conçu pour soutenir les petites entreprises commerciales face à la pression immobilière des centres-villes.

Cet article analyse les conditions d'application de ce droit ainsi que ses effets juridiques.

I. Les conditions d'application du droit de préemption du locataire commercial

A. Le champ d'application matériel

1. Les locaux concernés

L'article L145-46-1 du Code de commerce vise spécifiquement les locaux à usage commercial ou artisanal.

La notion a été progressivement précisée par la jurisprudence.

Ainsi, dans un arrêt constaté de la Cour d'appel de Paris du 1ᵉʳ décembre 2021, le droit de préemption a été étendu aux locaux à usage de bureaux. Cette interprétation extensive inclut donc les bureaux à usage commercial, tels que les agences bancaires, les agences de voyage, les agences immobilières et les agences de publicité. En revanche, les bureaux des professionnels libéraux restent exclus du dispositif .

2. Les types de baux visés

Le droit de préemption s'applique uniquement aux baux commerciaux de droit commun. Sont exclus les baux de courte durée (baux dérogatoires prévus à l'article L145-5 du Code de commerce) et les conventions d'occupation précaire.

Un point essentiel concerne la qualité de locataire : le droit de préemption ne peut pas être exercé par celui qui a perdu la qualité de locataire, comme dans le cas d'un congé avec refus de renouvellement.

3. Les ventes concernées

L'article L145-46-1 précise que le propriétaire doit "envisager" de vendre le local, ce qui restreint son champ d'application aux ventes volontaires. La jurisprudence a clarifié ce point en excluant les ventes forcées et les ventes sur adjudication.

De même, la Cour de cassation a jugé que la vente de gré à gré d'un actif immobilier dépendant d'une liquidation judiciaire, considérée comme une vente faite d'autorité de justice, ne donne pas lieu à l'exercice du droit de préemption.

4. Les exceptions légales

Le législateur a prévu plusieurs exceptions limitant l'exercice du droit de préemption :

  •  La cession unique de plusieurs locaux d'un ensemble commercial.

  •  La cession unique de locaux commerciaux distincts.

  •  La cession d'un local commercial au copropriétaire d'un ensemble commercial.

  •  La cession globale d'un immeuble comprenant des locaux commerciaux.

  •  La cession d'un local au conjoint du bailleur ou à un ascendant ou un descendant du bailleur ou de son conjoint.

B. Les modalités procédurales

1. L'obligation de notification du propriétaire

Lorsque le propriétaire envisage de vendre le local commercial, il doit en informer le locataire par lettre recommandée avec demande d'avis de réception, ou par remise en main propre contre récépissé ou émargement. Cette notification doit, à peine de nullité, indiquer le prix et les conditions de la vente envisagée. Elle vaut offre de vente au profit du locataire.

2. Les délais d'exercice du droit de préemption

Le locataire dispose d'un délai d'un mois à compter de la réception de la notification pour se prononcer sur l'offre de vente. En cas d'acceptation, il bénéficie d'un délai de deux mois pour la réalisation de la vente, à compter de la date d'envoi de sa réponse au bailleur. Si le locataire indique son intention d'utiliser à un prêt, ce délai est porté à quatre mois. L'absence de réalisation de la vente dans ces délais rend l'acceptation sans effet.

3. Le cas particulier de la vente à des conditions plus avantageuses

Si le propriétaire décide de vendre à des conditions ou à un prix plus avantageux que ceux notifiés initialement, le notaire doit, lorsque le bailleur n'y a pas procédé préalablement, notifier au locataire ces nouvelles conditions, à peine de nullité de la vente. Cette nouvelle notification vaut offre de vente et les mêmes délais s'appliquent.

II. Les effets du droit de préemption du locataire commercial

A. Les conséquences de l'exercice du droit de préemption

1. La formation du contrat de vente

L'acceptation par le locataire de l'offre de vente notifiée rend la vente parfaite, sans possibilité pour le bailleur de se rétracter. La Cour de cassation l'a clairement affirmé dans un arrêt du 28 juin 2018, en considérant que la vente était parfaite dès lors que le preneur avait fait connaître au bailleur son acceptation d'acquérir au prix proposé. Cette solution s'inscrit dans la logique du droit de préemption, qualifié de disposition d'ordre public par la jurisprudence.

2. La substitution du locataire à l'acquéreur initial

L'exercice du droit de préemption par le locataire s'analyse comme une substitution d'acquéreur, le préempteur venant aux lieu et place de l'acquéreur d'origine. Le locataire préempteur reprend à son compte toutes les obligations contractées par l'acquéreur initial. Cette substitution est l'effet principal du droit de préemption et permet au locataire de devenir propriétaire du local qu'il exploite.

 

B. Les sanctions en cas de violation

1. La nullité de la vente

La sanction majeure en cas de violation du droit de préemption est la nullité de la vente conclue avec un tiers.

 

Cette nullité est expressément prévue par l'article L145-46-1 du Code de commerce et vise à garantir l'effectivité du droit de préemption. La jurisprudence récente a précisé la portée de cette sanction : la destruction de l'immeuble vendu, intervenue en cours de procédure, ne prive pas le locataire de la possibilité de faire annuler la vente réalisée en violation de son droit de préférence (Cass. 3e civ., 14 sept. 2023).

2. Les actions offertes au locataire lésé

Le locataire dont le droit de préemption a été méconnu dispose de plusieurs actions. Outre l'action en nullité de la vente, il peut demander l'indemnisation de son préjudice. La Cour de cassation a consacré cette possibilité, même dans l'hypothèse où l'immeuble aurait été détruit après la vente litigieuse.

3. L'indemnisation du préjudice

Le préjudice résultant de la violation du droit de préemption peut faire l'objet d'une indemnisation au profit du locataire. Ce préjudice s'analyse comme la perte d'une chance d'acquérir le local. La jurisprudence ne conditionne pas l'action en indemnisation à l'existence matérielle du bien au moment du jugement, comme l'a confirmé l'arrêt du 14 septembre 2023.

C. Les questions juridiques spécifiques

1. Le traitement des honoraires de négociation

Une question pratique importante concerne les honoraires de négociation. La Cour de cassation a considéré, dans son arrêt du 28 juin 2018, que l'offre de vente notifiée au preneur ne peut pas inclure des honoraires de négociation. Cette solution s'explique par le caractère d'ordre public du droit de préemption, qui ne saurait être alourdi par des charges supplémentaires pour le locataire préempteur.

2. L'articulation avec les autres mécanismes juridiques

Le droit de préemption du locataire s'inscrit dans un ensemble de mécanismes juridiques visant à protéger les commerçants. Il coexiste notamment avec d'autres droits de préemption, comme celui des communes. Son caractère d'ordre public, affirmé par la jurisprudence, en fait un dispositif contraignant pour le bailleur.

 

Conclusion

Le droit de préemption du locataire commercial, institué par l'article L145-46-1 du Code de commerce, constitue un mécanisme de protection important pour les commerçants locataires. Les tribunaux ont progressivement précisé ses conditions d'application et ses effets, renforçant son caractère d'ordre public. Ce dispositif contribue à l'équilibre des relations entre bailleurs et preneurs, en offrant à ces derniers une priorité dans l'acquisition des locaux qu'ils exploitent. La jurisprudence continue d'en affiner les contours, témoignant de l'importance de ce mécanisme dans le droit des baux commerciaux.