L'agence immobilière avait mal choisi les locataires ... (lundi, 07 octobre 2024)
Cet arrêt retient la responsabilité de l'agence immobilière qui avait choisi des locataires peu solvables…
"Faits et procédure
Par acte du 26 mai 2016, M. [N] [D] et Mme [W] [F] [A] (ci-après les époux [D]) ont confié à la société Abri Immobilier un mandat de location sans exclusivité pour trouver un locataire pour leur appartement situé [Adresse 4] à [Localité 7].
Suivant contrat en date du 31 mai 2016, les époux [D] ont donné à bail leur appartement à M. [Z] [B] et à Mme [J] [I], pour une durée de trois années, moyennant un loyer mensuel de 550 euros outre 30 euros de provision sur les charges, et un état des lieux a été réalisé le 15 juin 2016.
Se plaignant de l’absence de respect de leurs obligations par les locataires, par actes d’huissier du 18 mai 2018, les époux [D] ont assigné M. [B] et Mme [I] devant le juge des référés du tribunal d’instance de Chambéry notamment aux fins de résiliation du bail.
Par ordonnance du 6 novembre 2018, le juge des référés du tribunal d’instance de Chambéry a notamment constaté que les conditions d’acquisition de la clause résolutoire figurant au bail conclu le 31 mai 2016 entre les époux [D] d’une part et M. [B] et Mme [I], d’autre part, sont réunies à la date du 4 juillet 2017.
Par déclaration au greffe du 10 décembre 2018, M. [B] et Mme [I] ont interjeté appel de cette ordonnance.
Par arrêt du 5 septembre 2019, la cour d’appel de Chambéry a notamment confirmé l’ordonnance du juge des référés du 6 novembre 2018.
Parallèlement, le 27 mars 2019, un procès-verbal de reprise du bien immobilier a été dressé par huissier.
Se prévalant de manquements par leur mandataire à ses obligations contractuelles, consistant notamment à avoir procédé à une insuffisante vérification de la solvabilité de leurs locataires, et à ne pas leur avoir demandé de caution, qui seraient à l’origine de l’arriéré locatif qu’ils doivent supporter, les époux [D] ont, par acte d’huissier du 24 septembre 2018, fait assigner la société Abri Immobilier devant le tribunal de grande instance de Chambéry en réparation de leurs préjudices.
Par jugement du 20 septembre 2021, le tribunal de grande instance de Chambéry, devenu le tribunal judiciaire, avec le bénéfice de l’exécution provisoire, a :
— dit que la responsabilité contractuelle de la société Abri Immobilier vis-à-vis des époux [D] est engagée suite à l’inexécution fautive du contrat de mandat signé le 26 mai 2016 ;
— condamné la société Abri Immobilier, prise en la personne de son représentant légal, à payer aux époux [D] la somme de 14 351,76 euros à titre de dommages et intérêts pour la perte de chance pour eux de n’avoir pas pu contracter un contrat de bail avec un locataire solvable, avec intérêts au taux légal à compter du jour de la présente décision ;
— dit que les intérêts afférents à la condamnation de la société Abri Immobilier au payement de la somme de 14 351,76 euros et échus, dus pour une année entière, seront capitalisés ;
— rejeté la demande de la société Abri Immobilier tendant à la condamnation des époux [D] à lui payer la somme de 4 000 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive ;
— condamné la société Abri Immobilier, prise en la personne de son représentant légal, à payer époux [D] la somme de 2 000 euros au titre des frais irrépétibles ;
— condamné la société Abri Immobilier aux dépens, outre les droits proportionnels de recouvrement ou d’encaissement dans le cadre de l’exécution forcée de la présente décision.
Au visa principalement des motifs suivants :
la société Abri Immobilier a commis une faute dans le cadre de l’exécution du contrat de mandat qui lui a été confié en s’abstenant de vérifier la solvabilité actuelle et prévisible à court terme de M. [B] et de Mme [I], et en omettant de sécuriser le payement des loyers par des garanties ;
le défaut de payement des loyers par M. [B] et de Mme [I] ne peut être justifié par une quelconque exception d’inexécution liée à l’état du logement, aucune procédure d’insalubrité n’ayant été engagée suite au rapport de l’agence régionale de santé du 25 juin 2018 ;
les dégradations locatives ne peuvent être imputées aux manquements contractuels du mandataire ;
le préjudice des époux [D] consiste en une perte de chance de percevoir les loyers, à hauteur de 5% pour la période allant du 31 mai au 31 septembre 2016, date de la fin des emplois saisonniers des locataires, et à hauteur de 80% pour la période d’octobre 2016 à mai 2019.
Par déclaration au greffe du 26 octobre 2021, la société Abri Immobilier a interjeté appel de ce jugement en toutes ses dispositions.
Mme [W] [F] [A] est décédée en cours de procédure, et ses ayants droits [N], [X], [T] et [M] [D] ont été appelés en cause par acte du 3 juin 2022.
Prétentions et moyens des parties
Dans ses dernières écritures du 29 juin 2022, régulièrement notifiées par voie de communication électronique, la société Abri Immobilier sollicite l’infirmation de la décision et demande à la cour, statuant à nouveau, de :
— débouter les consorts [D] de l’intégralité de leurs demandes ;
— condamner solidairement les consorts [D] au paiement de la somme de 3 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
— condamner solidairement les consorts [D] aux entiers dépens de l’instance.
Au soutien de ses prétentions, la société Abri Immobilier fait valoir notamment que :
elle a procédé à une vérification suffisante de la solvabilité des locataires par l’obtention des justificatifs de leur situation ;
il n’existait aucun aléa, au regard de ces pièces, quant à la capacité de M. [B] et de Mme [I] à honorer les mensualités du loyer ;
elle n’a donc commis aucune faute susceptible de voir engager sa responsabilité ;
les locataires ont cessé le paiement des loyers sciemment en raison de l’état d’insalubrité du logement, et nullement en raison de difficultés financières ;
les époux [D] ne justifient d’aucun préjudice car ils ne seraient pas parvenus à trouver d’autres locataires que M. [B] et de Mme [I], le montant du loyer étant excessif compte tenu de l’état de l’appartement, qui était en réalité un T1 et non un T3.
Aux termes de leurs dernières écritures du 3 avril 2023, régulièrement notifiées par voie de communication électronique, M. [N] [D], Mme [X] et M. [T] [D] demandent à la présente juridiction de :
— infirmer le jugement dont appel pour les chefs suivants du jugement dont appel :
— condamné la société Abri Immobilier à leur payer la somme de 14 351,76 euros à titre de dommages et intérêts pour la perte de chance pour eux de n’avoir pas pu contracter un contrat de prêt avec un locataire solvable, avec intérêts au taux légal à compter du jour de la présente décision,
— dit que les intérêts afférents à la condamnation de la société Abri Immobilier au paiement de la somme de 14 351,76 euros et échus, dus pour une année entière, seront capitalisés ;
Statuant à nouveau,
— condamner la société Abri Immobilier à leur payer la somme de 26 956,82 euros, à parfaire, à titre des dommages et intérêts pour indemniser leur préjudice, correspondant à la perte de chance à 100 % de ne pas conclure le bail d’habitation avec M. [B] et Mme [I], choisis par l’agence immobilière, et de ne pas subir leur dette locative en l’absence de toute caution ;
— condamner la société Abri Immobilier aux intérêts de droit, capitalisés par année entière, à compter de la mise en demeure par lettre recommandée avec accusé de réception du 18 avril 2018
— débouter la société Abri Immobilier de l’ensemble de ses demandes, fins et prétentions ;
— condamner la société Abri Immobilier à leur payer la somme de 2 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
— condamner la société Abri Immobilier aux entiers dépens d’instance.
Au soutien de leurs prétentions, M. [N] [D], Mme [X] et M. [T] [D] font valoir notamment que :
la société Abri Immobilier a insuffisamment vérifié la solvabilité des locataires et le défaut de paiement des loyers ne résulte pas de l’exception d’inexécution injustifiée dont ils ont argué ;
la société Abri Immobilier a fait entrer les locataires dans les lieux sans le paiement préalable du dépôt de garantie et sans établir un état des lieux efficace ;
la société Abri Immobilier ne leur a pas non plus fait souscrire des engagements de cautionnement ;
la société Abri Immobilier a cumulé les nombreuses fautes professionnelles qui ont causé un préjudice direct, actuel et certain qui est équivalent à la somme due par les locataires.
Monsieur [M] [D], ayant droit de Mme [W] [F] [A], n’a pas comparu.
Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure et des prétentions des parties, la cour se réfère à leurs conclusions visées par le greffe et développées lors de l’audience ainsi qu’à la décision entreprise.
Une ordonnance en date du 12 février 2024 a clôturé l’instruction de la procédure. L’affaire a été plaidée à l’audience du 19 mars 2024.
Motifs de la décision
Aux termes de l’article 1147 ancien du code civil, dans sa rédaction antérieure à l’entrée en vigueur, le 1er octobre 2016, de l’ordonnance du 10 février 2016, 'le débiteur est condamné, s’il y a lieu, au paiement de dommages et intérêts, soit à raison de l’inexécution de l’obligation, soit à raison du retard dans l’exécution, toutes les fois qu’il ne justifie pas que l’inexécution provient d’une cause étrangère qui ne peut lui être imputée, encore qu’il n’y ait aucune mauvaise foi de sa part'. L’article 1992 du même code prévoit quant à lui que le mandataire doit répondre non seulement du dol, mais encore des fautes qu’il commet dans sa gestion.
Il est par ailleurs de jurisprudence constante que l’agent immobilier, négociateur d’une opération locative, est tenu, quelle que soit l’étendue de sa mission, de s’assurer de la solvabilité des candidats à la location en procédant à des vérifications sérieuses, dans les limites prévues par l’article 22 de la loi du 6 juillet 1989 (voir sur ce point notamment : Cour de cassation, Civ 1ère, 4 mai 2012, n°10-28.313).
L’annexe I du décret du 5 novembre 2015, pris en application de ce texte, permet au bailleur de demander notamment au locataire, avant de conclure le contrat de bail, la communication d’un ou plusieurs documents attestant des activités professionnelles qu’il exerce, ainsi que de ses revenus, en particulier le dernier ou l’avant-dernier avis d’imposition et ses trois bulletins de salaire, outre ses trois dernières quittances de loyer.
Il n’est pas contesté que la société Abri Immobilier était tenue, en exécution du mandat qui lui a été confié le 26 mai 2016, de procéder à une vérification de la solvabilité des futurs locataires qu’elle a présentés aux époux [D], en sollicitant à cette fin la communication de toutes pièces utiles.
I – Sur les manquements contractuels de l’agence immobilière
Les intimés reprochent en l’espèce à leur mandataire d’avoir manqué à ses obligations contractuelles en s’abstenant de :
— vérifier de manière suffisante la solvabilité de M. [Z] [B] et de Mme [J] [I] ;
— exiger le versement d’un dépôt de garantie ;
— dresser un état des lieux d’entrée efficace ;
— solliciter une caution solidaire pour chacun des locataires;
— demander à ses mandants leur accord sur le choix des locataires à partir des documents obtenus;
— solliciter des quittances de leur précédent logement.
Il se déduit des pièces versées aux débats par l’agence immobilière en cause d’appel qu’elle a obtenu la communication, par M. [Z] [B] et Mme [J] [I], non seulement de leurs contrats de travail saisonniers, comme l’a retenu le premier juge, mais également de fiches de paie antérieures à la signature du contrat de bail. La société Abri Immobilier ne saurait pour autant valablement prétendre que ces pièces permettaient de démontrer que les locataires disposaient d’une situation professionnelle stable, avec des revenus suffisants, de nature à garantir le paiement de leur loyer.
En effet,les contrats de travail des locataires ne portaient que sur la saison thermale, et Mme [I] se trouvait encore en période d’essai, son contrat n’ayant été signé que le 24 mai 2016.
Il se déduit en outre de l’analyse de ses bulletins de paie que M. [Z] [B] n’a quant à lui travaillé que de manière saisonnière, au cours des périodes suivantes, pour une rémunération mensuelle d’environ 1 500 euros :
— du 25 mars au 12 août 2013;
— du 1er janvier au 17 octobre 2014 ;
— du 25 avril au 15 octobre 2015 ;
— du 24 mai au 16 novembre 2016;
— du 1er mars au 31 octobre 2017;
— du 10 mars au 10 septembre 2018;
— du 28 septembre 2018 au 26 juin 2019.
Mme [I] a exercé quant à elle uniquement une activité professionnelle du 24 mai au 14 novembre 2016.
Il doit nécessairement se déduire de ces éléments que les locataires ne disposaient en réalité, lors de la signature du contrat de bail du 31 mai 2016, d’aucune situation professionnelle stable de nature à garantir le paiement de leur loyer mensuel de 580 euros charges comprises, puisque M. [B] n’avait travaillé, au cours des années précédentes, qu’environ six mois par an, et qu’il n’est justifié d’aucune allocation chômage dont il aurait pu bénéficier, ni de son montant, pour les périodes où il se trouvait sans emploi. Quant à Mme [I], la précarité de sa situation professionnelle était manifeste, alors qu’elle ne bénéficiait que d’un emploi saisonnier et se trouvait encore en période d’essai.
Il est permis d’observer, compte tenu de ce qui précède, que si l’agence immobilière avait sollicité, comme elle pouvait le faire, la communication par les candidats à la location de leurs trois derniers bulletins de paie, les bailleurs se seraient aperçus que les intéressés avaient été réalité au chomâge pendant plusieurs mois et n’exerçaient une activité professionnelle saisonnière que depuis une semaine. Aucun élément ne permettait en outre d’établir qu’ils allaient obtenir un contrat de travail pour la période hivernale.
Du reste, M. [Z] [B] et Mme [J] [I] ont eux-mêmes indiqué en 2019, au soutien de la demande en délais de paiement qu’ils ont formée devant la présente juridiction dans le cadre de la procédure en expulsion locative intentée à leur encontre, qu’ils ne travaillaient tous les deux que pendant la saison thermale et étaient au chômage le reste du temps.
Il convient de relever également que les locataires ont justement cessé de s’acquitter de leurs loyers dès le mois d’octobre 2016, soit juste avant la fin de leurs contrats de travail saisonniers, et qu’il n’ont ensuite plus exercé d’activité professionnelle, ni l’un ni l’autre, jusqu’au 1er mars 2017.
Compte tenu de la précarité de la situation professionnelle des intéressés, l’agence immobilière aurait dû, de toute évidence, procéder à une vérification plus approfondie de leur solvabilité, notamment en sollicitant leurs trois derniers bulletins de paie, ce qui aurait permis de constater qu’ils avaient connu une longue période de chômage avant la signature de leur contrat de travail saisonnier. La société Abri Immobilier aurait dû en tout état de cause, au titre de son devoir de conseil, alerter les bailleurs, qui étaient des non-professionnels âgés, sur l’existence d’un risque important d’impayés locatifs lié à cette précarité, ce qu’elle n’allègue ni a fortiori ne démontre avoir fait.
Cette situation aurait également dû conduire le mandataire immobilier à exiger de la part des locataires des garanties plus sérieuses, en particulier la fourniture d’une caution solidaire pour chacun d’entre eux. Etant observé que contrairement à ce qu’indique l’intimée, aucune disposition légale ou réglementaire n’interdit de demander une caution lorsque les revenus des locataires sont plus de trois fois supérieurs au montant du loyer, ce d’autant qu’en l’espèce, lesdits revenus présentaient intrinsèquement un caractère irrégulier. L’agence aurait dû à tout le moins informer ses mandants de la possibilité de solliciter une tel engagement ou d’obtenir une garantie de la part d’Action Logement dans le cadre du dispositif Visale. Or, la société Abri Immobilier ne justifie avoir engagé aucune de ces démarches.
Il ne peut par ailleurs être utilement reproché aux bailleurs d’avoir refusé d’encaisser le chèque de caution de 550 euros qui leur a été remis à la signature du bail, dès lors que ledit chèque était au nom d’un tiers, Mme [P] [V], et que rien n’indique qu’ils auraient su qu’il s’agissait de la mère de M. [Z] [B]. Il ne peut qu’être considéré en conséquence que l’agence immobilière a également manqué à son obligation de solliciter le versement d’un dépôt de garantie.
Au vu de ce qui précède, plusieurs manquements contractuels de l’agence immobilière se trouvent bien caractérisés.
Les doléances exprimées par les consorts [L] sur la manière dont l’état des lieux d’entrée a été dressé par leur mandataire ne se trouvent par contre nullement caractérisées, dès lors que si ce document ne comporte aucune photographie, et que certains de ses passages s’avèrent difficilement lisibles, chacun des postes du logement donné à bail a bien été examiné. Il n’est nullement établi en tout état de cause que son caractère lacunaire aurait privé les bailleurs de la possibilité de se prévaloir de dégradations locatives affectant le bien loué, étant observé à cet égard qu’aucun état des lieux de sortie n’a été établi.
De même, aucun grief ne peut être formulé du fait de l’absence de communication des quittances de loyer antérieures, dès lors qu’il se déduit des circonstances de l’espèce que les deux locataires habitaient chez leurs parents respectifs avant de souscrire le contrat de bail. Il n’est par ailleurs nullement établi que la communication de telles quittances aurait pu présenter un quelconque intérêt pour les bailleurs, puisqu’il n’est nullement fait état de précédents impayés locatifs auxquels auraient été confrontés les intéressés.
II – Sur le préjudice subi par les mandants et le lien de causalité
Il appartient aux consorts [D] de rapporter la preuve de l’existence d’un préjudice qui leur aurait été causé par les manquements contractuels de leur mandataire, tels que ces derniers ont été précédemment caractérisés.
Un tel préjudice ne peut consister en l’espèce qu’en une perte de chance de ne pas avoir dû supporter :
— les impayés locatifs et les frais induits par la procédure d’expulsion des locataires, pour un montant total de 20 025, 84 euros ;
— des dégradations locatives et les constats d’huissier permettant de les constater, pour un montant total de 6 930, 98 euros.
L’agence immobilière prétend qu’aucun lien de causalité ne se trouverait caractérisé entre les manquements contractuels qui lui sont imputés et un tel préjudice, puisque les locataires auraient cessé de s’acquitter de leurs loyers, non pas en raison de leur insolvabilité, mais de manière volontaire, compte tenu de l’insalubrité du logement qui leur a été donné à bail. Elle ajoute qu’au regard de l’état de l’appartement et du loyer réclamé, les époux [D] n’auraient pu trouver d’autres locataires que ceux avec lesquels ils ont contracté.
Le rapport établi le 25 juin 2018 par l’agence régionale de santé, suite à une demande formulée par les locataires le 31 mai 2018, relève l’existence des désordres suivants :
— le logement devrait être loué en tant que T1 et non T3 car les chambres n’ont pas une surface suffisante pour être considérées comme des pièces à usage d’habitation ;
— défaut de ventilation du logement ;
— présence d’humidité ou de condensation avec développement de moisissures ;
— absence d’amenée d’air permanente dans le local où est installée la chaudière à gaz ;
— mauvaise organisation du logement.
L’agence a ainsi mis en exergue des manquements aux règles générales d’hygiène prescrites par le règlement sanitaire départemental, mais a considéré que ces désordres ne justifiaient pas d’engager une procédure d’insalubrité au titre du code de la santé publique. Et tant le juge des référés que la cour d’appel ont considéré, dans le cadre de la procédure d’expulsion engagée par les bailleurs, que M. [Z] [B] et Mme [J] [I] ne démontraient nullement que le logement aurait été inhabitable, justifiant leur exception d’inexécution.
La cour observe par ailleurs que les locataires n’ont jamais exprimé la moindre doléance sur l’état du logement ni excipé d’un quelconque trouble des jouissance avant d’être destinataires du commandement de payer visant la clause résolutoire du 3 mai 2017, et avaient cessé d’honorer leurs loyers dès le mois d’octobre 2016. Ils n’ont soulevé en fait une telle argumentation que devant le juge des référés, en octobre 2018, soit après deux ans d’impayés locatifs. A aucun moment auparavant ils n’ont justifié l’absence de paiement de leurs échéances par l’état du bien loué.
Rien ne démontre ainsi que les impayés locatifs seraient dûs à l’état d’insalubrité du logement donné à bail. Tout porte plutôt à croire que les locataires se sont servis, au moins partiellement, de cet état comme d’un prétexte pour échapper à leur expulsion, alors que c’est en raison de leurs difficultés financières, notamment consécutives à la perte de leurs deux emplois en novembre 2016, qu’ils ont accumulé les impayés locatifs. Leur situation ne s’était guère améliorée lors de leur passage devant la cour d’appel, celle-ci n’ayant pu leur accorder de délais de paiement au regard de la précarité dans laquelle ils se trouvaient, et leur insolvabilité se déduit clairement du courrier adressé par l’huissier aux époux [D] le 25 août 2020, faisant état de l’impossibilité de recouvrer la moindre somme, bien après la reprise des lieux de mars 2019.
Les intimés justifient par ailleurs, par les états des lieux d’entrée et de sortie qu’ils versenent aux débats, avoir successivement donné à bail à deux locataires différents l’appartement litigieux entre le 12 juillet 2013 et le 26 janvier 2016. Ils disposaient ainsi clairement de la possibilité de conclure un bail avec un locataire qui était solvable et contre lequel ils n’auraient pas été contraints d’engager des frais d’expulsion.
Il convient d’observer, par contre, que l’appartement était libre de toute occupation depuis plus de quatre mois lorsqu’il a été loué, le 31 mai 2016, à M. [Z] [B] et Mme [J] [I], ce qui signifie que les époux [D] rencontraient effectivement des difficultés pour trouver de nouveaux locataires. Il n’est fait état en outre d’aucun contrat de location qui aurait été conclu ensuite, postérieurement au mois de mars 2019.
Il doit également être tenu compte de l’état dans lequel se trouvait l’appartement litigieux, tel qu’il a été décrit par l’agence régionale de santé, et en particulier du fait qu’il ne pouvait être loué comme un T3, pour évaluer la perte de chance subie par les bailleurs. Il en va de même de la possibilité effective de recouvrer le cas échéant des loyers impayés auprès d’une caution, qui présente un caractère aléatoire, notamment au regard des moyens de défense qu’elle peut faire légitimement valoir.
En définitive, la cour dispose d’éléments suffisants, au regard de ce qui vient d’être exposé, pour évaluer la perte de chance subie par les bailleurs à hauteur de 60% de l’impayé locatif de 17 303 euros et de 95% pour les frais induits par la procédure d’expulsion, d’un montant de 2 722, 84 euros (la probabilité que de tels frais aient dû être engagés en l’absence de manquement contractuel de l’agence apparaissant minime).
La société Abri Immobilier sera donc condamnée à payer aux époux [D] la somme de 17 303euros x 60% + 2 722, 84 euros x 95% = 12 968, 50 euros en réparation de leur préjudice, qui portera des intérêts au taux légal à compter du présent arrêt. La capitalisation des intérêts, qui est de droit lorsque le créancier en forme la demande, sera en outre ordonnée.
Quant aux dégradations immobilières dont excipent les intimés, il convient d’observer, d’une part, qu’aucun état des lieux de sortie n’a été dressé suite au départ des locataires, permettant de les chiffrer et que, d’autre part, les pièces qu’ils versent aux débats ne permettent nullement de rapporter la preuve que la porte de leur garage aurait été détériorée le 22 août 2018 par le véhicule de M. [Z] [B], aucune information n’étant donnée sur la suite qui aurait été apportée à la plainte pour dégradation volontaire qui a été déposée pour ces faits le 26 août 2018.
Dès lors qu’ils ne justifient d’aucune dégradation locative qui serait imputable à leurs anciens locataires, ils ne peuvent se prévaloir de la moindre perte de chance de ce chef, étant observé qu’ils n’ont engagé aucune action de ce chef.
III – Sur les mesures accessoires
En tant que partie perdante, la société Abri Immobilier sera condamnée aux dépens exposés en cause d’appel, ainsi qu’à payer à M. [N] [D], Mme [X] et M. [T] [D] la somme de 2 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, pour les frais exposés en cause d’appel.
La demande formée à ce titre par la société Abri Immobilier sera enfin rejetée.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant publiquement, par décision réputée contradictoire et après en avoir délibéré conformément à la loi, dans les limites de sa saisine,
Infirme le jugement entrepris en ce qu’il a :
— condamné la société Abri Immobilier, prise en la personne de son représentant légal, à payer aux époux [D] la somme de 14 351,76 euros à titre de dommages et intérêts pour la perte de chance pour eux de n’avoir pas pu contracter un contrat de bail avec un locataire solvable, avec intérêts au taux légal à compter du jour de la présente décision ;
— dit que les intérêts afférents à la condamnation de la société Abri Immobilier au payement de la somme de 14 351,76 euros et échus, dus pour une année entière, seront capitalisés ;
Statuant à nouveau,
Condamne la société Abri Immobilier, prise en la personne de son représentant légal, à payer aux époux [D] la somme de 12 968, 50 euros à titre de dommages et intérêts, avec intérêts au taux légal à compter du jour de la présente décision,
Ordonne la capitalisation des intérêts dus pour une année entière,
Confirme le jugement entrepris en ses autres dispositions,
Condamne la société Abri Immobilier aux dépens exposés en cause d’appel,
Condamne la société Abri Immobilier à payer à M. [N] [D], Mme [X] et M. [T] [D] la somme de 2 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, pour les frais exposés en cause d’appel,
Rejette la demande formée à ce titre par la société Abri Immobilier.
Arrêt Réputé Contradictoire rendu publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile."
CA Chambéry, 1re ch., 25 juin 2024, n° 21/02119.