Il faut l'unanimité pour interdire les locations Airbnb en copropriété (jeudi, 26 septembre 2024)
Cette décision du Tribunal judiciaire de Nice juge que l'interdiction des locations Airbnb dans une copropriété ne peut être décidée qu'à l'unanimité.
EXPOSE DU LITIGE
M. [N] [I] est propriétaire des lots n° 12 et 32 d’un immeuble en copropriété situé [Adresse 3] à [Localité 5].
Une assemblée générale des copropriétaires de l’immeuble [Adresse 3] s’est réunie le 3 juin 2022 au cours de laquelle a été adoptée la résolution n° 8 visant à modifier le règlement de copropriété afin de ne plus autoriser les locations meublées de courtes durées inférieures à quinze jours des appartements entiers.
Par acte du 29 août 2022, M. [N] [I] a fait assigner le syndicat des copropriétaires de l’immeuble situé [Adresse 3], représenté par son syndic, la société Helios Immobilier, aux fins d’obtenir notamment l’annulation de cette résolution.
Dans ses dernières conclusions communiquées le 5 février 2024, M. [N] [I] sollicite :
— l’annulation de la résolution n° 8 de l’assemblée générale des copropriétaires de l’immeuble [Adresse 3] du 3 juin 2022,
— la condamnation aux frais du syndicat des copropriétaires à la modification, par le syndic, du procès-verbal d’assemblée générale du 3 juin 2022 et la suppression de la résolution, ainsi qu’à sa notification à tous les copropriétaires,
— la condamnation du syndicat des copropriétaires de l’immeuble [Adresse 3] à lui payer la somme de 2.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux dépens.
Il fait valoir que son logement est une résidence secondaire dans lequel il se rend plusieurs fois par an et qu’il loue par l’intermédiaire d’une agence immobilière sous le régime du meublé touristique lorsqu’il est absent.
Il conteste toute activité commerciale et précise qu’il n’exploite pas son bien dans le cadre de son activité professionnelle de loueur meublé professionnel, ce qui est démontré par le paiement d’une taxe d’habitation.
Il relève que le règlement de copropriété ne comporte pas de clause d’habitation bourgeoise, de sorte que les copropriétaires sont libres d’exploiter leur bien comme ils l’entendent, et affirme que le caractère d’habitation bourgeoise ne peut être déduit ni du quartier, alors qu’il n’est pas résidentiel et comporte plusieurs hôtels et commerces, ni de l’architecture de l’immeuble.
Il affirme que c’est à tort que la résolution n° 8 de l’assemblée générale du 3 juin 2022 n’a pas été votée à l’unanimité requise par l’article 26 de la loi du 10 juillet 1965 alors qu’elle modifie les conditions d’usage des parties privatives.
Aux termes de ses écritures notifiées le 22 avril 2024, le syndicat des copropriétaires de l’immeuble [Adresse 3] conclut au débouté et sollicite à titre reconventionnel la condamnation de M. [N] [I] à lui payer la somme de 3.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux dépens.
Il soutient que la résolution litigieuse vise à encadrer une activité prohibée par la destination de l’immeuble, de sorte qu’elle devait être soumise au vote à la majorité de l’article 26 puis à un second vote en application de l’article 26-1 de la loi du 10 juillet 1965.
Il affirme que la notion de destination de l’immeuble, bien que fixée par le règlement de copropriété, est une notion évolutive et non définie qui intègre les situations matérielle et géographique de l’immeuble.
Il estime que la destination bourgeoise de l’immeuble ressort de l’article 2 du règlement de copropriété intitulé « bonne tenue de la maison » qui prohibe les activités professionnelles générant des nuisances sonores et olfactives ainsi que les nuisances sonores au-delà de 22h00 et qui tolère les activités libérales non bruyantes exceptées certaines d’entre elles.
Il ajoute que la destination bourgeoise résulte en outre de sa localisation dans un quartier résidentiel, peu important l’existence de commerces de proximité et de résidences touristiques, inévitable en centre-ville, et de l’architecture de l’immeuble.
Il précise que c’est une affectation bourgeoise simple puisque seule les activités libérales non bruyantes sont tolérées.
Il considère que la location meublée touristique de courte durée est une activité nécessairement incompatible avec la destination bourgeoise de l’immeuble et que l’existence de nuisances est démontrée par le vote de la majorité des copropriétaires de la résolution n° 8.
Il reproche à M. [N] [I] de ne pas prouver que son bien n’est pas affecté uniquement à une activité commerciale ni qu’il constitue une résidence secondaire.
Il estime enfin que la résolution n° 8 assouplit le régime de la copropriété en autorisant aux copropriétaires de louer leur appartement en meublé pour des périodes supérieures à quinze jours, ce que le règlement de copropriété ne permettait pas eu égard au caractère bourgeois de l’immeuble.
La clôture de l’affaire est intervenue le 23 avril 2024, l’affaire a été retenue à l’audience du 7 mai 2024 et la décision a été mise en délibéré au 10 juillet 2024 prorogé au 23 août 2024 ;
MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur la demande de prononcé de la nullité de la résolution n° 8a adoptée par l’assemblée générale des copropriétaires le 3 juin 2022
L’article 2 de la loi du 10 juillet 1965 dispose que sont privatives les parties des bâtiments ou des terrains réservées à l’usage exclusif d’un copropriétaire déterminé. Les parties privatives sont la propriété exclusive de chaque copropriétaire.
L’article 9 de la loi du 10 juillet 1965 prévoit que chaque copropriétaire dispose des parties privatives comprises dans son lot ; il use et jouit librement des parties privatives et des parties communes sous la condition de ne porter atteinte ni aux droits des autres copropriétaires ni à la destination de l’immeuble.
Si le premier alinéa de l’article 8 de cette loi dispose que le règlement de copropriété détermine la destination des parties tant privatives que communes, ainsi que les conditions de leur jouissance, de sorte qu’il peut y être indiqué à quel usage chaque lot se trouve en principe affecté, il est précisé en son second alinéa qu’il ne peut imposer aucune restriction aux droits des copropriétaires en dehors de celles qui seraient justifiées par la destination de l’immeuble, telle que définie aux actes, par ses caractères ou sa situation.
La liberté étant le principe, les dispositions conventionnelles relatives à l’affectation des parties privatives sont strictement interprétées en ce qu’elles limitent les droits des copropriétaires. Ainsi, une affectation qui n’est pas expressément interdite par le règlement de copropriété doit être autorisée, dès lors qu’elle n’est pas contraire à la destination de l’immeuble.
La destination de l’immeuble, qui ne fait l’objet d’aucune définition légale ou réglementaire, est souverainement appréciée par référence aux actes, mais également à la situation et aux caractéristiques propres de l’immeuble.
Il est à cet égard admis deux types de clauses d’habitation bourgeoise, la clause dite exclusive qui prohibe toute activité professionnelle au sein de l’immeuble, réservé à l’usage d’habitation dans son entier, tandis que la clause d’habitation bourgeoise dite ordinaire permet l’exercice de certaines activités.
Toutefois, dans l’un et l’autre cas et sauf stipulation expresse du règlement de copropriété, les activités commerciales sont prohibées.
L’article 26 b et c de la loi du 10 juillet 1965 prévoit que sont prises à la majorité des membres du syndicat représentant au moins les deux tiers des voix les décisions concernant la modification, ou éventuellement l’établissement, du règlement de copropriété dans la mesure où il concerne la jouissance, l’usage et l’administration des parties communes. L’assemblée générale ne peut, à quelque majorité que ce soit, imposer à un copropriétaire une modification à la destination de ses parties privatives ou aux modalités de leur jouissance, telles qu’elles résultent du règlement de copropriété.
L’article 26-1 de la même loi dispose, nonobstant toute disposition contraire, lorsque l’assemblée générale n’a pas décidé à la majorité prévue au premier alinéa de l’article 26 mais que le projet a au moins recueilli l’approbation de la moitié des membres du syndicat des copropriétaires présents, représentés ou ayant voté par correspondance, représentant au moins le tiers des voix de tous les copropriétaires, la même assemblée se prononce à la majorité des voix de tous les copropriétaires en procédant immédiatement à un second vote.
En l’espèce, l’article 2 du règlement de copropriété intitulé « Bonne tenue de la maison » (page 8 et 9) est rédigé comme suit :
« A – Les appartements ne pourront être occupés que par des personnes de bonne vie et mœurs qui devront veiller à ne rien faire qui puisse nuire à la bonne tenue de la maison.
B – Il ne pourra jamais être établi :
1° aucun établissement insalubre, dangereux, incommode ou immoral.
2° aucun établissement qui par le bruit, l’odeur ou les émanations pourrait nuire aux voisins.
(…)
H – Les copropriétaires sont tenus de s’abstenir de tout bruit pouvant incommoder les voisins après vingt-deux heures. A partir de ladite heure, tous instruments de musique, phonographes, appareils de téléphonie sans fil etc devront cesser de fonctionner. Les professions de sage-femme, de professeur de danse et de piano sont interdites dans le présent immeuble ".
Le règlement de copropriété prévoit ainsi que les copropriétaires ont le droit de jouir et de disposer de leur appartement comme des choses leur appartenant en toute propriété à la condition de ne pas nuire aux droits des autres copropriétaires et de ne rien faire qui puisse nuire à l’immeuble, sous les réserves suivantes :
— les appartements ne peuvent être occupés que par des personnes de bonne vie et mœurs qui ne devront pas nuire à la bonne tenue de l’immeuble, et ainsi, il n’est pas expressément interdit de consentir des locations meublées, mais seulement à des personnes de bonne vie et mœurs,
— il ne peut être établi d’établissement insalubre, dangereux, incommode, immoral ou qui pourrait nuire aux voisins par le bruit ou l’odeur,
— les activités libérales sont admises dès lors que le bruit n’incommode pas les voisins, exceptées les professions de sage-femme, professeur de danse et de piano, dont l’exclusion est clairement mentionnée.
Il résulte de ces éléments que le règlement de copropriété n’interdit pas l’exercice de professions libérales, ce que relève également le syndicat des copropriétaires, et n’a donc pas uniquement une destination d’habitation, la clause d’habitation bourgeoise n’étant pas exclusive.
Il s’ensuit que le règlement de copropriété autorise l’occupation des locaux à usage de professions libérales de sorte qu’interdire des locations de courte durée institue une restriction aux droits des copropriétaires qui n’est pas justifiée par la destination bourgeoise de l’immeuble.
La location saisonnière pratiquée par M. [N] [I] ne correspond pas à l’exercice d’un hôtel meublé puisqu’il n’est pas démontré qu’il cumulerait trois des quatre critères prévus par l’article 261 D du code général des impôts (ménage quotidien, petit-déjeuner, fourniture de linge de maison et réception, même non personnalisée, de la clientèle), et, par voie de conséquence, qu’il exercerait l’activité de loueur en meublé professionnel.
Eu égard à la nature civile de l’activité de location saisonnière, la destination bourgeoise, quand bien même elle serait exclusive ce qui n’est pas le cas en l’espèce, ne suffit pas à l’interdire en l’absence de clauses restreignant, conformément à cette destination, les conditions de jouissance des parties privatives.
Il n’est pas non plus démontré que les occupants de la location saisonnière pratiquée par M. [N] [I] auraient nuit à la tranquillité et à la bonne tenue de l’immeuble, la seule circonstance du vote à la majorité de la résolution litigieuse ne pouvant permettre, à elle seule, une telle démonstration.
La location meublée n’est en outre pas interdite par le règlement de copropriété, et, à l’exception de la restriction liée aux personnes auxquelles la location est consentie (personnes de bonne vie et mœurs), aucune restriction particulière n’est mentionnée.
L’assemblée générale ne peut dès lors, à quelque majorité que ce soit, imposer à un copropriétaire une modification à la destination de ses parties privatives ou aux modalités de leur jouissance, telles qu’elles résultent du règlement de copropriété.
Par conséquent, la résolution soumise au vote de l’assemblée générale du 3 juin 2022 aurait dû être votée à l’unanimité des copropriétaires, ce qui n’a pas été le cas.
En effet, la résolution 8 adoptée par l’assemblée générale du 3 juin 2022 est rédigée comme suit :
« L’assemblée générale, après en avoir délibéré, décide de la modification du règlement de copropriété, visant à ne plus autoriser les locations meublées de courtes durées inférieures à 15 jours des appartements entiers.
La somme de 2.000 euros sera allouée pour la modification du règlement de copropriété auprès d’un notaire, ainsi que les honoraires de vacation au Syndic ".
Elle a été soumise aux règles de majorité prévues par l’article 26 de la loi du 10 juillet 1965, avant d’être soumise à celles de l’article 26-1.
Il convient en conséquence de prononcer l’annulation de la résolution n° 8a adoptée par l’assemblée générale du 3 juin 2022, sans qu’il soit nécessaire de condamner le syndicat à modifier le procès-verbal d’assemblée générale, la résolution litigieuse étant annulée et une telle notification à l’ensemble des copropriétaires ayant lieu de fait, sans qu’il soit besoin de la prononcer.
Sur les demandes accessoires
Partie perdante au procès, le syndicat des copropriétaires de l’immeuble [Adresse 3] sera condamné aux dépens ainsi qu’à verser à M. [N] [I] la somme de 1.500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
Le tribunal, statuant après débats publics, par jugement contradictoire rendu en premier ressort, par mise à disposition au greffe,
PRONONCE la nullité de la résolution n° 8a du procès-verbal d’assemblée générale des copropriétaires de l’immeuble [Adresse 3] à [Localité 5], du 3 juin 2022 ;
CONDAMNE le syndicat des copropriétaires de l’immeuble [Adresse 3] à payer à M. [N] [I] la somme de 1.500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;
DEBOUTE M. [N] [I] de ses autres demandes ;
DEBOUTE le syndicat des copropriétaires de l’immeuble [Adresse 3] de ses demandes reconventionnelles ;
CONDAMNE le syndicat des copropriétaires de l’immeuble [Adresse 3] aux dépens ;
Et le Président a signé avec le Greffier.
LE GREFFIER LE PRESIDENT
TJ Nice, 4e ch. civ., 23 août 2024, n° 22/03533.