Réticence dolosive, article 1121-1 du Code civil et station service (vendredi, 05 juillet 2024)

Le vendeur n'avait pas dit à l'acheteur que la maison vendue était celle d'une ancienne station service et qu'il subsistait une cuve… la promesse de vente est annulée.

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"Selon mandat de vente sans exclusivité du 10 octobre 2018, la société HCDC transactions s'est vue confier par M. [A] [N] et Mme [T] [C] épouse [N] la mission de vendre leur maison située à [Adresse 8].

M. [L] [P] et Mme [V] [U] épouse [P] se sont intéressés au bien.

Après une visite organisée par l'agence, hors la présence des vendeurs, et quelques engagements de finition par les vendeurs, un compromis de vente a été signé le 28 décembre 2018 pour un prix de 189 000 euros hors frais, la vente définitive devant intervenir au plus tard le 28 mars 2019 par acte authentique devant Me [J], notaire à [Localité 11] (60).

Un avenant au compromis a été signé le 28 décembre 2018, reportant la réalisation de l'acte authentique au 29 avril 2019, puis au 29 mai 2019.

Les époux [P] ont visité le bien le jour de la signature et ont indiqué chez le notaire renoncer à l'achat notamment dans la mesure où personne ne leur avait dit que la maison était une ancienne station-service à essence et qu'une cuve était encore enterrée sous le sol, ce qu'ils venaient de découvrir.

Les époux [N] ont écrit aux époux [P] qu'à défaut de régularisation de la vente, ils se réservaient la faculté de se prévaloir du compromis.

Les époux [P] ont en conséquence, par exploit du 10 décembre 2019, assigné les époux [N] aux fins que soit prononcée la nullité du compromis, que soit ordonnée la libération de la somme de 6 782,56 euros versée au notaire, outre la condamnation des vendeurs à leur régler une somme de 1 400 euros au titre des frais engagés pour la réalisation de la vente, une somme de 5 672 euros à titre de dommages intérêts pour avoir dû louer un bien pour se loger et enfin une somme de 4 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Par acte du 7 mai 2020, la société HCDC Transactions a été assignée en intervention forcée par les époux [N], afin que cette dernière les garantisse de toutes condamnations qui pourraient être prononcées à leur encontre et qu'elle soit condamnée à leur verser une somme de 20 000 euros en réparation de leur préjudice.

Par jugement du 14 décembre 2021, le tribunal judiciaire de Senlis a :

-prononcé la nullité du compromis de vente conclu le 28 décembre 2018 aux torts des époux [N],

-ordonné la libération de la somme de 6 782,56 euros séquestrée chez le notaire,

-condamné les époux [N] à payer aux époux [P] la somme de 1 400 euros au titre des frais de courtier,

-condamné les époux [N] à payer aux époux [P] la somme de 873 euros au titre des frais d'agence,

-condamné les époux [N] à payer aux époux [P] la somme de 800 euros par mois depuis le 12 juin 2019 jusqu'au jour du prononcé du jugement au titre des loyers exposés,

-condamné les époux [N] aux frais notariés liés à l'annulation du compromis de vente,

-débouté les époux [N] de leurs demandes reconventionnelles et leur demande à l'égard de l'agence immobilière,

-condamné les époux [N] à payer aux époux [P] la somme de 2 500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.

Les époux [N] ont relevé appel de chacun des chefs de ce jugement.

Par jugement du tribunal de commerce de Compiègne du 7 septembre 2022, la société HCDC transactions a été placée en liquidation judiciaire et la SCP Angel Hazane Duval a été désignée en qualité de liquidation judiciaire.

Les époux [N] ont déclaré leur créance pour un montant total de 58 773 euros.

PRETENTIONS DES PARTIES

Selon conclusions notifiées le 7 novembre 2023, M. et Mme [N] demandent à la cour de :

' les juger recevables et bien-fondés en leur appel.

' infirmer le jugement rendu en toutes ses dispositions.

Et statuant à nouveau :

' Débouter les époux [P] de l'ensemble de leurs demandes.

À titre subsidiaire :

Pour le cas où il serait prononcé une condamnation à leur encontre :

' Condamner la société HCDC transactions à les garantir de toutes condamnations qui pourraient être prononcées à leur encontre au profit des époux [P], et

' Fixer au passif de la liquidation judiciaire de la société HCDC transactions une somme équivalente à toute éventuelle condamnation à ce titre.

En tout état de cause :

' Condamner in solidum les époux [P] à leur payer une somme de 20 000 euros en réparation de leur préjudice, et fixer au passif de la liquidation judiciaire de la société HCDC transactions, in solidum avec les époux [P], une somme de 20 000 euros à ce titre à leur bénéfice ;

' Condamner in solidum les époux [P] à leur verser une somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, et fixer au passif de la liquidation judiciaire de la société HCDC transactions, in solidum avec les époux [P], une somme de 5 000 euros à ce titre à leur bénéfice ;

' Condamner in solidum les époux [P] aux entiers dépens de première instance et d'appel, et fixer au passif de la liquidation judiciaire de la société HCDC transactions, in solidum avec les époux [P], une somme équivalente aux dépens à leur bénéfice.

Par conclusions notifiées le 31 octobre 2023, M. et Mme [P] demandent à voir :

Confirmer le jugement.

Débouter les époux [N] de l'ensemble de leurs demandes.

Condamner solidairement les époux [N] à leur verser la somme de 5 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

Condamner solidairement les époux [N] en tous les dépens, dont distraction au profit de la SELARL Lexavoué Amiens Douai, avocats au barreau d'Amiens, en application des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

Par conclusions notifiées le 27 juin 2023, la SCP Angel Hazane et Duval, en sa qualité de liquidateur judiciaire de la société HCDC transactions, demande à la cour de :

Confirmer le jugement de première instance,

Débouter Monsieur [A] [N] et Madame [T] [C] divorcée [N] de l'intégralité de leurs demandes,

En tout état de cause,

Condamner in solidum Monsieur [A] [N] et Madame [T] [C] divorcée [N] à payer à la société SCP Philippe Angel - Denis Hazane - Sylvie Duval, en qualité de liquidateur judiciaire, de la société HCDC transactions, une somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

Condamner in solidum Monsieur [A] [N] et Madame [T] [C] divorcée [N] en tous les dépens.

En application de l'article 455 du code de procédure civile, il est renvoyé aux conclusions des parties pour l'exposé de leurs moyens.

L'instruction a été clôturée le 7 février 2024.

MOTIVATION

1. Sur la demande en nullité du compromis de vente.

Les époux [N] estiment que les circonstances ne mettent absolument pas en cause leur bonne foi, principalement parce que la cuve est inerte, sans danger, souterraine, hors de l'emprise de la maison, qu'ils n'avaient pas spécialement un devoir d'information sur ce point, relativement secondaire, la cuve ayant été « inertée », outre que c'est l'agence qui a négocié la vente sans qu'ils soient personnellement intervenus.

Ils insistent sur le fait que le dol exige que l'information cachée ait été déterminante pour l'acquéreur, ce qui n'est pas le cas en l'espèce, outre que les acquéreurs avaient visité la maison et le garage d'où la cuve de carburant était visible.

La juridiction se réfère comme les parties et la juridiction de première instance aux dispositions des articles 1112-1 du code civil sur l'obligation pré-contractuelle de renseignement et sur les dispositions des articles 1130 et 1137 sur la nullité des contrats pour dol.

C'est à juste titre que le premier juge a considéré que l'ancienne activité exercée au sein du bien immobilier, à savoir celle de station-service distributrice d'essence, outre la présence d'une cuve entourée de parpaings enterrée sur le devant de la maison, était objectivement une circonstance déterminante pour les acheteurs d'un immeuble d'habitation, peu important que la cuve ne soit pas 'activement dangereuse'.

Il ne s'agit pas d'une 'affirmation péremptoire' (conclusions [N] page 10), mais d'une appréciation fondée sur des éléments suffisants, tels que la possibilité d'une pollution, l'existence éventuelle de complications en cas de travaux d'extension ou de création d'une terrasse, et des tracas administratifs. La réaction des époux [P], qui ont refusé de signer l'acte authentique de vente lors de la réunion du 29 mai 2019, après la découverte de la cuve, en est un indice supplémentaire.

L'information devait donc, conformément à l'article 1112-1 du Code civil, être communiquée par le vendeur à l'acheteur à peine de réticence dolosive, étant précisé qu'il n'est pas contesté que les époux [N] la connaissait, ce qui établit suffisamment le caractère intentionnel de l'omission.

La circonstance que la cuve ait été 'inertée' et ne soit pas sous la maison elle-même, mais enterrée entre la clôture sur rue et la façade avant de la maison (pièces [N] 18 et 32), ne suffit pas à renverser le caractère déterminant de l'information omise.

Les époux [P] produisent en pièce 14 des photographies prises lors de leur visite du bien en décembre 2018, qui confirment que le fond du garage (accessible par l'arrière de la maison, voir constat de Maître [H], pièce [N] 13et la pièce 14) était encombré et que le trou permettant de deviner, le cas échéant, la présence d'une cuve au fond du garage, en sous-sol sur le devant de la maison, était invisible (voir également pièce [N] 2, l'annonce de vente avec la photographie de l'entrée du garage en bas de la page 5).

Par ailleurs, rien ne vient établir en appel, plus qu'en première instance, que les époux [P], qui habitaient [Localité 12] (60), étaient 'au fait de l'histoire du village et de l'existence de cette ancienne station-service' (jugement, page 9).

Il importe peu qu'il n'y ait pas eu de contact direct entre les candidats acquéreurs et les vendeurs, représentés par l'agence immobilière HCDC transactions, dès lors que l'obligation d'information pesait sur les vendeurs.

La nullité de la promesse de vente devait être prononcée, le jugement étant en cela confirmé.

Le jugement sera également confirmé en ce qu'il a rejeté l'action en dommages et intérêts exercée par les époux [N] à l'encontre des époux [P], action dépourvue de tout fondement par voie de conséquence.

2. Sur le recours en garantie des vendeurs contre l'agence immobilière HCDC transactions.

A titre subsidiaire, les époux [N] exercent un recours en garantie contre l'agence immobilière et sollicitent que soit 'fixée au passif de la liquidation judiciaire de la Sarl HCDC transactions au bénéfice de M. [A] [N] et de Mme [T] [C] une somme équivalente à toute condamnation à ce titre'.

Ils exposent que l'agent immobilier doit 'se renseigner pour renseigner', que Mme [S], gérante ou employée de l'agence ayant assuré les visites, installée dans la même commune, la connaissait suffisamment pour savoir que la maison était une ancienne station-service, que plusieurs habitants attestent de ce que cela était de notoriété publique, que, d'ailleurs, son ancienne agence, ORPI, avait eu un mandat de vente sur cette même maison, qu'en outre, elle invitait ses clients, par une fiche, à garder le silence lors des visites des biens en vente.

Il n'est pas douteux, au vu des attestations produites par M. et Mme [N], que Mme [S], qui a négocié la vente, savait, comme il était de notoriété dans la commune et dans l'agence ORPI où elle avait travaillé et où le bien avait été mis en vente quelques années auparavant-, que la maison était celle d'une ancienne station-service.

Toutefois, en l'espèce, l'action est exercée non par les acheteurs, mais par les vendeurs contre l'agent immobilier qu'ils ont mandatés.

L'obligation légale d'information pré-contractuelle de l'article 1112-1 du code civil pèse sur 'les parties', mais l'article 1138 du code civil dispose que 'le dol est également constitué s'il émane du représentant, gérant d'affaires, préposé ou porte-fort du contractant. Il l'est encore lorsqu'il émane d'un tiers de connivence'.

Les époux [N] doivent donc établir, soit qu'ils ont demandé à l'agence d'informer les candidats acquéreurs, soit que la réticence dolosive a été partagée.

Or ils sont muets sur le premier point et se bornent à soutenir que l'agence devait 'se renseigner pour renseigner'.

Par ailleurs, les circonstances ne permettent pas de conclure à une réticence dolosive partagée.

Selon une attestation de M. [E] [K], 'employeur' de Mme [S], une réunion a suivi le refus des acquéreurs de régulariser l'acte authentique (pièce SCP 10), au cours de laquelle M. [N] a indiqué qu'en effet l'information n'apparaissait nulle part parce qu'il y avait eu un arrangement 'lors de son achat lui permettant d'acquérir ce bien à moindre coût'. M. [N] a alors demandé à Mme [S] d'attester faussement de ce qu'elle avait informé les acquéreurs, ce qu'elle n'a pas fait.

Les photographies fournies par les époux [N] pour la rédaction de l'annonce (pièce [N] 2) ne donnent aucun indice de la réalité de la cuve enterrée et la photographie du garage ('bel atelier de 64m² sur un terrain d'environ 600m²') le montre, en effet, 'encombré'. Le compromis ne laisse rien percer.

Les vendeurs, responsables d'une réticence clairement intentionnelle, ne sauraient se décharger de leur responsabilité sur l'agence dont il n'est pas établi qu'elle a partagé leur intention frauduleuse.

Le jugement sera donc confirmé en ce qu'il a condamné uniquement les époux [N] à réparer les préjudices subis par les époux [P].

3. Sur les demandes de dommages et intérêts.

L'annulation d'un contrat pour dol ouvre à l'acquéreur la possibilité de demander des dommages et intérêts pour les préjudices que l'annulation et les restitutions peuvent laisser subsister (voir note 32 sous l'article 1137 du code civil Dalloz).

Il convient de confirmer le jugement par adoption de motifs en ce qu'il a décidé que le notaire devait libérer les fonds appartenant aux époux [P] et en ce qu'il a condamné les époux [N] à payer aux époux [P] certaines sommes en lien avec l'annulation de la vente aux torts des époux [N], à savoir :

-1 400 euros au titre des frais de courtier 'Vousfinancer' mentionnés au décompte notarial,

-les frais notarié de préparation de l'acte de vente (montant inconnu),

-la somme de 873 euros au titre des frais d'agence immobilière pour obtenir la location de remplacement.

Le jugement sera confirmé sur ces points.

4. Sur la demande relative aux loyers.

Les époux [P] ont déclaré leur refus de signer l'acte authentique de vente le 29 mai 2019 en l'étude de Maître [J], notaire à [Localité 11] (60).

Ils justifient avoir pris un bien en location le 12 juin 2019, dans la même commune et la même rue que celle de la maison litigieuse, étant précisé par eux qu'ils avaient vendu leur précédent logement, un appartement sis à [Localité 12].

La vente de leur appartement a été régularisée chez le notaire environ un mois après, le 10 juillet 2019 (pièce [P] 15).

Ils sollicitaient de ce chef la somme de 800 euros par mois, montant du loyer acquitté depuis le 12 juin 2019, date de leur entrée dans les lieux, jusqu'au jugement à intervenir.

Le tribunal a fait droit à ces demandes en précisant que les loyers étaient dus jusqu'au prononcé du jugement.

Les époux [P] chiffrent en appel leur préjudice à 21 509,71 euros, jusqu'à leur départ des lieux 'le 8 septembre 2021" (pièce 18).

Ils ne donnent aucun renseignement sur leurs recherches postérieures d'une autre acquisition, et sur la raison de leur départ de leur location en septembre 2021 seulement.

Seul le préjudice en lien de causalité direct avec le dol et l'annulation de la vente peut être indemnisé.

En l'état des éléments fournis, il convient d'accorder la somme de 12 000 euros, représentant 15 mois de location.

Le jugement sera donc réformé en ce sens.

5. Sur les demandes accessoires relatives aux dépens et aux frais non compris dans les dépens.

Le jugement sera confirmé.

Les époux [N], qui échouent principalement en leur appel, seront condamnés solidairement aux dépens d'appel exposés par les intimés, avec droit de recouvrement direct pour Me [B], et à payer une somme de 1 500 euros aux époux [P] et une somme de 1 000 euros à la SCP Angel Hazane et Duval, ès qualités.

Les demandes contraires seront rejetées.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant par arrêt contradictoire, rendu par mise à disposition au greffe, après débats publics, en dernier ressort,

Confirme le jugement rendu par le tribunal judiciaire de Senlis le 14 décembre 2021, excepté sur le montant des dommages et intérêts alloués au titre des loyers payés,

Statuant à nouveau sur ce point, et y ajoutant,

Condamne solidairement M. [A] [N] et Mme [T] [C] épouse [N] à payer à M. [L] [P] et Mme [V] [U] épouse [P] la somme de 12 000 euros à titre de dommages et intérêts,

Condamne solidairement M. [A] [N] et Mme [T] [C] épouse [N] aux dépens d'appel, avec droit de recouvrement direct pour Me [B], et à payer une somme de 1 500 euros à M. [L] [P] et à Mme [V] [U] épouse [P] et une somme de 1 000 euros à la SCP Angel Hazane et Duval, ès qualités, en application de l'article 700 du code de procédure civile ;

Les déboute de leur propre demande de ce chef."