Six semaines ou deux mois ? (vendredi, 14 juin 2024)
La Cour de cassation a émis un avis selon lequel les dispositions de l'article 10 de la loi n° 2023-668 du 27 juillet 2023, en ce qu'elles modifient le délai minimal imparti au locataire pour s'acquitter de sa dette après la délivrance d'un commandement de payer visant la clause résolutoire insérée au bail prévu par l'article 24, alinéa 1er et 1°, de la loi n° 89-462 du 6 juillet 1989, n'ont pas pour effet de modifier les délais figurant dans les clauses contractuelles des baux en cours au jour de l'entrée en vigueur de la loi.
Cet avis :
" Vu les articles L. 441-1 et suivants du code de l'organisation judiciaire et 1031-1 et suivants du code de procédure civile ;
La troisième chambre civile de la Cour de cassation a rendu le présent avis sur le rapport de Mme Gallet, conseiller référendaire, et les observations écrites et orales de M. Sturlèse, avocat général ;
Moyens
Énoncé de la demande d'avis
1. Le 25 mars 2024, la Cour de cassation a reçu une demande d'avis formée le 21 mars 2024 par le tribunal de proximité de Trévoux, en application des articles L. 441-1 et suivants du code de l'organisation judiciaire et 1031-1 et suivants du code de procédure civile, dans une instance opposant la société civile immobilière Vale à M. [K] et Mme [E].
2. La demande est ainsi formulée :
« L'article 10 de la loi n° 2023-668 du 27 juillet 2023 est-il d'application immédiate aux contrats de bail d'habitation en cours ou seulement aux contrats conclus, tacitement reconduits ou renouvelés postérieurement à son entrée en vigueur ?
Dans l'hypothèse d'une application immédiate de cet article aux contrats en cours (qu'il s'agisse du contrat initial ou du contrat reconduit ou renouvelé avant le 29 juillet 2023), la clause résolutoire contractuelle prévoyant expressément un délai de deux mois entre la délivrance du commandement de payer et l'acquisition des effets de ladite clause doit-elle prévaloir sur le nouveau délai légal s'agissant d'une stipulation plus favorable au locataire ?
A fortiori, une telle stipulation, en faveur du locataire, pourrait-elle être valablement réitérée dans le cadre de la reconduction tacite ou du renouvellement du contrat de bail, voire conclue dans le cadre d'un nouveau contrat ? »
Motivation
Examen de la demande d'avis
Sur la recevabilité
3. Il résulte du jugement que le bail objet du litige n'a été ni conclu ni tacitement reconduit ou renouvelé postérieurement à la date d'entrée en vigueur de la loi n° 2023-668 du 27 juillet 2023.
4. Dès lors, les questions posées, en tant qu'elles portent sur l'application de cette loi à un contrat tacitement reconduit ou renouvelé postérieurement à son entrée en vigueur, ne commandent pas l'issue du litige et ne sont donc pas recevables.
5. En revanche, les deux premières questions posées, en tant qu'elles portent sur l'application de l'article 10, I, de cette loi qui, modifiant l'article 24, I, de la loi n° 89-462 du 6 juillet 1989, fixe désormais à six semaines le délai à l'issue duquel une clause résolutoire pour défaut de paiement du loyer produit effet, à un contrat en cours au jour de l'entrée en vigueur de ce texte, commandent l'issue du litige, sont nouvelles, présentent une difficulté sérieuse et sont susceptibles de se poser dans de nombreux litiges.
6. Elles sont donc recevables dans cette limite.
Sur le fond
7. Dans sa rédaction antérieure à la loi du 27 juillet 2023, l'article 24, alinéa 1er, et 1°, de la loi du 6 juillet 1989 disposait :
« I.-Toute clause prévoyant la résiliation de plein droit du contrat de location pour défaut de paiement du loyer ou des charges aux termes convenus ou pour non-versement du dépôt de garantie ne produit effet que deux mois après un commandement de payer demeuré infructueux.
Le commandement de payer contient, à peine de nullité :
1° La mention que le locataire dispose d'un délai de deux mois pour payer sa dette (...) ».
8. Ce texte dispose désormais :
« I. - Tout contrat de bail d'habitation contient une clause prévoyant la résiliation de plein droit du contrat de location pour défaut de paiement du loyer ou des charges aux termes convenus ou pour non-versement du dépôt de garantie. Cette clause ne produit effet que six semaines après un commandement de payer demeuré infructueux.
Le commandement de payer contient, à peine de nullité :
1° La mention que le locataire dispose d'un délai de six semaines pour payer sa dette (...) ».
9. La loi du 27 juillet 2023 ne comprend pas de disposition dérogeant à l'article 2 du code civil, selon lequel la loi ne dispose que pour l'avenir et n'a point d'effet rétroactif.
10. Dès lors, son article 10, en ce qu'il fixe désormais à six semaines le délai minimal accordé au locataire pour apurer sa dette, au terme duquel la clause résolutoire est acquise, ne s'applique pas immédiatement aux contrats en cours, qui demeurent régis par les stipulations des parties, telles qu'encadrées par la loi en vigueur au jour de la conclusion du bail, et ne peut avoir pour effet d'entraîner leur réfaction.
11. Il doit donc être répondu négativement à la première question, ce qui rend sans objet la deuxième.
Dispositif
EN CONSEQUENCE, la Cour :
EST D'AVIS QUE les dispositions de l'article 10 de la loi n° 2023-668 du 27 juillet 2023, en ce qu'elles modifient le délai minimal imparti au locataire pour s'acquitter de sa dette après la délivrance d'un commandement de payer visant la clause résolutoire insérée au bail prévu par l'article 24, alinéa 1er et 1°, de la loi n° 89-462 du 6 juillet 1989, n'ont pas pour effet de modifier les délais figurant dans les clauses contractuelles des baux en cours au jour de l'entrée en vigueur de la loi ;
DIT N'Y AVOIR LIEU A AVIS sur le surplus ;
Fait à Paris et mis à disposition au greffe de la Cour le 13 juin 2024, après examen de la demande d'avis lors de la séance du 11 juin 2024 où étaient présents, conformément à l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire : Mme Teiller, président, Mme Gallet, conseiller référendaire rapporteur, Mme Grandjean, conseiller faisant fonction de doyen, Mme Grall, M. Bosse-Platière, Mmes Proust, Pic, conseillers, Mmes Schmitt, Aldigé, M. Baraké, Mme Davoine, MM. Pons, Choquet, conseillers référendaires, M. Sturlèse, avocat général, et Mme Maréville, greffier de chambre ;
Le présent avis est signé par le conseiller rapporteur, le président et le greffier de chambre."