Nullité de la vente faite en violation du droit de préemption du locataire (vendredi, 14 juin 2024)

La vente faite sans respect du droit de préemption du locataire est nulle.

 

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"Vu l'article 15-II, alinéa 4, de la loi du 6 juillet 1989, ensemble l'article 31 du code de procédure civile ;

Attendu que dans le cas où le propriétaire décide de vendre à des conditions ou à un prix plus avantageux pour l'acquéreur, le notaire doit, lorsque le bailleur n'y a pas préalablement procédé, notifier au locataire ces conditions et prix à peine de nullité de la vente ;

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 25 mars 2011), que la société Miraphisa (la société), propriétaire d'une maison d'habitation, prise pour partie à bail par les époux X..., a délivré à chacun des locataires un congé avec offre de vente portant sur la totalité de l'immeuble au prix de 686 000 euros ; que les preneurs ont quitté les lieux ; qu'ultérieurement, la société a vendu au prix de 266 000 euros à la société civile immobilière Kaloo (la SCI) les lots précédemment donnés à bail aux époux X... ; que ces derniers ont assigné les deux sociétés en nullité de la vente réalisée en méconnaissance de leur droit de préemption ;

Attendu que pour déclarer irrecevable cette demande, l'arrêt retient que la nullité de la vente prévue par l'article 15-II de la loi du 6 juillet 1989 n'étant que relative, il appartient à celui qui la demande de justifier de son intérêt à agir, que le seul intérêt que les époux X... peuvent tirer de la nullité qu'ils invoquent est de se substituer à l'acheteur et de procéder à l'achat du bien aux conditions de la vente querellée, qu'en se contentant de demander qu'il soit dit que la société devrait leur proposer à la vente le bien immobilier dans les conditions préférentielles proposées à la SCI, sans s'engager à acheter ce bien et sans justifier de ce qu'ils se seraient portés acquéreurs de l'appartement si le bailleur leur avait proposé sa vente au prix de 266 000 euros, les époux X... non seulement ne proposent pas de se substituer à l'acheteur et de procéder à l'achat du bien aux conditions de la vente querellée mais encore manquent à la preuve de leur capacité d'acheter ;

Qu'en statuant ainsi, alors que la seule méconnaissance du droit de préemption que le locataire tient de la loi elle-même suffit à rendre recevable son action destinée à faire respecter ce droit, la cour d'appel, qui a fait dépendre la recevabilité de l'action des époux X..., tendant à la nullité de la vente réalisée au mépris de leur droit de préemption, de la preuve de leur capacité financière à l'exercer, a violé les textes susvisés ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 25 mars 2011, entre les parties, par la cour d'appel d'Aix-en-Provence ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel d'Aix-en-Provence, autrement composée ;

Condamne la SCI Miraphisa et la SCI Kaloo aux dépens ;

Vu l'article 700 du code de procédure civile, condamne la SCI Miraphisa et la SCI Kaloo à payer aux époux X... la somme de 2 500 euros, rejette la demande de la SCI Miraphisa ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du quatorze novembre deux mille douze.

MOYEN ANNEXE au présent arrêt :

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Moyen produit par Me Balat, avocat aux Conseils, pour les époux X....

Il est reproché à l'arrêt infirmatif attaqué d'avoir déclaré irrecevable l'action de M. Roger X... et de Mme Michèle Y... épouse X..., tendant à voir prononcer la nullité de la vente conclue le 2 mai 2005 entre la société civile immobilière Miraphisa et la société civile immobilière Kaloo ;

AUX MOTIFS QU' aux termes du quatrième alinéa de l'article 15-II de la loi du 6 juillet 1989, dans le cas où le propriétaire décide de vendre à des conditions plus avantageuses pour l'acquéreur, le notaire, doit, lorsque le bailleur n'y a pas préalablement procédé, notifier au locataire ces conditions et prix à peine de nullité de la vente ; que cette notification est effectuée à l'adresse indiquée à cet effet par le locataire au bailleur ; que si le locataire n'a pas fait connaître cette adresse au bailleur, la notification est effectuée à l'adresse des locaux dont la location avait été consentie ; qu'en l'espèce, il n'est pas contesté que si la notification prévue par ce texte a bien été faite pour une vente globale de l'immeuble à un prix de 686.000 €, vente qui ne s'est pas concrétisée, tel n'est pas le cas relativement à la vente réellement opérée du bien donné à bail pour le prix de 266.000 €, cette circonstance alléguée que les locataires auraient été informés par d'autres voies de cette vente étant inopérante comme ne répondant pas aux exigences formelles de la loi ; que cependant, comme le soulève pertinemment la société civile immobilière Miraphisa, la nullité de la vente prévue par le texte susvisé n'étant que relative, il appartient à celui qui la demande de justifier de son intérêt à agir ; que le seul intérêt que M. Roger X... et Mme Michèle Y..., son épouse, peuvent tirer, en l'état de leurs écritures, de la nullité qu'ils invoquent, est de se substituer à l'acheteur et de procéder à l'achat du bien aux conditions de la vente querellée ; qu'en se contentant de demander qu'il soit dit que la société civile immobilière Miraphisa devra leur proposer à la vente le bien immobilier dont s'agit dans les conditions préférentielles qui ont été proposées à la société civile immobilière Kaloo, sans s'engager à acheter ce bien et sans justifier, alors qu'ils ont été en vain invités à communiquer à la cour une note en délibéré sur le caractère réel et sérieux de leur assertion selon laquelle ils se seraient portés acquéreurs de l'appartement si leur bailleur leur avait proposé sa vente au prix de 266.000 €, M. Roger X... et Mme Michèle Y..., son épouse, non seulement ne proposent pas de se substituer à l'acheteur et de procéder à l'achat du bien aux conditions de la vente querellée, mais encore, alors que la société civile immobilière Miraphisa émet des doutes sérieux sur leur capacité d'acheter, doutes qui sont accrédités par les pièces que cette société soumet aux débats, manquent à la preuve de cette capacité d'acheter ; qu'ainsi, comme le relève la société civile immobilière Miraphisa, au visa de l'article 31 du code de procédure civile, leur action est irrecevable faute de justifier d'un intérêt légitime à agir ; que toutefois, en l'état du défaut de notification par le bailleur, il n'apparaît pas que l'action de M. Roger X... et Mme Michèle Y..., son épouse, ait un caractère abusif ;

ALORS, D'UNE PART, QUE l'obligation pour le propriétaire désireux de vendre son bien à des conditions ou à un prix plus avantageux que celui proposé au locataire d'en faire part à ce dernier préalablement à la vente étant prescrite à peine de nullité de la vente, la seule méconnaissance de cette formalité, qui a nécessairement pour effet de priver le preneur de la faculté de faire usage, en temps utile, de son droit de préemption et partant de l'empêcher de manifester utilement son intention d'exercer ce droit et d'acquérir le bien, suffit à caractériser pour le locataire, un intérêt légitime, au sens de l'article 31 du code de procédure civile, à solliciter en justice l'annulation de la vente, indépendamment du point de savoir si l'intéressé démontre être en mesure de se porter acquéreur du bien ; que dès lors, en se déterminant par la circonstance que les locataires ne démontraient pas être en capacité d'acheter le bien litigieux aux conditions et prix proposés à un tiers, pour en déduire que leur action en nullité de la vente était irrecevable faute de justifier d'un intérêt légitime à agir, la cour d'appel, qui a subordonné l'action en nullité à une condition non prévue par la loi, a violé l'article 15-II, alinéa 4, de la loi n° 89-462 du 6 juillet 1989, dans sa rédaction issue de la loi n° 94-624 du 21 juillet 1994 ;

ALORS, D'AUTRE PART, QUE, subsidiairement, l'intérêt au succès d'une prétention s'apprécie au jour de l'introduction de la demande en justice ; que dès lors, en se déterminant par la circonstance que les locataires ont été invités en vain à communiquer une note en délibéré faisant état d'éléments susceptibles de démontrer leur capacité à financer l'acquisition litigieuse, pour en déduire que faute d'avoir rapporté cette preuve, ils étaient irrecevables en leur action pour défaut d'intérêt à agir, sans rechercher si cette capacité à acheter le bien n'existait pas au jour de la demande en justice, la cour d'appel qui s'est fondée sur un motif inopérant, a privé sa décision de base légale au regard de l'article 31 du code de procédure civile."