Acquérir une servitude d'écoulement des eaux usées par prescription ? (mercredi, 29 mai 2024)
La servitude d'écoulement des eaux usées, dont l'exercice exige le fait de l'homme et ne peut se perpétuer sans son intervention renouvelée, a un caractère discontinu ne permettant pas son acquisition par prescription.
"Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 19 juin 2020), M. [J] a assigné M. et Mme [S], propriétaires voisins, en suppression des canalisations d'évacuation des eaux usées empiétant sur le terrain lui appartenant.
Examen du moyen
Sur le moyen unique, pris en sa troisième branche
Enoncé du moyen
2. M. [J] fait grief à l'arrêt de rejeter la demande, alors « qu'une servitude d'écoulement des eaux usées, dont l'exercice exige le fait de l'homme et ne peut se perpétuer sans son intervention renouvelée, a un caractère discontinu ne permettant pas son acquisition par prescription, même si elle s'exerce au moyen de canalisations apparentes et permanentes ; qu'en décidant le contraire, la cour d'appel a violé les articles 688 et 691 du code civil. »
Réponse de la Cour
Vu les articles 688 et 691 du code civil :
3. Il résulte de ces textes que les servitudes discontinues sont celles qui ont besoin du fait actuel de l'homme pour être exercées et que, apparentes ou non apparentes, elles ne peuvent s'acquérir que par titre.
4. Pour rejeter la demande formée par M. [V] en suppression des canalisations empiétant sur son fonds, l'arrêt retient que M. et Mme [S] ont acquis une servitude d'écoulement des eaux usées par prescription trentenaire.
5. En statuant ainsi, alors que la servitude d'écoulement des eaux usées, dont l'exercice exige le fait de l'homme et ne peut se perpétuer sans son intervention renouvelée, a un caractère discontinu ne permettant pas son acquisition par prescription, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 19 juin 2020, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;
Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris autrement composée ;
Condamne M. et Mme [S] aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par M. et Mme [S] et les condamne à payer à M. [J] la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du dix-sept juin deux mille vingt et un. MOYEN ANNEXE au présent arrêt
Moyen produit par Me Isabelle Galy, avocat aux Conseils, pour M. [J]
Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR constaté l'acquisition par l'effet de la prescription trentenaire, au profit du lot n° 21 appartenant à M. [S] d'une servitude d'écoulement des eaux usées grevant le lot n° 20 appartenant à M. [J], et d'AVOIR débouté ce dernier de sa demande tendant à voir condamner les époux [S] à enlever sous astreinte cette canalisation,
AUX MOTIFS QUE « la division d'un immeuble en lots de copropriété n'est pas incompatible avec la création, au profit d'une partie privative d'un lot, d'une servitude sur la partie privative d'un autre lot ; qu'en conséquence, M. [S] peut disposer d'une servitude de passage de canalisation grevant le fonds de M. [J] ;
Attendu que M. [J] ne justifie pas que le passage de canalisations dans son lot n'a été consenti à M. [S] qu'au titre d'une simple tolérance ; que l'acquisition par M. [S] de cette servitude par prescription suppose que cette servitude soit apparente et continue ; qu'il est constant que le passage des canalisations dans le lot privatif de M. [J] est apparent ; qu'en outre l'évacuation des eaux s'exerçant au moyen de ces canalisations permanentes n'est pas une servitude discontinue, même si son usage n'est qu'intermittent et nécessite l'intervention de l'homme ; que justifiant de l'installation de la canalisation litigieuse depuis 1980, soit depuis plus de trente ans, pour permettre l'évacuation des eaux usées provenant de son appartement, M. [S] est bien fondé à revendiquer l'acquisition de cette servitude par l'effet d'une prescription trentenaire ;
Attendu qu'il convient de confirmer le jugement, sauf en ce qu'il déclare irrecevable l'action au titre de l'empiétement du fait des canalisations traversant le lot n° 20, et de constater que M. [S] justifie avoir acquis sur le lot de M. [J] une servitude de passage d'une canalisation des eaux usées et de débouter ce dernier de ses demandes » (arrêt p. 3),
1°) ALORS QUE les juges du fond ne peuvent méconnaître l'objet du litige tel qu'il est déterminé par les prétentions respectives des parties ; qu'en l'espèce, M. et Mme [S] soutenaient dans leurs conclusions d'appel que les WC situés dans leur lot n° 21 constituaient une partie commune spéciale, ce qui excluait toute servitude ; qu'en retenant, pour débouter M. [J] de ses demandes, que la canalisation litigieuse raccordait deux parties privatives, qu'une servitude d'évacuation des eaux n'est pas discontinue et que M. et Mme [S] avaient acquis cette servitude par prescription trentenaire, la cour d'appel, qui s'est fondée sur un moyen contraire aux propres écritures de ces derniers, a méconnu l'objet du litige et violé l'article 4 du code de procédure civile ;
2°) ALORS QUE les juges du fond ne peuvent soulever un moyen d'office sans inviter les parties à s'en expliquer ; qu'en relevant d'office en l'espèce le moyen tiré de ce que l'évacuation des eaux s'exerçant au moyen d'une canalisation permanente n'est pas une servitude discontinue, même si son usage n'est qu'intermittent et nécessite l'intervention de l'homme, qui n'était pas soulevé par M. et Mme [S], sans inviter les parties à présenter leurs observations, la cour d'appel a méconnu le principe du contradictoire et violé l'article 16 du code de procédure civile ;
3°) ALORS QU'une servitude d'écoulement des eaux usées, dont l'exercice exige le fait de l'homme et ne peut se perpétuer sans son intervention renouvelée, a un caractère discontinu ne permettant pas son acquisition par prescription, même si elle s'exerce au moyen de canalisations apparentes et permanentes ; qu'en décidant le contraire, la cour d'appel a violé les articles 688 et 691 du code civil."