Quasi-ouvrages : revirement de jurisprudence ! (jeudi, 21 mars 2024)

Par un arrêt rendu le 21 mars, la Cour de cassation revient sur sa jurisprudence antérieure en matière de quasi-ouvrage et d'installation d'éléments d'équipements sur existants : la responsabilité encourue est désormais la responsabilité contractuelle. 

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"1. Selon l'arrêt attaqué (Montpellier, 20 avril 2022), en 2012, M. et Mme [O] ont confié à la société L'Univers de la cheminée, assurée auprès de la société Axa France IARD (la société Axa), l'installation d'un insert dans la cheminée de leur maison.

2. Le 13 février 2013, un incendie est survenu dans cette dernière, occasionnant sa destruction ainsi que celle de l'intégralité des meubles et effets s'y trouvant.

3. Estimant que ce sinistre était imputable à l'installation de l'insert de cheminée, ils ont, avec leur assureur, la société Swisslife assurance de biens (la société Swisslife), assigné les sociétés L'Univers de la cheminée et Axa aux fins d'indemnisation.

 

Examen des moyens

Sur les premier et deuxième moyen :


4. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces moyens qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

 


Mais sur le troisième moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

5. La société Axa fait grief à l'arrêt de la condamner, in solidum avec la société L'Univers de la cheminée, à payer à M. et Mme [O] la somme de 79 308,06 euros et à la société Swisslife celle de 142 610 euros, après avoir retenu, au titre du préjudice matériel de M. et Mme [O], la somme de 199 327,49 euros correspondant à la valeur de reconstruction de leur maison, alors « que seuls relèvent de la garantie décennale les désordres causés par les travaux constitutifs d'un ouvrage ; que les travaux d'installation d'un insert dans un conduit de cheminée existant, qui n'impliquent pas la réalisation de travaux de maçonnerie ni atteinte portée au gros oeuvre de l'immeuble, ne constituent pas un ouvrage ; qu'en l'espèce, la cour a estimé que les travaux de pose d'un élément d'équipement tel un insert relevaient de la garantie décennale des constructeurs dès lors qu'il rendaient l'ouvrage dans son ensemble impropre à sa destination ; qu'en statuant ainsi, elle a violé l'article 1792 du code civil. »

 

Réponse de la Cour

Vu les articles 1792, 1792-2 et 1792-3 du code civil :

6. Aux termes du premier de ces textes, tout constructeur d'un ouvrage est responsable de plein droit, envers le maître ou l'acquéreur de l'ouvrage, des dommages, même résultant d'un vice du sol, qui compromettent la solidité de l'ouvrage ou qui, l'affectant dans l'un de ses éléments constitutifs ou l'un de ses éléments d'équipement, le rendent impropre à sa destination. Une telle responsabilité n'a point lieu si le constructeur prouve que les dommages proviennent d'une cause étrangère.

7. Aux termes du deuxième, la présomption de responsabilité établie par l'article 1792 s'étend également aux dommages qui affectent la solidité des éléments d'équipement d'un bâtiment, mais seulement lorsque ceux-ci font indissociablement corps avec les ouvrages de viabilité, de fondation, d'ossature, de clos ou de couvert. Un élément d'équipement est considéré comme formant indissociablement corps avec l'un des ouvrages lorsque sa dépose, son démontage ou son remplacement ne peut s'effectuer sans détérioration ou enlèvement de matière de cet ouvrage.

8. Aux termes du troisième, les autres éléments d'équipement de l'ouvrage font l'objet d'une garantie de bon fonctionnement d'une durée minimale de deux ans à compter de sa réception.

9. Alors qu'il était jugé antérieurement, en application de ces textes, que l'impropriété à destination de l'ouvrage, provoquée par les dysfonctionnements d'un élément d'équipement adjoint à la construction existante, ne relevait pas de la garantie décennale des constructeurs, la Cour de cassation juge, depuis l'année 2017, que les désordres affectant des éléments d'équipement, dissociables ou non, d'origine ou installés sur existant, relèvent de la responsabilité décennale lorsqu'ils rendent l'ouvrage dans son ensemble impropre à sa destination (3e Civ., 15 juin 2017, pourvoi n° 16-19.640, Bull. 2017, III, n° 71 ; 3e Civ., 14 septembre 2017, pourvoi n° 16-17.323, Bull. 2017, III, n° 100).

10. Elle a, également, écarté l'application de l'article L. 243-1-1, II, du code des assurances, selon lequel les obligations d'assurance des constructeurs ne sont pas applicables aux ouvrages existants avant l'ouverture du chantier, à l'exception de ceux qui, totalement incorporés dans l'ouvrage neuf, en deviennent techniquement indivisibles, lorsque les désordres affectant l'élément d'équipement installé sur existant rendaient l'ouvrage, dans son ensemble, impropre à sa destination (3e Civ., 26 octobre 2017, pourvoi n° 16-18.120, Bull. 2017, III, n° 119).

11. Ce revirement de jurisprudence poursuivait, en premier lieu, un objectif de simplification en ne distinguant plus selon que l'élément d'équipement était d'origine ou seulement adjoint à l'existant, lorsque les dommages l'affectant rendaient l'ouvrage en lui-même impropre à sa destination.

12. Il visait, en second lieu, à assurer une meilleure protection des maîtres de l'ouvrage, réalisant plus fréquemment des travaux de rénovation ou d'amélioration de l'habitat existant.

13. Ces objectifs n'ont, toutefois, pas été atteints.

14. D'une part, la Cour de cassation a été conduite à préciser la portée de ces règles. Ainsi, il a été jugé que les désordres affectant un élément d'équipement adjoint à l'existant et rendant l'ouvrage impropre à sa destination ne relevaient de la responsabilité décennale des constructeurs que lorsqu'ils trouvaient leur siège dans un élément d'équipement au sens de l'article 1792-3 du code civil, c'est-à-dire un élément destiné à fonctionner (3e Civ., 13 juillet 2022, pourvoi n° 19-20.231, publié).

15. La distinction ainsi établie a abouti à multiplier les qualifications attachées aux éléments d'équipement et les régimes de responsabilité qui leur sont applicables, au risque d'exclure des garanties légales du constructeur les dommages causés par les éléments d'équipement d'origine.

16. D'autre part, il ressort des consultations entreprises auprès de plusieurs acteurs du secteur (France assureurs, Fédération nationale des travaux publics, Confédération de l'artisanat et des petites entreprises du bâtiment, Fédération française du bâtiment, Institut national de la consommation) que les installateurs d'éléments d'équipement susceptibles de relever de la garantie décennale ne souscrivent pas plus qu'auparavant à l'assurance obligatoire des constructeurs.

17. La jurisprudence initiée en 2017 ne s'est donc pas traduite par une protection accrue des maîtres de l'ouvrage ou une meilleure indemnisation que celle dont ils pouvaient déjà bénéficier au titre d'autres garanties d'assurance.

18. C'est pourquoi il apparaît nécessaire de renoncer à cette jurisprudence et de juger que, si les éléments d'équipement installés en remplacement ou par adjonction sur un ouvrage existant ne constituent pas en eux-mêmes un ouvrage, ils ne relèvent ni de la garantie décennale ni de la garantie biennale de bon fonctionnement, quel que soit le degré de gravité des désordres, mais de la responsabilité contractuelle de droit commun, non soumise à l'assurance obligatoire des constructeurs.

19. La jurisprudence nouvelle s'applique à l'instance en cours, dès lors qu'elle ne porte pas d'atteinte disproportionnée à la sécurité juridique ni au droit d'accès au juge.

20. Pour condamner in solidum la société L'Univers de la cheminée et la société Axa sur le fondement de la garantie décennale, l'arrêt énonce que les désordres affectant des éléments d'équipement, dissociables ou non, d'origine ou installés sur existant, relèvent de la responsabilité décennale lorsqu'ils rendent l'ouvrage dans son ensemble impropre à sa destination, puis retient que le désordre affectant l'insert de cheminée a causé un incendie ayant intégralement détruit l'habitation.

21. En statuant ainsi, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

Portée et conséquences de la cassation

22. En application de l'article 624 du code de procédure civile, la cassation du chef de dispositif de l'arrêt condamnant la société Axa, in solidum avec la société L'Univers de la cheminée, à payer à M. et Mme [O] la somme de 79 308,06 euros et à la société Swisslife celle de 142 610 euros, après avoir retenu, au titre du préjudice matériel de M. et Mme [O], la somme de 199 327,49 euros correspondant à la valeur de reconstruction de leur maison, s'étend aux chefs de dispositif condamnant la société L'Univers de la cheminée à payer les mêmes sommes à M. et Mme [O] ainsi que celle de 37 597 euros au titre de leur préjudice mobilier, outre les intérêts au taux légal à compter du 16 février 2016 sur cette somme et la capitalisation des intérêts qui s'y rattachent par un lien de dépendance nécessaire.

23. En application du même texte et pour le même motif, la cassation s'étend au chef de dispositif condamnant la société Axa à payer à M. et Mme [O] la somme de 10 000 euros à titre de dommages-intérêts pour procédure abusive.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il déclare M. et Mme [O] et la société Swisslife assurance de biens recevables à agir, l'arrêt rendu le 20 avril 2022, entre les parties, par la cour d'appel de Montpellier ;

Remet, sauf sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Nîmes ;

Condamne M. et Mme [O] et la société Swisslife assurance de biens aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé le vingt et un mars deux mille vingt-quatre, par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile ."