Défiscalisation et action contre les débiteurs d'une obligation de conseil (dimanche, 11 février 2024)
Dans une opération d'investissement immobilier locatif avec défiscalisation comportant un emprunt dont le remboursement du capital est différé, le point de départ de l'action en responsabilité engagée par l'acquéreur contre des professionnels pour manquement à leurs obligations respectives d'information, de conseil, ou de mise en garde, est le jour où le risque s'est réalisé, soit celui où l'acquéreur a appris qu'il serait dans l'impossibilité de revendre le bien à un prix lui permettant de rembourser le capital emprunté.
"Faits et procédure
2. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 6 décembre 2021), par acte authentique du 30 juillet 2009, Mme [I] et M. [F] (les acquéreurs) ont acquis, sur la proposition de la société E.G.P.C. finance, société de conseil en gestion de patrimoine et en investissement financier, un appartement et un emplacement de parking en l'état futur d'achèvement à titre d'investissement locatif bénéficiant d'un dispositif de défiscalisation.
3. Pour financer cet investissement, ils ont, par acte du 24 juin 2009, contracté un emprunt d'une durée de deux cent quarante mois, amortissable au cours des cent vingt derniers mois, auprès de la société anonyme Banque patrimoine et immobilier, aux droits de laquelle vient la société Crédit immobilier de France développement (la banque).
4. Reprochant aux sociétés E.G.P.C. finance et W Finance Partner, avec laquelle la première avait conclu une convention de partenariat pour la commercialisation de certains produits immobiliers, ainsi qu'à la banque, un manquement à leurs obligations d'information et de conseil, les acquéreurs les ont assignées en paiement de dommages-intérêts par actes d'huissier de justice des 12, 16 et 17 janvier 2017.
5. La société Primonial est venue aux droits de la société W Finance Partner.
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
6. Les acquéreurs font grief à l'arrêt de déclarer irrecevable comme prescrite leur action en responsabilité dirigée contre la banque et contre la société E.G.P.C. finance, alors « que la prescription d'une action en responsabilité ne courant qu'à compter de la manifestation du dommage et non de la faute qui a été commise, le point de départ du délai quinquennal doit être fixé, lorsque l'action trouve son fondement dans le manquement d'un professionnel à une obligation de renseignement, de mise en garde ou de conseil, au jour de la réalisation du risque dont l'exécution correcte de cette obligation aurait dû préserver la victime, et non point au jour de la conclusion du contrat ou de l'opération litigieuse ; qu'en l'espèce, la perte financière dont l'indemnisation était sollicitée était née de l'impossibilité de revendre, du fait de sa surestimation initiale, un bien immobilier acquis à crédit dans le cadre d'un programme de défiscalisation à un prix suffisant pour permettre le remboursement du capital emprunté, lequel n'était exigible, en raison d'un différé d'amortissement, qu'à l'issue de la période de défiscalisation ; que ce préjudice n'ayant pu se manifester avant la fin de la période de défiscalisation, correspondant au moment où le bien devait pouvoir être revendu à un prix au minimum égal au capital emprunté, la cour d'appel ne pouvait fixer le point de départ du délai de prescription au jour de la signature de l'acte authentique de vente en l'état futur d'achèvement, aux motifs que le dommage résultant d'un manquement à une obligation précontractuelle d'information et de conseil, consistant en la perte d'une chance de ne pas contracter, se manifesterait dès la conclusion du contrat et que la valeur du bien immobilier que l'on envisage d'acquérir serait un élément accessible et connu dès le jour de l'acquisition, sauf à violer l'article 2224 du code civil. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 2224 du code civil :
7. Aux termes de ce texte, les actions personnelles et mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer.
8. Pour déclarer irrecevable l'action des acquéreurs, l'arrêt retient que le point de départ de la prescription se situe au jour où le titulaire du droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer, que les acquéreurs invoquent des manquements au devoir d'information et de conseil par transmission d'informations erronées sur la valeur de l'appartement vendu, que la valeur du bien immobilier que l'on envisage d'acquérir est un élément accessible et connu au jour de l'acquisition et que les acquéreurs sont mal fondés à soutenir avoir découvert cette surévaluation le 14 septembre 2012, jour de l'envoi d'un courrier électronique du directeur des agences PRMI les avisant d'un risque de perte de 30 % par rapport au prix d'achat, voire, le 18 juillet 2016, date d'une estimation de leur bien entre 80 000 et 90 000 euros.
9. En statuant ainsi, alors que dans une opération d'investissement immobilier locatif avec défiscalisation comportant un emprunt dont le remboursement du capital était différé à dix ans, le point de départ de l'action en responsabilité engagée par l'acquéreur contre des professionnels pour manquement à leurs obligations respectives d'information, de conseil, ou de mise en garde, est le jour où le risque s'est réalisé, soit celui où l'acquéreur a appris qu'il serait dans l'impossibilité de revendre le bien à un prix lui permettant de rembourser le capital emprunté, la cour d'appel a violé le texte susvisé.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 6 décembre 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;
Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris, autrement composée ;
Condamne les sociétés E.G.P.C. finance et Crédit immobilier de France développement aux dépens ; En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Crédit immobilier de France développement et condamne les sociétés E.G.P.C. finance et Crédit immobilier de France développement à payer à Mme [I] et M. [F] la somme globale de 3 000 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du premier février deux mille vingt-quatre."