La perte de vue ne donne pas lieu à indemnisation (mardi, 16 janvier 2024)
Cet arrêt juge que "nul n'était assuré, en milieu urbain ou en voie d'urbanisation, de conserver son environnement qu'un plan d'urbanisme pouvait toujours remettre en cause" et refuse donc d'admettre une indemnisation pour une perte de vue causée par la construction de deux maisons.
"Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 13 janvier 2022), se plaignant que la construction de deux maisons dans un lotissement créé en limite sud de sa propriété, obture la vue dégagée dont elle disposait sur la campagne, crée des vues sur son fonds et cause une dépréciation de son bien, Mme [D] a, après expertise, assigné, sur le fondement du trouble anormal de voisinage, Mme [I] et M. [U], d'une part, et Mme [O], d'autre part, propriétaires de ces maisons et la société Azur et constructions qui les avait construites.
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en ses première à quatrième et neuvième branches
2. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Sur le moyen, pris en ses autres branches
Enoncé du moyen
3. Mme [D] fait grief à l'arrêt de rejeter ses demandes, alors :
« 5°/ que le juge ne peut refuser de statuer en se fondant sur l'insuffisance des preuves qui lui sont fournies par les parties ; que la présence des constructions litigieuses et des vues sur la propriété de Mme [D] n'étant pas contestée, la cour devait se prononcer sur la situation objective des lieux au regard du principe selon lequel nul ne peut causer à autrui des troubles excédant les inconvénients normaux du voisinage, au besoin en ordonnant toute mesure d'instruction si elle s'estimait insuffisamment éclairée par les éléments du débat ; qu'en rejetant la demande fondée sur la perte d'intimité dans le logement en se fondant sur « l'absence de précision, hormis des perceptions, sur la distance entre ses pièces de vie et la limite des fonds, et alors que les photographies produites mettent en évidence des baies vitrées dépourvues de tout rideau », la cour a violé l'article 4 du code civil ;
6°/ que nul ne peut causer à autrui des troubles excédant les inconvénients normaux du voisinage et que le caractère normal du trouble ne saurait être déduit de mesures que le voisin qui souffre du trouble pourrait prendre, ou qu'il a prises, pour s'en prémunir ; qu'en rejetant la demande pour cela que s'agissant de la perte d'intimité dans le jardin et la piscine, des haies pouvaient être plantées et que tel avait d'ailleurs été le cas, ce qui atténuait déjà les inconvénients dénoncés, la cour a violé le principe susvisé ;
7°/ que le juge ne saurait statuer par voie d'affirmations péremptoires et écarter des éléments de preuve régulièrement produits aux débats sans procéder à leur examen même succinct ; qu'en affirmant que la perte de valeur du bien ne saurait résulter des trois estimations immobilières établies en novembre et décembre 2015 et de l'affirmation de l'expert selon laquelle le bien est affecté d'une moins-value qui pourrait aller jusqu'au quart de sa valeur, sans examiner, même succinctement, ces pièces qu'elle écartait ainsi péremptoirement et sans dire en quoi elles n'étaient pas à même d'établir la perte de valeur invoquée, la cour a violé l'article 455 du code de procédure civile ;
8°/ que toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement par un tribunal impartial ; qu'en écartant péremptoirement et sans s'en expliquer, même sommairement, les pièces produites par une partie, le juge fait peser un doute légitime sur son impartialité ; qu'en affirmant que la perte de valeur du bien ne saurait résulter des trois estimations immobilières établies en novembre et décembre 2015 et de l'affirmation de l'expert selon laquelle le bien est affecté d'une moins-value qui pourrait aller jusqu'au quart de sa valeur, sans examiner, même succinctement, ces pièces qu'elle écartait ainsi péremptoirement et sans dire en quoi elles n'étaient pas à même d'établir la perte de valeur invoquée, la cour a violé l'article 6, § 1 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
10°/ quand bien même les constructions ne seraient que la conséquence d'une modification du plan local d'urbanisme et quand bien même elles auraient été édifiées en respectant toutes les réglementations applicables, de telles circonstances ne seraient pas de nature à exclure en elles-mêmes l'anormalité des troubles allégués ; qu'en statuant de la sorte, motif pris que les troubles allégués auraient pour origine principale la modification du plan local d'urbanisme dont les constructions ne sont que la conséquence, les propriétaires des nouvelles maisons ne pouvant être tenus pour responsables de la modification des règles locales d'urbanisme, la cour a encore violé le principe selon lequel nul ne peut causer à autrui des troubles excédant les inconvénients normaux du voisinage. »
Réponse de la Cour
4. En premier lieu, la cour d'appel a relevé, par motifs propres et adoptés, que si la construction d'un lotissement en limite sud de la propriété de Mme [D] modifiait son cadre de vie et la privait de la vue dégagée et vide de toute construction dont elle disposait jusqu'à la modification du plan local d'urbanisme ayant supprimé l'interdiction de construire en-deçà de 75 mètres de la route départementale, le droit à la vue n'était pas protégé dans un milieu urbanisé à proximité immédiate d'une voie de déviation routière, dans une commune en pleine expansion et vouée à s'urbaniser.
5. Ayant ainsi fait ressortir que nul n'était assuré, en milieu urbain ou en voie d'urbanisation, de conserver son environnement qu'un plan d'urbanisme pouvait toujours remettre en cause, elle en a souverainement déduit que la perte de vue, dont rien ne démontrait la nature d'intérêt ou le caractère d'exception, ne caractérisait pas, dans ces circonstances, l'anormalité du trouble invoqué.
6. En second lieu, elle a relevé que, contrairement à ce que soutenait Mme [D], les deux maisons du lotissement n'étaient pas édifiées à moins de 3,5 mètres de la sienne mais à plus de 3,5 mètres de la limite divisoire, et a retenu, par une appréciation souveraine des pièces soumises à son examen, que la perte d'intimité dans le logement n'était pas caractérisée faute de précision sur la distance entre les pièces à vivre et la limite des fonds, et que celle invoquée au titre du jardin et des abords de la piscine, à laquelle il avait été remédié par la plantation de végétaux le long de la clôture, ne présentait pas un caractère de gravité traduisant son anormalité.
7. Le moyen, qui sous couvert des griefs des cinquième et sixième branches ne tend qu'à remettre en cause l'appréciation souveraine des juges du fond et qui, en ses septième et huitième branches, est inopérant pour viser des motifs surabondants relatifs à la perte de valeur du bien alors que l'anormalité du trouble de voisinage invoquée n'a pas été retenue, n'est donc pas fondé pour le surplus.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne Mme [D] aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du neuf novembre deux mille vingt-trois."