Le mandat de l'agent immobilier était nul ! (dimanche, 14 janvier 2024)
Cet arrêt juge que le mandat de l'agent immobilier est nul parce que des mentions essentielles ne figuraient pas sur l'exemplaire remis au mandant.
"EXPOSÉ DES FAITS ET DE LA PROCÉDURE
Par contrat du 5 septembre 2017, Mme [K] [W] épouse [N] et M. [P] [N] (époux [N]), propriétaires d'une maison sise à [Adresse 1], ont confié à Mme [X] [L] mandat sans exclusivité pendant vingt-quatre mois de rechercher un acquéreur et réaliser les formalités nécessaires à la vente de leur bien.
Ce mandat stipulait au profit du mandataire, en cas de vente à un acquéreur ayant eu connaissance du bien par son intermédiaire, une indemnité forfaitaire compensatrice équivalente à la valeur de la commission stipulée en cas de réalisation de la vente par son intermédiaire.
Ayant appris que les époux [N] avaient conclu un contrat de vente le 29 janvier 2018 avec Mme et M. [T], auxquels la société Loranza Immo, exerçant sous le nom commercial Duo Immo, représentée par Mme [L], avait fait visiter le bien et qui avaient formulé une offre d'achat le 25 septembre 2017, sans lui verser les honoraires stipulés au contrat de mandat, la société Loranza Immo a sollicité le paiement de la somme de 14 700 € correspondant à la commission fixée par le contrat.
N'ayant pu obtenir le paiement de cette somme, elle a, par acte du 11 juin 2018, assigné les époux [N], devant le Tribunal de grande instance d'Aix-en-Provence, afin d'obtenir leur condamnation à lui payer la somme de 14 700 €.
Reconventionnellement, les époux [N] ont sollicité l'annulation du contrat de mandat.
Par jugement du 31 octobre 2019, cette juridiction a :
- annulé le contrat de mandat de vente sans exclusivité conclu le 5 septembre 2017 ;
- débouté la société Loranza Immo de l'ensemble de ses demandes ;
- condamné la société Loranza Immo à verser aux époux [N] la somme de 1 000 €, sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
- ordonné l'exécution provisoire de la décision.
Pour statuer ainsi, le tribunal a, en substance, considéré, au visa de la loi Hoguet réglementant la profession d'agent immobilier, que le contrat de mandat litigieux est nul dès lors qu'il ne contient ni le numéro d'identification de l'entreprise, ni sa dénomination sociale, ni le lieu de son siège social, ni le numéro et le lieu de délivrance de la carte professionnelle de la société Loranza Immo.
Par acte du 20 décembre 2019, dont la régularité et la recevabilité ne sont pas contestées, la société Loranza Immo a relevé appel de cette décision en visant chacun des chefs de son dispositif.
La procédure a été clôturée par ordonnance en date du 17 août 2023.
PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES
Dans ses dernières conclusions, régulièrement notifiées le 17 mars 2020, auxquelles il convient de se référer pour un plus ample exposé des moyens, la société Loranza Immo demande à la cour de :
' réformer en toutes ses dispositions le jugement rendu entre les parties par le tribunal de grande instance d'Aix-en-Provence le 31 octobre 2019 ;
Statuant à nouveau,
' juger valable le contrat de mandat conclu entre les parties le 5 septembre 2017 et subsidiairement, que l'inobservation du formalisme prévu par la loi du 2 janvier 1970 et du décret du 20 juillet 1972 est sanctionnée par une nullité relative et qu'en l'espèce, les potentielles causes de nullité ont été régularisées par les informations transmises aux époux [N] aux termes de la proposition d'achat du 25 septembre 2017 et de la lettre recommandée notifiée le 20 novembre 2017 ;
' juger que les époux [N] ont intentionnellement vendu leur bien immobilier sans son concours à une personne qu'elle leur a présentée, et que, par abus et fraude, ils l'ont privée de la commission à laquelle elle avait droit ;
' condamner les époux [N] à lui régler la somme de 14 700 € ainsi qu'une indemnité de 3 000 € au visa de l'article 700 du code de procédure civile ;
' les condamner au entiers dépens de première instance et d'appel.
Au soutien de son appel et de ses prétentions, elle fait valoir que :
- le mandat, que les époux [N] ne contestent pas avoir signé, respecte le formalisme exigé par la loi du 2 janvier 1970 puisque l'exemplaire qu'elle produit comporte son tampon, le numéro de mandat, son cachet comprenant l'identité de l'agence, son adresse, sa forme juridique, son numéro SIRET, son numéro de carte professionnelle et l'identité de son représentant légal ;
- en tout état de cause, la loi sanctionne le défaut des mentions afférentes au numéro d'identification du mandataire par une nullité relative ; or, en l'espèce, la proposition d'achat signée par M. [T] le 25 septembre 2017 et une lettre qu'elle leur a adressée mentionnent son numéro d'identification, sa dénomination sociale, son siège social, les références de sa carte professionnelle, sa garantie financière ainsi que la mention selon laquelle elle ne perçoit pas de fonds, de sorte que la cause de nullité, à la supposer constituée, a été régularisée avant la vente du bien ;
- la durée du mandat, soit vingt-quatre mois, est mentionnée dans les conditions générales du contrat, auxquelles la page signée par les mandants renvoie expressément, de sorte que les époux [N] ne pouvaient ignorer, lorsqu'ils ont signé le compromis de vente, que le mandat était toujours applicable , étant observé qu'à cette date, aucune résiliation n'était intervenue dans les formes prévues par le contrat.
Dans ses dernières conclusions d'intimés, régulièrement notifiées le 10 avril 2020, auxquelles il convient de renvoyer pour un exposé plus exhaustif des moyens, les époux [N] demandent à la cour de :
' confirmer le jugement du tribunal de grande instance d'Aix-en-Provence du 31 octobre 2019 en toutes ses dispositions ;
' débouter la société Loranza Immo de toutes ses demandes, fins et conclusions ;
' condamner la société Loranza Immo à leur payer la somme de 3 000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
' condamner la société Loranza Immo aux entiers dépens de la procédure.
Ils font valoir que :
- le mandat de vente doit, à peine de nullité, stipuler le nom ou la raison sociale et l'adresse de l'agence immobilière, le numéro et le lieu de délivrance de la carte professionnelle, l'activité exercée, ainsi que le nom et l'adresse du garant et, le cas échéant, les conditions dans lesquelles l'agent immobilier est habilité à recevoir, verser ou remettre des sommes d'argent, biens effets ou valeurs à l'occasion de l'opération objet du mandat, la forme juridique de la société et son numéro d'identification, le capital social ainsi que l'objet du contrat, le bien visé et son prix, ainsi que sa durée, qui doit être limitée dans le temps ;
- en l'espèce, le contrat qu'ils ont signé ne comporte ni l'identité des parties, notamment celle de l'agence, ni le tampon de la société Loranza Immo, ni le numéro de carte professionnelle de cette dernière et il est imprécis quant à la désignation du bien ;
- la société Loranza immo ne démontre par aucune pièce qu'ils ont eu connaissance des conditions générales du mandat qu'ils n'ont ni paraphées, ni signées, et elle ne rapporte pas la preuve qu'ils ont été informés de la proposition d'achat des époux [T] par son intermédiaire puisqu'aucun bon de visite n'est produit aux débats ;
- en tout état de cause, il résulte d'un courrier que leur a adressé la société Loranza Immo que, d'un commun accord, les parties ont mis fin au mandat le 27 septembre 2017, de sorte que l'agence immobilière ne peut prétendre à une quelconque commission au titre d'une vente qui est intervenue après expiration de ce mandat.
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L'arrêt sera contradictoire conformément aux dispositions de l'article 467 du code de procédure civile.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur la demande d'annulation du contrat de mandat
Le mandat donné à un agent immobilier est soumis aux règles fondamentales qui régissent le contrat de mandat, telles qu'elles ressortent des articles 1984 et suivants du code civil, mais également au formalisme instauré par les dispositions de la loi n°70-9 du 2 janvier 1970 et du décret n° 72-678 du 20 juillet 1972.
Conformément aux articles 1 et 6 de la loi du 2 janvier 1970, dont la violation est invoquée par les époux [N], les conventions conclues avec les agents immobiliers doivent être rédigées par écrit et la preuve de l'existence et de l'étendue du mandat de gestion immobilière délivré à un professionnel ne peut être rapportée que par écrit.
Ces conventions écrites, lorsqu'elles sont conclues avec les personnes visées à l'article 1er de la loi et relatives aux opérations qu'il mentionne en ses 1° à 6°, doivent préciser, conformément aux dispositions de décret précité, les conditions dans lesquelles ces personnes sont autorisées à recevoir, verser ou remettre des sommes d'argent, biens, effets ou valeurs à l'occasion de l'opération dont il s'agit, les modalités de la reddition de compte, les conditions de détermination de la rémunération, ainsi que l'indication de la partie qui en aura la charge.
En l'espèce, sont produits aux débats deux exemplaires du contrat de mandat litigieux, l'un par la société Loranza Immo, l'autre par les époux [N]. L'exemplaire produit par les époux [N] est un original puisque les signatures des mandants y figurent au stylo à bille de couleur bleu et aucun élément de ce document ne démontre qu'il a été modifié a posteriori.
Les deux originaux produits contiennent des mentions différentes puisque celui produit par les époux [N] ne contient pas en haut à droite le cachet de l'agence immobilière, ainsi que la mention et le numéro de sa carte professionnelle de l'agent immobilier, qui y est désigné comme étant [X] [L].
Ce cachet et les références de la carte professionnelle de la société Loranza immo figurent en revanche en haut à droite dans le cadre réservé à l'identification du mandataire sur l'exemplaire produit par la société Loranza Immo.
Par ailleurs, dans le cadre situé en bas à droite, réservé à la signature de l'agent immobilier, l'exemplaire remis aux époux [N] ne contient que celle-ci tandis que celui conservé par l'agent immobilier supporte en outre un cachet 'Duo Immo [Adresse 1], suivi de deux n° de téléphone).
Il résulte de la comparaison des originaux produits que le contrat a été établi en deux exemplaires originaux différents, dont l'un a été remis aux mandants, l'autre conservé par le mandataire.
L'exemplaire remis après signature aux mandants ne comporte, ni le cachet de l'agent immobilier ni le numéro de sa carte professionnelle, que ce soit dans le cadre qui est réservé à l'apposition de celui-ci ou dans celui réservé à la signature de l'agent. Le mandataire y est tout au plus désigné comme étant [X] [L], sans autre précision.
Les pièces produites aux débats ne permettent pas à la cour de déterminer à quel moment le cachet a été apposé sur l'exemplaire en possession de la société Loranza Immo.
Cependant, dès lors que l'exemplaire remis aux acheteurs ne comporte pas ces informations essentielles, il n'est pas établi qu'ils ont eu en main un mandat les renseignant sur l'identité de l'agent immobilier, ses coordonnées, son numéro de carte professionnelle et sa capacité à recevoir des fonds.
Or, l'article 92 du décret n°72-678 du 20 juillet 1972 impose à l'agent immobilier de faire figurer sur tous documents, contrats et correspondance à usage professionnel, le numéro et le lieu de délivrance de la carte professionnelle, ainsi que le nom ou la raison sociale et l'adresse de l'entreprise, outre, l'activité exercée.
Cette obligation complète celle, dont les termes ont été rappelés plus haut, de faire figurer dans le mandat les conditions dans lesquelles l'agent immobilier est autorisé à recevoir, verser ou remettre des sommes d'argent, biens, effets ou valeurs à l'occasion de l'opération.
En application de l'article 1178 du code civil, le contrat qui ne remplit pas les conditions requises pour sa validité est nul.
Les mentions relatives aux conditions dans lesquelles l'agent immobilier est autorisé à recevoir, verser ou remettre des sommes d'argent, biens, effets ou valeurs à l'occasion de l'opération prévue par le mandant, aux modalités de la reddition de compte sont impératives et requises à peine de nullité du mandat dès lors qu'elles ont pour objectif de permettre au mandant de s'assurer que l'agent immobilier exerce de manière régulière.
Si l'obligation pour le mandataire de mentionner sur le contrat le numéro de sa carte professionnelle, son nom ou sa raison sociale et l'adresse de l'entreprise, ainsi que l'activité exercée, n'est pas expressément requise à peine de nullité par la loi et le décret précités, elle n'en doit pas moins être considérée comme une mention impérative, puisque seules ces mentions permettent au mandant non professionnel, dont la protection est assurée par ces textes, d'identifier l'agent immobilier et les conditions dans lesquelles il exerce.
En conséquence, l'absence de ces informations dans l'exemplaire original du contrat remis aux mandants affecte sa validité, autorisant le co-contractant à en solliciter l'annulation.
La société Loranza Immo soutient que le mandant a été régularisé ultérieurement par le bon de visite signé par les époux [T], la proposition d'achat signée ceux-ci le 25 septembre 2017 et le courrier qu'elle a elle-même adressé à Mme et M. [N] le 20 novembre 2017.
Dans la mesure où les dispositions légales et réglementaires précitées ont pour finalité d'assurer la protection du mandant dans ses rapports avec le mandataire, leur méconnaissance est sanctionnée par une nullité relative.
Cependant, selon l'article 1181 du code civil, seule une confirmation de l'acte est susceptible de couvrir une nullité relative.
La confirmation est l'acte juridique par lequel une personne fait disparaître les vices dont se trouve entachée une obligation contre laquelle elle aurait pu se pourvoir par voie de nullité. Selon l'article 1182 du code civil, l'acte doit mentionner l'objet de l'obligation et le vice affectant le contrat (...). L'exécution volontaire du contrat, en connaissance de la cause de nullité, vaut confirmation (...) La confirmation emporte renonciation aux moyens et exceptions qui pouvaient être opposés, sans préjudice néanmoins des droits des tiers.
En l'espèce, le bon de visite du bien par Mme et M. [T], de même que la proposition d'achat formulée ces derniers, comportent certes le logo 'Duo Immo agence immobilière', mais aucune information sur la capacité de l'agent immobilier à recevoir des fonds. Par ailleurs, ces documents n'émanent pas des époux [N] et il n'est démontré par aucune pièce qu'ils leur ont été adressés.
S'agissant du courrier de mise en demeure du 20 novembre 2017, il comporte, en pied de page 2, les informations relatives à l'identité de l'agent immobilier (SARL Loranza Immo, suivie de son objet social et de son numéro d'inscription au RCS), son numéro de carte professionnelle et la mention qu'il ne perçoit pas de fonds. Ce courrier qui n'émane pas des époux [N] ne saurait valoir confirmation au sens du texte précité quand bien même ceux-ci, dans un courrier en réponse du 27 novembre 2017, confirment l'avoir reçu.
Il vaut d'autant moins confirmation, au sens de l'article 1182 du code civil, qu'il ne mentionne pas le vice affectant le contrat et que Mme et M. [N] dans leur courrier en réponse ne manifestent aucune volonté de renoncer la nullité relative du contrat de mandat et, bien au contraire, se prévalent expressément de celle-ci.
Ce courrier est donc insuffisant pour valoir confirmation de l'acte nul.
Au regard de ces éléments, c'est à juste titre que le premier juge a annulé le contrat de mandat du 5 septembre 2017 et débouté la société Loranza Immo de l'ensemble de ses demandes, étant observé qu'en l'absence de tout engagement contractuel valable, celle-ci n'est pas fondée à se plaindre d'avoir été, par fraude, évincée du paiement de la commission fixée au contrat annulé.
Le jugement est, en conséquence, confirmé en toutes ses dispositions.
Sur les demandes annexes
Les dispositions du jugement relatives aux dépens et aux frais irrépétibles sont confirmées.
La société Loranza Immo, qui succombe, supportera la charge des entiers dépens d'appel et n'est pas fondée à réclamer une indemnité, en application de l'article 700 du code de procédure civile.
L'équité justifie d'allouer à Mme et M. [N] une indemnité de 3 000 €, au titre des frais irrépétibles exposés devant la cour.
PAR CES MOTIFS
La Cour, statuant publiquement contradictoirement et en dernier ressort,
Confirme en toutes ses dispositions le jugement rendu le 31 octobre 2019 par le tribunal de grande instance d'Aix en Provence ;
Y ajoutant,
Déboute la société Loranza Immo de sa demande fondée sur l'article 700 du code de procédure civile ;
Condamne la société Loranza Immo à payer à Mme [K] [W] épouse [N] et M. [P] [N], ensemble, une indemnité de 3 000 €, en application de l'article 700 du code de procédure civile, au titre des frais exposés en appel ;
Condamne la société Loranza Immo aux entiers dépens d'appel et accorde aux avocats qui en ont fait la demande, le bénéfice de l'article 699 du code de procédure civile.
Le greffier Le Président."