Preuve de la volonté du bailleur de reprendre les lieux loués (mardi, 24 octobre 2023)

Les juges peuvent tenir compte d'éléments postérieurs au congé dès lors qu'ils sont de nature à établir la volonté de reprise et le caractère réel et sérieux de l'intention du bailleur.

 

 

"Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Douai, 19 mai 2022), le 2 décembre 2019, M. [Y] (le bailleur), propriétaire d'une maison d'habitation donnée à bail à M. et Mme [T] (les locataires), leur a délivré un congé aux fins de reprendre le logement pour l'habiter à effet du 30 septembre 2020, puis les a assignés en validation de ce congé, en expulsion et en paiement d'une indemnité d'occupation.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

2. Les locataires font grief à l'arrêt de valider le congé aux fins de reprise pour habiter, d'ordonner leur expulsion, de les condamner au paiement d'une indemnité d'occupation et de rejeter leur demande en paiement de dommages-intérêts pour congé frauduleux, alors :

« 1°/ que l'article 15 de la loi du 6 juillet 1989, dans sa rédaction issue de la loi du 24 mars 2014, dispose que lorsqu'il donne congé à son locataire pour reprendre le logement, le bailleur justifie du caractère réel et sérieux de sa décision de reprise ; que la sanction du défaut de justification est la nullité du congé ; qu'en énonçant, pour constater la validité du congé pour reprise personnelle délivré à l'initiative de M. [Y], que "la prescription de la justification du caractère réel et sérieux de la décision de reprise à titre de condition de forme du congé n'est pas édictée à peine de nullité", la cour d'appel a violé, par refus d'application, le texte précité ;

2°/ que l'intention frauduleuse du bailleur ayant délivré un congé pour habiter doit s'apprécier au moment où le congé a été délivré ; qu'en retenant qu'il s'évinçait d'un justificatif d'inscription sur les listes électorales de Cauroir en date du 7 décembre 2020, de factures postérieures au 25 juin 2021 attestant de travaux réalisés par M. [Y] dans l'immeuble et d'abonnements souscrits auprès de divers fournisseurs en juillet 2021, que M. [Y] avait l'intention réelle de se loger dans les lieux loués alors que le congé aux fins de reprise a été délivré le 2 décembre 2019, la cour d'appel a statué par des motifs impropres à justifier sa décision et privé son arrêt de base légale au regard de l'article 15 de la loi du 6 juillet 1989 du code civil, dans sa rédaction issue de la loi du 24 mars 2014 ;

3°/ que le droit de reprise du bailleur suppose l'habitation effective des locaux à titre principal ; qu'il ressort des propres constatations de la cour d'appel que les locataires ont quitté les lieux loués le 25 juin 2021, de sorte que M. [Y], l'auteur du congé pour reprise, a pu récupérer son bien pour y habiter à cette date ; qu'en se bornant à énoncer, pour retenir le caractère réel et sérieux de la reprise, que M. [Y] attestait de nombreux travaux, ainsi que d'abonnements souscrits auprès de divers fournisseurs et d'un courrier envoyé aux services fiscaux, sans rechercher si le logement repris constituait bien l'habitation principale de M. [Y], la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 15 de la loi du 6 juillet 1989, dans sa rédaction issue de la loi du 24 mars 2014. »

Réponse de la Cour

3. En premier lieu, selon l'article 15, I, de la loi n° 89-462 du 6 juillet 1989, lorsque le bailleur donne congé à son locataire, ce congé doit être justifié soit par sa décision de reprendre ou de vendre le logement, soit par un motif légitime et sérieux, notamment l'inexécution par le locataire de l'une des obligations lui incombant. A peine de nullité, le congé donné par le bailleur doit indiquer le motif allégué et, en cas de reprise, les nom et adresse du bénéficiaire de la reprise ainsi que la nature du lien existant entre le bailleur et le bénéficiaire de la reprise qui ne peut être que le bailleur, son conjoint, le partenaire auquel il est lié par un pacte civil de solidarité enregistré à la date du congé, son concubin notoire depuis au moins un an à la date du congé, ses ascendants, ses descendants ou ceux de son conjoint, de son partenaire ou de son concubin notoire. Lorsqu'il donne congé à son locataire pour reprendre le logement, le bailleur justifie du caractère réel et sérieux de sa décision de reprise. Le délai de préavis applicable au congé est de six mois lorsqu'il émane du bailleur.

4. Ce texte ajoute qu'en cas de contestation, le juge peut, même d'office, vérifier la réalité du motif du congé et le respect des obligations prévues par celui-ci.

5. La cour d'appel a énoncé, à bon droit, que la prescription de la justification dans le congé du caractère réel et sérieux de la décision de reprise, à titre de condition de forme, n'est pas édictée à peine de nullité.

6. En second lieu, la cour d'appel a, par motifs propres et adoptés, d'une part, retenu, procédant à la recherche prétendument omise, qu'expliquant son projet de reprise par sa volonté, étant devenu veuf, de retourner vivre dans sa région d'origine où résident nombre de ses proches, le bailleur pouvait ainsi décider d'établir sa résidence principale dans le logement loué tout en conservant une résidence secondaire dans le sud de la France, d'autre part, constaté qu'il rapportait la preuve de son inscription sur les listes électorales de la commune le 7 décembre 2020, celle de la réalisation d'importants travaux dans ce logement par la production de factures postérieures à la libération des lieux par les locataires le 25 juin 2021, qu'il justifiait de la souscription de contrats de fourniture d'eau, de gaz et d'électricité, en juillet 2021, d'un abonnement Internet et d'une téléalarme ainsi que de l'information délivrée aux services fiscaux sur son lieu d'habitation en novembre 2021.

7. La cour d'appel, qui pouvait tenir compte d'éléments postérieurs dès lors qu'ils étaient de nature à établir cette intention, en a souverainement déduit le caractère réel et sérieux de l'intention du bailleur, au jour de la délivrance du congé, de reprendre le logement pour l'habiter à titre de résidence principale, et a ainsi légalement justifié sa décision.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne M. et Mme [T] aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du douze octobre deux mille vingt-trois."