L'eau chaude met trop de temps à arriver : garantie décennale ! (lundi, 09 octobre 2023)

Cette décision juge que le risque sanitaire peut caractériser l'impropriété de l'ouvrage à sa destination et justifier une condamnation au titre de la garantie décennale, parce que la longueur des tuyauteries est excessive.

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"Faits et procédure

2. Selon l'arrêt attaqué (Versailles, 24 janvier 2022), la société civile immobilière [Localité 16] ville A2F et la société Vinci immobilier résidentiel ont, en qualité de maîtres d'ouvrage, entrepris courant 2007 la construction d'immeubles comprenant cent-cinquante logements.

3. Sont notamment intervenues à l'opération de construction :
- la société Cotec, maître d'oeuvre de conception technique et d'exécution, assurée auprès de la SMABTP,
- la société Brezillon, entreprise générale, assurée auprès de la société Allianz IARD,
- la société BEP 93, sous-traitant du lot plomberie, assurée auprès de la SMABTP, ayant fait l'objet d'une procédure de liquidation judiciaire et remplacée par la société Établissements Danjou, elle-même désormais en liquidation judiciaire, assurée auprès de Groupama Paris-Val-de-Loire.

4. Les lots ont été vendus en l'état futur d'achèvement et un syndicat des copropriétaires a été constitué pour la résidence dénommée « [Adresse 17] » (le syndicat des copropriétaires).

5. Les travaux ont été réceptionnés le 31 août 2009.

6. Se plaignant de désordres affectant notamment l'installation d'eau chaude sanitaire, le syndicat des copropriétaires a, après désignation en référé d'un expert, assigné les locateurs d'ouvrage et leurs assureurs en indemnisation.

Examen des moyens

Sur le second moyen

7. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le premier moyen, pris en ses première et deuxième branches

Enoncé du moyen

8. Groupama Paris-Val-de-Loire fait grief à l'arrêt de la condamner, en qualité d'assureur de la société Etablissements Danjou, in solidum avec les maîtres de l'ouvrage et les sociétés Cotec et Brezillon à payer au syndicat des copropriétaires certaines sommes au titre des travaux de reprise de l'installation d'eau chaude, de la surconsommation d'eau et du préjudice de jouissance, de fixer le partage de responsabilité entre les intervenants pour les travaux de reprise et les frais d'investigation et de la condamner à garantir son assurée des condamnations prononcées à son encontre, alors :

« 1°/ que celui qui réclame l'exécution d'une obligation doit la prouver ; qu'il incombe, en conséquence, au maître ou à l'acquéreur de l'ouvrage qui agit sur le fondement de la garantie décennale des constructeurs de rapporter la preuve que les conditions d'application de la garantie décennale sont réunies ; qu'en décidant néanmoins qu'il appartenait à la Société Groupama Val-de-Loire, assureur de la société Etablissements Danjou, sous-traitant du lot plomberie, d'établir que le désordre affectant les tuyauteries était apparent pour les maîtres de l'ouvrage ou pour le syndicat des copropriétaires lors de la réception des travaux et de la livraison de l'immeuble, afin d'exclure le jeu de la garantie décennale, la cour d'appel a inversé la charge de la preuve, en violation des articles 1315, alinéa 1, devenu 1353, alinéa 1, et 1792 du code civil ;

2°/ que tout constructeur d'un ouvrage est responsable de plein droit, envers le maître ou l'acquéreur de l'ouvrage, des dommages, même résultant d'un vice du sol, qui compromettent la solidité de l'ouvrage ou qui, l'affectant dans l'un de ses éléments constitutifs ou l'un de ses éléments d'équipement, le rendent impropre à sa destination ; que seul relèvent de la garantie décennale, les désordres non apparents au maître de l'ouvrage lors de la réception ; que présente un caractère apparent, le désordre qui peut être raisonnablement décelé par un maître de l'ouvrage normalement diligent, procédant à des vérifications élémentaires ; qu'en décidant néanmoins que le désordre affectant le circuit de distribution d'eau chaude sanitaire n'était pas apparent, au motif inopérant tiré de la nature particulièrement technique du désordre et après avoir constaté que sa manifestation concrète, à savoir un temps anormalement long pour obtenir de l'eau chaude, aurait pu être décelée au jour de la réception la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé l'article 1792 du Code civil. »

Réponse de la Cour

9. La cour d'appel a retenu que les maîtres de l'ouvrage, qui n'étaient pas des professionnels de la construction, n'avaient pu déceler, lors de la réception, le désordre tenant à la longueur anormale de la tuyauterie, quand bien même sa manifestation concrète, à savoir un temps anormalement long pour obtenir de l'eau chaude, aurait pu être décelée au jour de la réception.

10. Elle en a souverainement déduit, sans inverser la charge de la preuve, le caractère caché des désordres pour les maîtres de l'ouvrage profanes, affectant l'installation d'eau chaude sanitaire.

11. Le moyen n'est donc pas fondé.

Sur le premier moyen, pris en sa troisième branche

Enoncé du moyen

12. Groupama Paris-Val-de-Loire fait le même grief à l'arrêt, alors « que seuls les désordres qui, actuellement, compromettent la solidité de l'ouvrage ou le rendent impropre à sa destination ou qui, avec certitude dans le délai décennal, compromettront la solidité de l'ouvrage ou le rendront impropre à sa destination, relèvent de la garantie décennale ; qu'en se bornant à affirmer, pour décider que le désordre relevait de la garantie décennale, que malgré l'absence de cas avéré de légionellose imputable au réseau d'eau chaude sanitaire, l'impropriété du réseau résultait de la seule non-conformité aux règles sanitaires applicables, sans constater que le seul risque qu'elle relevait s'était réalisé ou était susceptible de se réaliser dans le délai de la garantie décennale, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1792 du code civil. »

Réponse de la Cour

13. Le risque sanitaire encouru par les occupants d'un ouvrage peut, par sa gravité, caractériser à lui seul l'impropriété de l'ouvrage à sa destination, même s'il ne s'est pas réalisé dans le délai d'épreuve.

14. La cour d'appel a relevé, par motifs propres et adoptés, que la longueur des tuyauteries d'eau chaude sanitaire entre les gaines palières et les points de puisage était supérieure à dix mètres, et que cette non-conformité aux règles sanitaires en vigueur, en augmentant la quantité d'eau contenue dans ces tuyauteries, favorisait le risque de développement de légionelles.

15. Elle en a souverainement déduit, sans être tenue de procéder à une recherche que ses constatations rendaient inopérante, que le risque sanitaire auquel se sont trouvés exposés les habitants de l'immeuble pendant le délai d'épreuve rendait, à lui seul, l'ouvrage impropre à sa destination, quand bien même la présence de légionelles n'avait pas été démontrée au cours de cette période, de sorte que le désordre relevait de la garantie décennale des constructeurs.

16. Elle a ainsi légalement justifié sa décision.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur l'autre grief, la Cour :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne la Caisse régionale d'assurances mutuelles agricoles Paris-Val-de-Loire aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du quatorze septembre deux mille vingt-trois et signé par lui et Mme Letourneur, greffier de chambre, qui a assisté au prononcé de l'arrêt."