Fin du bail dérogatoire commercial... ou pas ! (lundi, 12 juin 2023)
Cet arrêt rappelle que le bailleur doit manifester à temps son intention de ne pas admettre la poursuite du bail dérogatoire pour qu'il ne devienne pas alors un bail soumis au statut des baux commerciaux.
"EXPOSÉ DU LITIGE
Suivant acte sous seing privé du 16 juin 2017, la SCI Saint Vincent a consenti à la société SASU Les Hirondelles un bail dérogatoire portant sur un local situé au troisième étage d'un immeuble sis [Adresse 2], (93) pour une durée de trois ans, à compter du 19 juin 2017.
Alléguant de la non-libération des lieux aux termes du bail dérogatoire, par acte d'huissier de justice du 11 février 2022, la SCI Saint Vincent a fait assigner la société Les Hirondelles devant le juge des référés du tribunal judiciaire de Bobigny, au visa de l'article 835 du code de procédure civile, aux fins de voir :
- constater que la société Les Hirondelles est devenue occupante sans droit ni titre au terme du bail dérogatoire fixé le 18 juin 2020 ;
- ordonner l'expulsion de la société Les Hirondelles et de tout occupant de son chef des locaux sis [Adresse 2] et dire applicables les dispositions des articles L. 433-1 et R. 433-1 du code des procédures civiles d'exécution ;
- condamner par provision la société Les Hirondelles à lui verser une indemnité d'occupation mensuelle égale au triple du dernier loyer journalier facturé, accessoires compris, à compter du 18 juin 2020 et jusqu'à parfaite libération des lieux ;
- la condamner au paiement de la somme de 2.400 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens.
La société Les Hirondelles s'est opposée aux demandes, sollicitant la condamnation de la demanderesse à lui verser 3.600 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens.
Par ordonnance contradictoire du 25 avril 2022, le juge des référés du tribunal judiciaire de Bobigny a :
- constaté que la société Les Hirondelles est occupante sans droit ni titre depuis le 18 juin 2020 correspondant au terme du bail dérogatoire signé entre les parties le 19 juin 2017 ;
- ordonné, si besoin avec le concours de la force publique, l'expulsion de la société Les Hirondelles ou de tous occupants de son chef du local situé au troisième étage de l'immeuble du [Adresse 2], à défaut de restitution volontaire des lieux, matérialisée par la remise des clés, dans les quinze jours suivant la signification de la présente ordonnance ;
- dit que les meubles et objets mobiliers se trouvant sur place donneront lieu à l'application des dispositions des articles L. 433-1 et L. 433-2 du code des procédures civiles d'exécution ;
- condamné la société Les Hirondelles à payer à la SCI Saint Vincent une indemnité d'occupation, à compter du 18 juin 2020, égale au montant du loyer, augmenté des charges afférentes qu'elle aurait dû payer si le bail ne s'était pas trouvé résilié, et ce, jusqu'à la libération effective des lieux, matérialisée par la remise des clés ;
- dit n'y avoir lieu à référé sur la demande de triplement de l'indemnité d'occupation s'analysant comme une clause pénale ;
- condamné la société Les Hirondelles à payer à la SCI Saint Vincent la somme de 1.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamné la société Les Hirondelles à supporter la charge des dépens ;
- rappelé que la présente décision est exécutoire par provision.
Par déclaration du 21 octobre 2022, la société Les Hirondelles a interjeté appel de la décision.
Dans ses conclusions remises le 8 décembre 2022, auxquelles il convient de se reporter pour plus ample exposé de ses prétentions et moyens, la société Les Hirondelles demande à la cour, au visa de l'article L. 145-5 du code de commerce et des articles 699 et 700 du code de procédure civile, de :
- déclarer recevable et fondé l'appel qu'elle a interjeté ;
y faisant droit,
- infirmer la décision entreprise en ce qu'elle a constaté l'occupation sans droit ni titre de celle-ci, prononcé son expulsion et l'a condamnée à payer à la SCI Saint Vincent une indemnité d'occupation à compter du 18 juin 2020, égale au montant du loyer, augmenté des charges, qu'elle aurait dû payer si le bail s'était poursuivi, et ce jusqu'à parfaite libération des lieux outre une indemnité au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- juger que la SCI Saint Vincent a frauduleusement voulu détourner le statut des baux commerciaux ;
en conséquence,
- débouter la SCI Saint Vincent de l'ensemble de ses demandes ;
- condamner la SCI Saint Vincent à lui verser la somme de 5.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens, en application de l'article 699 du code de procédure civile.
La société Les Hirondelles soutient en substance :
- qu'en proposant un nouveau bail à la société Les Hirondelles sur une société différente, le bailleur, professionnel de l'immobilier, a violé l'article L. 145-5 du code commerce ;
- que c'est en toute logique qu'elle s'est maintenue dans les lieux après l'expiration du bail dérogatoire dès lors qu'un nouveau bail était en cours de rédaction et qu'au demeurant, elle a continué de s'acquitter de ses loyers et charges ;
- qu'au regard de la jurisprudence, le statut des baux commerciaux s'applique à l'issue du bail dérogatoire si le locataire et le bailleur conviennent de conclure un nouveau bail portant sur le même local, de même que si le bailleur manifeste tacitement son accord pour le maintien dans les lieux, voire engage des négociations en vue de la conclusion d'un nouveau bail.
Dans ses conclusions remises le 21 décembre 2022, auxquelles il convient de se reporter pour plus ample exposé de ses prétentions et moyens, la SCI Saint Vincent demande à la cour, au visa des articles 834 et 835 du code de procédure civile, de l'article 1103 du code civil et des articles L. 145-5 et suivants du code de commerce, de :
- confirmer en toutes ses dispositions l'ordonnance de référé rendue par le président du tribunal judiciaire de Bobigny le 25 avril 2022, et notamment en ce qu'elle a :
constaté que la société Les Hirondelles est occupante sans droits ni titre depuis le 18 juin 2020 correspondant au terme du bail dérogatoire signé entre les parties le 19 juin 2017,
ordonné si besoin avec le concours de la force publique l'expulsion de la société Les Hirondelles ou de tout occupant de son chef du local situé au troisième étage de l'immeuble du [Adresse 2] à défaut de restitution volontaire des lieux matérialisée par la remise des clés dans les quinze jours suivant la signification de la présente ordonnance,
dit que les meubles et objets mobiliers se trouvant sur place donneront lieu à l'application des dispositions des articles L. 433-1 et L. 433-2 du code des procédures civiles d'exécution,
condamné la société Les Hirondelles à lui payer à titre provisionnel une indemnité d'occupation à compter du 18 juin 2020 égale au montant du loyer augmentée des charges afférentes qu'elle aurait dû payer si le bail ne s'était pas trouvé résilié et ce jusqu'à la libération effective des lieux matérialisée par la remise des clés,
condamné la société Les Hirondelles à lui payer la somme de 1.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
condamné la société Les Hirondelles à supporter la charge des dépens ;
y ajoutant,
- condamner la société Les Hirondelles à lui verser la somme de 3.600 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile au titre des frais irrépétibles en cause d'appel ;
- condamner la société Les Hirondelles aux entiers dépens en cause d'appel.
La SCI Saint Vincent soutient en substance :
- que la société Les Hirondelles est occupante sans droit ni titre du local depuis le 18 juin 2020, ce qui constitue un trouble manifestement illicite au sens de l'article 835 du code de procédure civile ;
- que le bailleur a fait connaître son opposition au maintien dans les lieux du locataire par courrier du 6 juillet 2020 conformément aux dispositions de l'article L. 145-5 du code de commerce ;
- que c'est à bon droit que le juge des référés a jugé que les pourparlers engagés postérieurement au terme du bail ne sauraient constituer une quelconque renonciation du bailleur, alors qu'au surplus, ces négociations ont été entreprises avec une autre société que la société locataire, nonobstant l'identité de gérance.
SUR CE LA COUR
L'expulsion d'un locataire devenu occupant sans droit ni titre peut être demandée au juge des référés du tribunal judiciaire en application des dispositions de l'article 835 du code de procédure civile, dès lors que le maintien dans les lieux de cet occupant constitue un trouble manifestement illicite ou qu'à tout le moins l'obligation de libérer les lieux correspond dans cette hypothèse à une obligation non sérieusement contestable.
En outre, l'article 835 alinéa 2 du code de procédure civile dispose que, dans les cas où l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable, le président du tribunal judiciaire ou le juge des contentieux de la protection dans les limites de sa compétence peuvent toujours accorder en référé une provision au créancier ou ordonner l'exécution de l'obligation même s'il s'agit d'une obligation de faire.
Le montant de la provision en référé n'a d'autre limite que le montant non sérieusement contestable de la dette alléguée.
Une contestation sérieuse est caractérisée lorsque l'un des moyens de défense opposés aux prétentions du demandeur n'apparaît pas immédiatement vain et laisse subsister un doute sur le sens de la décision au fond qui pourrait éventuellement intervenir par la suite sur ce point si les parties entendaient saisir les juges du fond.
En l'espèce, il y a lieu de relever :
- que le bail signé par les parties était bien un bail dérogatoire au sens de l'article L. 145-5 du code de commerce, avec un terme fixé au 18 juin 2020 ;
- que, pour rappel, en application de l'article L. 145-5, les parties peuvent, lors de l'entrée dans les lieux du preneur, déroger aux dispositions du présent chapitre à la condition que la durée totale du bail ou des baux successifs ne soit pas supérieure à trois ans ; qu'à l'expiration de cette durée, les parties ne peuvent plus conclure un nouveau bail dérogeant aux dispositions du présent chapitre pour exploiter le même fonds dans les mêmes locaux ; que si, à l'expiration de cette durée, et au plus tard à l'issue d'un délai d'un mois à compter de l'échéance le preneur reste et est laissé en possession, il s'opère un nouveau bail dont l'effet est réglé par les dispositions du présent chapitre ;
- que, dans le présent litige, par courrier du 6 juillet 2020, le bailleur a manifesté son opposition au maintien dans les lieux, soit donc dans le délai d'un mois à compter du terme fixé ;
- que, compte tenu du refus du bailleur de la poursuite du bail, exprimé en temps utile, c'est à juste titre que le premier juge a considéré que la SASU Les Hirondelles était devenue occupante sans droit ni titre, le terme du bail dérogatoire étant échu, sans qu'il n'y ait lieu de constater l'existence d'un nouveau bail tacite ;
- que la société appelante fait certes état que des pourparlers ont eu lieu entre les parties, exposant que le bailleur aurait proposé au gérant la création d'une nouvelle société, aux fins alléguées de pouvoir appliquer à nouveau de manière frauduleuse le statut du bail dérogatoire ;
- que, cependant, nonobstant la teneur des discussions, la SASU Les Hirondelles ne peut arguer de ce qu'elle serait devenue tacitement titulaire d'un nouveau bail commercial ;
- qu'en effet la SCI Saint Vincent a en toute hypothèse manifesté son opposition au maintien dans les lieux de la SASU Les Hirondelles, les discussions sur un autre bail s'étant déroulées entre la SCI Saint Vincent et une autre personne morale, la SARL La Cigogne, ne pouvant dès lors se déduire de telles négociations qu'elles manifesteraient, d'une quelconque façon, un accord tacite pour le maintien dans les lieux de la SASU Les Hirondelles ;
- que l'intention de se soustraire frauduleusement aux dispositions du code de commerce n'est en outre pas établie et est surtout sans effet sur le sort du bail qui liait les personnes morales parties au présent litige ;
- que peu importe aussi le long délai entre la fin du bail dérogatoire et la délivrance de l'assignation devant le premier juge, la qualité d'occupante sans droit ni titre de la SASU Les Hirondelles ne pouvant être remise en cause dans les circonstances de l'espèce, le maintien dans les lieux caractérisant un trouble manifestement illicite ou, à tout le moins, l'obligation de quitter les lieux n'étant pas sérieusement contestable.
Aussi, la décision sera confirmée en toutes ses dispositions, en ce compris les mesures relatives à l'expulsion et à la fixation de l'indemnité provisionnelle d'occupation, le sort des frais et dépens de première instance ayant été en outre exactement réglé par le premier juge.
A hauteur d'appel, la société appelante devra indemniser la société intimée pour les frais non répétibles exposés et sera condamnée aux dépens d'appel.
PAR CES MOTIFS
Confirme l'ordonnance entreprise ;
Y ajoutant,
Condamne la SASU Les Hirondelles à verser à la SCI Saint Vincent 2.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile à hauteur d'appel ;
Condamne la SASU Les Hirondelles aux dépens d'appel."