Prescription de trois ans et bail d'habitation (mercredi, 03 mai 2023)
Une application de la loi du 6 juillet 1989 concernant de la prescription de trois ans, applicable en matière de baux d'habitation.
"Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 15 février 2022), le 7 novembre 2001, la société Logements familiaux, aux droits de laquelle est venue la société Seqens (la bailleresse), a donné à bail à M. [B] (le locataire) un logement qu'il a quitté le 11 septembre 2015 en invoquant les nuisances sonores causées par un autre locataire, dont il s'était plaint dès le mois de septembre 2012.
2. Le 11 juin 2018, le locataire a assigné la bailleresse en indemnisation de son préjudice de jouissance.
Examen des moyens
Sur le premier moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
3. La bailleresse fait grief à l'arrêt de déclarer recevable l'action engagée par le locataire pour les faits postérieurs au 11 juin 2013 et de la condamner au paiement d'une certaine somme à titre de dommages-intérêts, alors « que le délai de prescription de trois ans applicable à l'action du locataire contre son bailleur en indemnisation de son préjudice de jouissance, prévu par l'article 7-1 de la loi du 6 juillet 1989, a couru, pour les préjudices nés antérieurement à l'entrée en vigueur de la loi du 24 mars 2014, à compter du jour de l'entrée en vigueur de cette loi, soit le 27 mars 2014, sans que la durée totale du délai ne puisse excéder la durée de cinq ans antérieurement applicable ; qu'en retenant que ce n'était qu'à compter du 7 août 2015 que l'article 7-1 de la loi du 6 juillet 1989 était devenu applicable immédiatement aux baux en cours, dès lors que c'était la loi n° 2015-990 du 6 août 2015 qui avait indiqué dans son article 82, II, 2°, que cette disposition était immédiatement applicable aux baux en cours, dans les conditions de l'article 2222 du code civil, la cour d'appel a violé les articles 7-1 de la loi n° 89-462 du 6 juillet 1989, 82, II, 2° de la loi n° 2015-990 du 6 août 2015, et 2, 2222 et 2224 du code civil. »
Réponse de la Cour
Vu les articles 2222 du code civil, 7-1, alinéa 1er, de la loi n° 89-462 du 6 juillet 1989, et 82, II, 2° de la loi n° 2015-990 du 6 août 2015 :
4. Selon le premier de ces textes, en cas de réduction de la durée du délai de prescription, ce nouveau délai court à compter de l'entrée en vigueur de la loi nouvelle, sans que la durée totale puisse excéder la durée prévue par la loi antérieure.
5. Aux termes du deuxième, toutes actions dérivant d'un contrat de bail sont prescrites par trois ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant d'exercer ce droit.
6. Selon le dernier, l'article 7-1 susvisé, créé par la loi n° 2014-366 du 24 mars 2014, est applicable dans les conditions fixées à l'article 2222 du code civil.
7. Il en résulte que la durée du délai de prescription des actions dérivant d'un contrat de bail d'habitation est applicable à compter du 27 mars 2014, date d'entrée en vigueur de cette loi.
8. Pour déclarer recevable l'action engagée par le locataire pour les faits postérieurs au 11 juin 2013, l'arrêt retient que l'article 7-1 précité n'a été déclaré immédiatement applicable aux baux en cours que par la loi du 6 août 2015, de sorte que ce n'est qu'à compter de l'entrée en vigueur de ce dernier texte le 7 août 2015 que le délai de prescription réduit à trois ans devait s'appliquer dans les conditions de l'article 2222 du code civil.
9. En statuant ainsi, alors que le délai de prescription réduit à trois ans s'appliquait aux contrats en cours à compter du 27 mars 2014, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 15 février 2022, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;
Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris autrement composée ;
Condamne M. [B] aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par M. [B] et le condamne à payer à la société Seqens la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du six avril deux mille vingt-trois."