Aquarium et garantie décennale (samedi, 04 décembre 2021)
L'arrêt rendu applique la garantie décennale à des aquariums "intransportables en raison de leur poids et de leur fragilité structurelle, (qui) constituaient des ouvrages immobiliers au sens de l'article 1792 du Code civil".
"La société Aquaforum, l'Association Marseille Aquaforum et la société d'Etudes Aquatiques du Sud (SEAS), ont formé par un mémoire déposé au greffe le 26 janvier 1999 un pourvoi incident contre le même arrêt ;
La demanderesse au pourvoi principal invoque, à l'appui de son recours, quatre moyens de cassation annexés au présent arrêt ;
Les demanderesses au pourvoi incident invoquent, à l'appui de leur recours, un moyen unique de cassation également annexé au présent arrêt ;
LA COUR, en l'audience publique du 5 janvier 2000, où étaient présents : Mlle Fossereau, conseiller doyen faisant fonctions de président, M. Villien, conseiller rapporteur, MM. Chemin, Cachelot, Martin, Mme Lardet, conseillers, M. Nivôse, Mmes Masson-Daum, Boulanger, conseillers référendaires, M. Guérin, avocat général, Mme Berdeaux, greffier de chambre ;
Sur le rapport de M. Villien, conseiller, les observations de la SCP Delaporte et Briard, avocat de la SCI Delhon, de la SCP Boré, Xavier et Boré, avocat de la Mutuelle du Mans, de SCP la Célice, Blancpain et Soltner, avocat de l'Union des assurances de Paris, aux droits de laquelle vient Axa Conseil Iard, de la SCP Masse-Dessen, Georges et Thouvenin, avocat de la société Les Forges de Saint-Eloi, de la SCP Vier et Barthélémy, avocat de la société Socosud, de Me Vuitton, avocat de la Compagnie d'assurances générales de France (AGF), de la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat de la société Aquaforum, de l'Association Marseille Aquaforum et de la société d'Etudes Aquatiques du Sud "SEAS", les conclusions de Z..., avocat général, et après en avoir délibéré conformément à la loi ;
Donne acte à la SCI Delhon du désistement de son pourvoi en ce qu'il est dirigé contre la société Axa assurances ;
Sur le premier moyen du pourvoi principal :
Vu l'article 1792 du Code civil ;
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 17 mars 1998), qu'en 1987 la société civile immobilière (SCI) Delhon, assurée par les Assurances générales de France (AGF), a reçu, selon bail à construction plusieurs parcelles de terrains qu'elle a louées à la société Sovia ; que celle-ci y a fait réaliser des aquariums-vivariums par la Société de construction du Sud-Est (SOCOSUD), assurée par l'Union des assurances de Paris (UAP), et qui a sous-traité le lot "serrurerie" à la Société Les Forges de Saint-Eloi, assurée par la Mutuelle du Mans, et le lot "électricité" à M. Y..., assuré par la Mutuelle d'assurance artisanale de France (MAAF), les vitrages étant fournis par M. A..., depuis lors en liquidation judiciaire, assuré par les AGF ; que le 29 mars 1991 l'un des aquariums s'est rompu ; que le 3 octobre 1991, après résiliation du bail commercial consenti à la société Sovia, les aménagements réalisés sont revenus à la SCI, qui a loué les locaux au Groupement d'intérêt économique Aquaforum, lequel, en 1993, a cédé ses droits à la Société d'études aquatiques du Sud (SEAS) et à la société Aquaforum ; qu'en 1994 le grand aquarium s'est brisé et l'exploitation a été interrompue par décision des autorités administratives ; que les sociétés SEAS et Aquaforum ont réclamé à la SCI Delhon la réparation de leurs préjudices d'exploitation, tandis que cette dernière, propriétaire des ouvrages, a assigné les constructeurs et assureurs en paiement des sommes nécessaires à la reconstruction et en garantie ;
Attendu que pour écarter la responsabilité de la société Socosud, l'arrêt retient que le maître de l'ouvrage n'avait jamais signifié à l'entrepreneur les contraintes d'utilisation de l'ouvrage, notamment celles résultant de la mixité des climats artificiels qui se sont révélés particulièrement corrosifs ;
Qu'en statuant par de tels motifs, qui ne suffisent pas à caractériser l'immixtion du maître de l'ouvrage dans les travaux de construction ou son acceptation des risques, alors qu'elle avait relevé que les aquariums intransportables en raison de leur poids et de leur fragilité structurelle, constituaient des ouvrages immobiliers au sens de l'article 1792 du Code civil, que la corrosion des structures métalliques ayant entraîné l'arrêt de l'exploitation des ouvrages rendait ceux-ci inadaptés à l'usage particulier auquel ils étaient destinés, et qu'il n'avait pas été fait appel à une maîtrise d'oeuvre spécialisée, M. Bastidon, conseiller technique du maître de l'ouvrage, n'ayant qu'une compétence limitée à la connaissance des milieux marins, et que dès lors l'entrepreneur était responsable de plein droit des désordres constatés, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé le texte susvisé ;
Et sur le deuxième moyen du pourvoi principal :
Vu l'article 1382 du Code civil ;
Attendu que pour écarter la responsabilité de la société Les Forges de Saint-Eloi et de M. Y... l'arrêt retient que le maître de l'ouvrage n'avait jamais signifié à ces entrepreneurs sous-traitants les contraintes d'utilisation de l'ouvrage, notamment celles résultant de la mixité des climats artificiels qui se sont révélés particulièrement corrosifs ;
Qu'en statuant ainsi, alors qu'elle avait relevé que les aquariums étaient inadaptés à l'usage particulier auquel ils étaient destinés, que les structures métalliques, montées en fer ordinaire protégé par anti-rouille, s'étaient corrodées en raison notamment de la protection insuffisante des armatures, et que l'installation électrique n'était pas faite pour fonctionner dans un milieu aussi humide, la cour d'appel, qui n'a pas recherché comme il le lui était demandé, si ces entrepreneurs n'avaient pas commis des fautes de nature à engager leur responsabilité quasi-délictuelle vis-à-vis du propriétaire des ouvrages, n'a pas donné de base légale à sa décision de ce chef ;
Et sur le troisième moyen du pourvoi principal :
Vu l'article 1147 du Code civil ;
Attendu que pour écarter la responsabilité de M. A... et la garantie de son assureur les AGF, l'arrêt retient que les verres d'aquariums fournis par ce professionnel ne sont pas atteints d'un vice intrinsèque, mais sont d'une épaisseur insuffisante, et que s'il est constant que sa responsabilité pourrait être retenue pour l'erreur de préconisation ou le manquement à son devoir de conseil, il n'apparaît pas qu'il lui ait été demandé de calculer l'épaisseur des vitres ni fourni les éléments permettant de déceler l'épaisseur insuffisante ;
Qu'en statuant ainsi, alors que le fournisseur de matériel, qui doit s'informer des besoins de l'acheteur, est tenu à l'égard de son client d'une obligation de conseil concernant l'adaptation de ce matériel à l'usage auquel il est destiné, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;
Et sur le quatrième moyen du pourvoi principal et le moyen unique du pourvoi incident, réunis :
Vu l'article 16 du nouveau Code de procédure civile ;
Attendu que pour écarter les demandes formées par la SCI Delhon contre son propre assureur les AGF, l'arrêt retient que si la police souscrite garantit les dommages causés à l'immeuble provenant des fuites des eaux et débordements d'appareils, ainsi que les dommages matériels subis par les locataires, elle exclut les dommages liés à l'humidité, à la condensation et à la buée, et qu'il résulte des rapports d'expertise que les dommages subis en l'espèce ne sont pas la conséquence directe des fuites et débordements, mais de l'humidité ambiante qui a provoqué la corrosion des armatures métalliques supportant les aquariums, et qu'ils procèdent donc d'une exclusion de garantie ;
Qu'en statuant ainsi, alors que les AGF, dans leurs conclusions d'appel, n'avaient pas soutenu que la garantie était exclue en raison du fait que les dommages avaient été causés par l'humidité, la cour d'appel, qui a fait application d'office d'une clause du contrat d'assurance non invoquée par les parties sans les inviter au préalable à présenter leurs observations, a violé le texte susvisé ;
PAR CES MOTIFS :
CASSE ET ANNULE mais seulement en ce qu'il a rejeté les demandes formées par la SCI Delhon, et l'a condamnée à supporter les dépens et à payer des sommes aux AGF, à la société Socosud, à l'UAP, à la Société les Forges de Saint-Eloi, à la Mutuelle du Mans, à M. Y... et à la MAAF en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, l'arrêt rendu le 17 mars 1998, entre les parties, par la cour d'appel d'Aix-en-Provence ; remet, en conséquence, quant à ce, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Nîmes, ;
Condamne, ensemble, la Compagnie AGF, la société Socosud, la Compagnie UAP aux droits de laquelle se trouve Axa Conseil Iard, la société Les Forges de Saint-Eloi, la Mutuelle du Mans, M. Y... et la MAAF aux dépens des pourvois ;
"Vu l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, rejette les demandes des sociétés Socosud et les Forges de Saint-Eloi ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de Cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Troisième chambre civile, et prononcé à l'audience publique du neuf février deux mille par Mlle Fossereau, conformément à l'article 452 du nouveau Code de procédure civile."