Prescription pénale et permis de construire (lundi, 26 juillet 2021)
Cet arrêt juge qu'en matière d'urbanisme, la prescription ne commence à courir qu'à compter de l'achèvement d'un ensemble de travaux relevant d'une entreprise unique.
"M. [Y] [N] et la société [Personne morale 1] ont formé des pourvois contre l'arrêt de la cour d'appel de Saint-Denis de la Réunion, chambre correctionnelle, en date du 1er octobre 2020, qui, pour infraction au code de l'urbanisme a condamné, le premier, à 30 000 euros d'amende, la seconde, à 50 000 euros d'amende et a ordonné la remise en état des lieux sous astreinte.
Les pourvois sont joints en raison de la connexité.
Un mémoire, commun aux demandeurs, et des observations complémentaires ont été produits.
Sur le rapport de M.Bellenger, conseiller, les observations de SAS Cabinet Colin - Stoclet, avocat de M.[Y] [N] et de la société [Personne morale 1], et les conclusions de M. Lemoine, avocat général, après débats en l'audience publique du 4 mai 2021 où étaient présents M. Soulard, président, M.Bellenger, conseiller rapporteur, M. Pers, conseiller de la chambre, et Mme Coste-Floret, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.
2. M. [Y] [N] et la société [Personne morale 1] ont été poursuivis devant le tribunal correctionnel des chefs d'exécution de travaux sans permis de construire et en violation du plan local d'urbanisme pour avoir édifié sans autorisation vingt-et-une constructions neuves ou rénovations représentant une surface de 4 132 m² sur une surface au plancher de 650 m² dans une parcelle sise à [Localité 1], commune de [Localité 2] (la Réunion) alors que les constructions nouvelles en zone agricole ou naturelle étaient interdites par le plan local d'urbanisme et que les constructions étaient situées partiellement en zone rouge du plan de prévention des risques d'inondation (PPRI).
3. Les juges du premier degré ont déclaré les prévenus coupables.
4. M. [N], la société [Personne morale 1] et le procureur de la République ont relevé appel de cette décision.
Examen des moyens
Sur le premier moyen
Enoncé du moyen
5. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a déclaré les prévenus coupables et est entré en voie de condamnation, alors « qu'aux termes de l'article 513 du code de procédure pénale, le prévenu ou son avocat auront toujours la parole les derniers ; qu'il ne résulte pas des constatations de l'arrêt que l'avocat des prévenus non comparants a eu la parole le dernier ; que la cour d'appel a donc violé le texte précité. »
Réponse de la Cour
6. Les mentions de l'arrêt, complétées par les notes d'audience régulièrement signées par le greffier et visées par le président, mettent la Cour de cassation en mesure de s'assurer que le prévenu ou son avocat ont eu la parole les derniers.
7. D'où il suit que le moyen n'est pas fondé.
Sur le deuxième moyen
Enoncé du moyen
8. Le moyen fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir confirmé le jugement en ce qu'il a rejeté l'exception de prescription de l'action publique, alors « que le délai de prescription des délits de construction sans permis ou de construction non conforme court à compter du jour où l'ouvrage est en état d'être affecté à l'usage auquel il est destiné ; que si, en cas de travaux successifs, le point de départ du délai de prescription de l'ensemble des travaux peut être fixé au jour de l'achèvement des derniers d'entre eux, ce report est subordonné à la condition que les travaux successifs relèvent d'une entreprise unique et indivisible, ce qui suppose qu'ils soient destinés à un usage commun ; qu'en décidant que la totalité des travaux reprochés aux prévenus relevaient d'une entreprise unique et formaient un tout indivisible, manifestement toujours en cours à la date de l'audience, en sorte qu'aucun des travaux reprochés n'était prescrit, tout en constatant qu'avaient été réalisés, d'abord, un premier ensemble de constructions destinées à la réception d'événements avec accueil, loisir et restauration d'un grand nombre de convives, puis, un ensemble de constructions d'habitations destinées à lui servir de logement, la cour d'appel, qui n'a pas déduit les conséquences légales de ses constatations ou, à tout le moins, ne s'est pas suffisamment expliqué sur la différence de destination des deux séries de constructions, a violé l'article 8 du code de procédure pénale. »
Réponse de la cour
9. Pour rejeter l'exception de prescription, l'arrêt attaqué énonce que le procureur de la République a été saisi le 16 octobre 2013 par la direction de l'environnement, de l'aménagement et du logement (DEAL) de constatations effectuées le 17 juillet 2013 par un agent de la mairie [Établissement 1], qu'une enquête a été ordonnée par réquisition en date du 13 novembre 2013 mais que les travaux se sont poursuivis, malgré les refus du maire, les 24 janvier 2014 et 27 juin 2016, de délivrer respectivement un permis d'aménager et un permis de construire, malgré un arrêté préfectoral du 29 avril 2016 ordonnant l'interruption des travaux et même après la saisine du tribunal correctionnel.
10. Les juges ajoutent que, bien que réalisés par actes successifs, les travaux portant sur vingt-et-une constructions neuves ou rénovations relatives à un restaurant, des cuisines, terrasses, kiosques, blocs sanitaires, maisons d'habitations d'une surface totale de 4 132 m² et d'une surface au sol de 650 m², relèvent d'une entreprise unique et forment un tout indivisible et se sont ainsi succédé depuis l'acquisition de la parcelle en 2008 jusqu'au dernier procès-verbal de constatation de septembre 2017.
11. En l'état de ces constatations procédant de son pouvoir souverain d'appréciation, la cour d'appel a justifié sa décision, dès lors qu'en matière d'urbanisme, la prescription ne commence à courir qu'à compter de l'achèvement d'un ensemble de travaux relevant d'une entreprise unique.
12. D'où il suit que le moyen ne peut qu'être écarté.
Sur le troisième moyen
Enoncé du moyen
13. Le moyen fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir ordonné la démolition des constructions énumérées dans l'acte de poursuite, alors « qu'il résulte des dispositions de l'article L. 480-5 du code de l'urbanisme qu'en cas de condamnation pour une infraction prévue par l'article L. 480-4 du même code, la juridiction correctionnelle statue sur la mise en conformité de l'ouvrage, sa démolition ou le rétablissement des lieux en leur état antérieur au vu des observations écrites ou après audition du maire ou du fonctionnaire compétent ; qu'en ordonnant la démolition des constructions jugées irrégulières après avoir déclaré les prévenus coupables d'infractions prévues par l'article L. 480-4 du code de l'urbanisme, sans qu'il résulte des mentions de l'arrêt ou du jugement confirmé que le maire ou le fonctionnaire compétent ait été entendu ou ait présenté ses observations écrites au sujet de cette mesure, la cour d'appel a violé l'article L. 480-5 du code de l'urbanisme. »
Réponse de la Cour
14. La Cour de cassation est en mesure de s'assurer, au vu des pièces de procédure, que le représentant de la DEAL a sollicité par écrit et oralement à l'audience de la cour d'appel la démolition des constructions irrégulières.
15. Dès lors, le moyen n'est pas fondé.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE les pourvois ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le premier juin deux mille vingt et un."