Nuisances sonores = responsabilité de la commune et de l'Etat (mardi, 11 mai 2021)
La commune guyanaise et l'Etat sont déclarés responsables des nuisances sonores produites par le restaurant qui disposait d'une piste de danse à ciel ouvert.
"Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme A... B... a demandé au tribunal administratif de la Guyane, d'une part, de condamner solidairement l'État et la commune de Rémire-Montjoly à lui payer une indemnité de 400 000 euros, avec intérêts de droit à compter du 21 février 2015, eux-mêmes capitalisés, en réparation des préjudices occasionnés par le fonctionnement de l'établissement " Kontiki Beach " exploité à proximité de son habitation, d'autre part, de condamner l'État et la commune de Rémire-Montjoly à lui payer, chacun, une indemnité de 40 000 euros avec intérêts de droit à compter du 20 août 2015 eux-mêmes capitalisés, en réparation des préjudices occasionnés par le fonctionnement de l'établissement " Kontiki Beach ".
Par un jugement n° 1500479- n°1600237 du 28 juin 2018, le tribunal administratif de la Guyane a rejeté ses demandes.
Procédure devant la cour :
Par une requête et des mémoires, enregistrés le 15 octobre 2018 et les 21 janvier, 22 mars 2020, 20 septembre, 29 et 30 novembre 2020, ces deux derniers mémoires n'ayant pas été communiqués, Mme B..., représentée par Me C... puis Me H..., demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de la Guyane du 28 juin 2018 ;
2°) de condamner solidairement la commune de Rémire-Montjoly et l'État à lui payer une somme de 400 000 euros avec intérêts à compter du 21 février 2015, eux-mêmes capitalisés, en réparation des préjudices occasionnés par le fonctionnement de l'établissement " Kontiki Beach " exploité à proximité de son habitation ;
3°) de condamner solidairement la commune de Rémire-Montjoly et l'État à lui payer une somme de 80 000 euros avec intérêts à compter du 20 août 2015 eux-mêmes capitalisés, en réparation des préjudices occasionnés par le fonctionnement de l'établissement " Kontiki Beach " ;
4°) de mettre à la charge solidaire de l'État et de la commune de Rémire-Montjoly la somme de 800 euros au titre des dépens ;
5) de mettre à la charge solidaire de l'État et de la commune de Rémire-Montjoly la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Mme B... soutient que :
- c'est à tort que les premiers juges ont estimé qu'elle n'apportait pas la preuve des nuisances sonores qu'elle subit, alors que l'établissement est un restaurant de plage ouvert toute la semaine avec une piste de danse à ciel ouvert qui organise de nombreuses soirées jusqu'à 7 h du matin ;
- le maire a délivré un permis de construire illégal ;
- le permis a été délivré dans une zone pourtant non constructible et sur une parcelle n'ayant pas fait l'objet d'une autorisation de division ;
- le maire et le préfet n'ont pas appliqué la décision de justice portant annulation du permis de construire valant autorisation de recevoir du public ;
- ces autorités ont autorisé l'accueil du public en organisant, postérieurement à l'annulation du permis de construire le 2 juillet 2012, des visites des commissions de sécurité le 18 septembre 2012 et 4 octobre 2012, postérieurement à l'annulation ; ils ont ainsi laissé exploiter un établissement dont le dispositif d'assainissement était conçu pour une buvette liée à une base nautique accueillant les enfants seulement de jour ;
- malgré les plaintes des riverains liées aux nuisances sonores, le maire et le préfet n'ont pas exercé le pouvoir de police qu'ils tiennent des dispositions des articles L. 2212-2 et L. 2214-4 du code général des collectivités territoriales ; l'établissement n'a fermé qu'au début de l'année 2018 à la suite d'une plainte du 13 janvier 2018 de la requérante au préfet de la Guyane qui a déclenché un contrôle ;
- elle a subi un préjudice de santé et des troubles dans ses conditions d'existence, dès lors qu'elle ne peut plus dormir dans son domicile, ne peut plus exercer sa profession de médecin normalement au regard de son état de fatigue, elle doit régulièrement quitter la Guyane pour aller se reposer en métropole et aller vivre dans une maisonnette lui appartenant à Cayenne jusqu'à la fermeture de l'établissement début 2018, et a de ce fait perdu les loyers qu'elle aurait pu percevoir en la louant ;
- la dépréciation de la valeur vénale de sa villa a été établie par un expert judiciaire.
Par des mémoires en défense, enregistrés les 3 septembre 2019 et 17 février 2020, le ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales conclut au rejet de la requête et fait valoir que les moyens ne sont pas fondés.
Par un mémoire en défense, enregistré le 3 octobre 2020, la commune de Rémire-Montjoly, représentée par Me E..., conclut :
- à titre principal, au rejet de la requête ;
- à titre subsidiaire, à ce que l'État soit condamné à la garantir intégralement des condamnations prononcées à son encontre ;
- à ce que la somme de 5 000 euros soit mise à la charge de Mme B... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
La commune soutient que les moyens de la requête ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code général des collectivités territoriales ;
- le décret n° 2020-1406 du 18 novembre 2020 portant adaptation des règles applicables devant les juridictions de l'ordre administratif ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme J...,
- les conclusions de Mme D... F...,
- et les observations de Me H..., substituant Me C..., représentant Mme B....
Considérant ce qui suit :
1. Par arrêté du 24 janvier 2011, le maire de la commune de Rémire-Montjoly a accordé à la SNC Le Diamant un permis de construire une base de loisirs à caractère nautique sur un terrain cadastré AP 237 situé PK 14 Route des Plages. Par jugement du 2 juillet 2012, le tribunal administratif de la Guyane, à la demande de Mme B..., a annulé ce permis de construire, et ce jugement a été confirmé le 27 novembre 2014, sous le n° 12BX02594, par la présente cour, au motif que le bâtiment ne respectait pas la servitude de recul par rapport à la route départementale et qu'aucune régularisation n'était possible. Toutefois, l'établissement a continué d'être exploité et Mme B... a saisi le tribunal administratif de la Guyane de demandes tendant à ce que l'État et la commune de Rémire-Montjoly soient condamnés solidairement à l'indemniser des préjudices qu'elle subit. Elle relève appel du jugement du 28 juin 2018 rejetant ses demandes.
Sur la faute :
2. Aux termes de l'article L. 2212-1 du code général des collectivités territoriales : " Le maire est chargé, sous le contrôle administratif du représentant de l'État dans le département, de la police municipale, de la police rurale et de l'exécution des actes de l'État qui y sont relatifs ". Aux termes de l'article L. 2212-2 du même code : " La police municipale a pour objet d'assurer le bon ordre, la sûreté, la sécurité et la salubrité publiques. Elle comprend notamment : (...) 2° Le soin de réprimer les atteintes à la tranquillité publique telles que les rixes et disputes accompagnées d'ameutement dans les rues, le tumulte excité dans les lieux d'assemblée publique, les attroupements, les bruits, les troubles de voisinage, les rassemblements nocturnes qui troublent le repos des habitants et tous actes de nature à compromettre la tranquillité publique : / 3° Le maintien du bon ordre dans les endroits où il se fait de grands rassemblements d'hommes, tels que les foires, marchés, réjouissances et cérémonies publiques, spectacles, jeux, cafés, églises et autres lieux publics (...) ". Enfin, aux termes de l'article L. 2215-1 du même code : " La police municipale est assurée par le maire, toutefois : 1º Le représentant de l'État dans le département peut prendre, pour toutes les communes du département ou plusieurs d'entre elles, et dans tous les cas où il n'y aurait pas été pourvu par les autorités municipales, toutes mesures relatives au maintien de la salubrité, de la sûreté et de la tranquillité publiques. / Ce droit ne peut être exercé par le représentant de l'Etat dans le département à l'égard d'une seule commune qu'après une mise en demeure au maire restée sans résultat ".
3. Il résulte de ces dispositions que le maire est chargé sur le territoire de sa commune de prévenir et réprimer les atteintes à la tranquillité publique et qu'en cas d'abstention du maire à prendre les mesures nécessaires, le préfet est compétent pour pallier cette carence après mise en demeure au maire restée sans résultat.
4. Il résulte de l'instruction que dès 2010, avant même la délivrance du permis de construire du 24 février 2011 annulé le 2 juillet 2012 par le tribunal administratif de la Guyane, Mme B..., ainsi que d'autres riverains de la route des plages à Rémire-Montjoly, ont adressé au maire et au préfet de la Guyane des courriers, déposé des plaintes à la gendarmerie et saisi la police municipale de demandes d'intervention, au motif que se tenaient au 14 route des plages, au restaurant " le Kontiki Beach ", des réceptions nocturnes à l'origine d'importantes nuisances, notamment sonores. Ainsi, trois plaintes ont été déposées par Mme B... à la gendarmerie en 2010, les 14 août, 24 octobre et 12 novembre. En 2011, deux riverains ont déposé plainte le 4 novembre 2011, pour des soirées organisées les 6 août, 13 octobre, 15 octobre et 30 octobre, et Mme B... a déposé auprès de la police municipale une demande d'intervention à la suite de la soirée du 15 octobre 2011. Des riverains ont également porté plainte pour tapage nocturne le 8 juillet 2013. Une nouvelle plainte a été déposée le 25 décembre 2014 par Mme B..., faisant état de nuisances sonores nocturnes récurrentes, et le 21 février 2015, la requérante a adressée au maire et au préfet de la Guyane des courriers se plaignant des nuisances et demandant à être indemnisée des préjudices subis. Le 8 juillet 2015, Mme B... a saisi d'une première requête le tribunal administratif de la Guyane, et adressé au maire un courrier lui demandant à nouveau de faire cesser les troubles et d'empêcher la tenue d'une manifestation prévue de 15 heures à 2 heures du matin le 11 juillet 2015. Le maire a alors adressé au gérant du " Kontiki Beach " un courrier du 9 juillet 2015, lui demandant de se " conformer au cadre réglementaire autorisé en terme d'organisation du stationnement, de surveillance, d'encadrement, d'effectif et de maîtrise des nuisances sonores ", avant d'ajouter " Je vous renvoie aussi aux différentes procédures contentieuses qui ont été introduites à l'encontre du fondement juridique de votre construction, et il convient dans cette configuration de vous limiter à exercer une activité qui ne génère pas de problème de voisinage ". Toutefois, la manifestation a bien eu lieu, et les voisins ont créé un collectif des riverains de la route des plages et ont signé, le 12 juillet 2015, une pétition dénonçant les nuisances sonores et la présence anarchique de 155 véhicules. Le constat d'huissier dressé le 11 juillet 2015 à la demande de Mme B... relève qu'à 18 h 30, le Kontiki Beach passait déjà de la musique audible de la voie publique, et qu'à 22 h 30, outre la présence de très nombreuses voitures garées de façon anarchique au niveau de la résidence de Mme B... et en rendant difficile l'accès, comme en témoignent les photographies du rapport, l'huissier, ayant pénétré dans l'habitation, a constaté " la présence de la musique qui provient de la discothèque, notamment des " basses " qui arrivent jusqu'au balcon, avec de nombreuses vibrations " et " les invitations du D.J. auxquelles répondent bruyamment les participants ". Les nuisances ont persisté jusqu'à la fermeture de l'établissement au début de l'année 2018, comme en attestent les copies d'écran du site internet du " Kontiki Beach " qui font état de soirées " Summervibes " les 9 et 16 août 2015 de 18 heures à minuit, sur lesquelles sont publiées les photographies d'une piste de danse à ciel ouvert, les prospectus de présentation de soirées, notamment celui portant sur une soirée " Zouk Rétro avec DJ Brando " organisée le 20 août 2016 à 20 h, ainsi que l'interview donnée par le gérant au journal " TV magazine " de la semaine du 17 au 23 décembre 2016, dans laquelle il explique que des animations " soul music " sont organisées tous les jeudi soirs, et que des soirées " à surprises " sont organisées pendant les fêtes de fin d'année. Mme B... a de nouveau sollicité l'intervention de la police municipale le 21 juillet 2016, pour des nuisances sonores quotidiennes de 19 h à 2 h du matin, et déposé plainte le 11 novembre 2016, sans que cela ne change rien à la situation, comme en témoigne la copie d'écran du site internet de l'établissement qui mentionne une soirée " Ultimate Garden " le 27 août 2017 de 17 h à minuit. Par suite, en s'abstenant, malgré les demandes des riverains, de prévenir et réprimer ces atteintes répétées à la tranquillité publique sur une période de plus de sept ans, le maire de Rémire-Monjoly a commis une faute de nature à engager la responsabilité de la commune. De même, la faute du préfet de la Guyane, qui s'est abstenu de pallier la carence du maire, est susceptible d'engager la responsabilité de l'État.
Sur les préjudices :
5. En premier lieu, les nuisances ayant cessé et la parcelle sur laquelle était implanté le " Kontiki Beach " étant désormais classée en zone naturelle non constructible au terme de la révision du plan local d'urbanisme du 27 juin 2018, Mme B... ne peut être indemnisée d'une perte de valeur vénale de son bien.
6. En deuxième lieu, Mme B... soutient que, du fait des nuisances, elle s'est trouvée dans l'obligation de quitter son domicile route des plages et de résider du 1er octobre 2015 au 31 décembre 2018, dans un local de 52 m² lui appartenant situé 46 rue Léopold Heder à Cayenne, qu'elle donnait jusque-là en location à une association, pour un loyer mensuel de 900 euros. Toutefois, aucune des pièces du dossier ne venant accréditer cette allégation, Mme B... n'est, par suite, pas fondée à demander à être indemnisée d'une quelconque perte de loyers.
7. En troisième lieu, le lien de causalité entre les pertes de revenus professionnels dont se prévaut Mme B... et les fautes du maire de Rémire-Monjoly et du préfet de la Guyane n'est pas établi.
8. Enfin, il sera fait une juste appréciation des troubles dans les conditions d'existence subis par Mme B... en les évaluant à la somme de 15 000 euros.
Sur les intérêts et la capitalisation des intérêts :
9. La somme de 15 000 euros portera intérêts à compter de la date du 21 février 2015, dont il n'est pas contesté qu'il s'agit de la date de la réception par le préfet de la Guyane et le maire de Rémire-Montjoly de la première demande d'indemnisation présentée par Mme B....
10. La capitalisation des intérêts a été demandée devant le tribunal administratif le 8 juillet 2015. Cette demande ne peut toutefois prendre effet que lorsque les intérêts sont dus au moins pour une année entière. Il y a lieu, dès lors, de faire droit à cette demande à compter du 8 juillet 2016 ainsi qu'à chaque échéance annuelle à compter de cette date.
Sur l'appel en garantie de la commune :
11. Si la commune demande à être garantie intégralement par l'État des condamnations prononcées à son encontre, elle ne fait valoir aucun moyen à l'appui de ces conclusions.
Sur les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
12. L'article L. 761-1 du code de justice administrative s'oppose à ce que soit mise à la charge de Mme B..., qui n'est pas partie perdante, la somme que la commune demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. En revanche, dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge solidaire de l'État et de la commune de Rémire-Montjoly, au profit de Mme B..., la somme de 2 800 euros, incluant les frais résultant de la production du constat d'huissier de Me G....
DÉCIDE :
Article 1er : L'État et la commune de Rémire-Montjoly sont condamnés solidairement à verser à Mme B... la somme de 15 000 euros, avec intérêt à compter du 21 février 2015 et capitalisation des intérêts à compter du 8 juillet 2016.
Article 2 : L'État et la commune de Rémire-Montjoly sont condamnés solidairement à verser à Mme B... la somme de 2 800 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le jugement du tribunal administratif de la Guyane du 28 juin 2018 est annulé.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête de Mme B... est rejeté.
Article 5 : les conclusions d'appel en garantie de la commune de Rémire-Montjoly ainsi que celles présentées au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à Mme A... B..., à la commune de Rémire-Montjoly et au ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales.
Délibéré après l'audience du 3 décembre 2020 à laquelle siégeaient :
M. Rey-Bèthbéder, président,
Mme I..., présidente-assesseure,
Mme Florence Madelaigue, premier-conseiller."
Rendu public par dépôt au greffe le 31 décembre 2020.