Un congé qui ne mentionne pas l'adresse du bénéficiaire de la reprise est-il nul ? (jeudi, 22 avril 2021)
Le congé qui avait été donné par le propriétaire ne mentionnait pas l'adresse du bénéficiaire de la reprise. La cour d'appel de Lyon considère que, en l'absence de grief pour le locataire, celui-ci ne peut pas se prévaloir de la nullité du congé pour ce motif.
"Par acte sous seing privé du 1er janvier 2013, Bernadette B. a donné à bail d'habitation à Nathalie S. un logement sis à [...].
Par lettre recommandée avec accusé de réception du 16 juin 2015, reçue le 19, Bernadette B. a fait délivrer à Madame S. un congé pour reprise en faveur de ses deux petits-enfants à effet au 31 décembre 2015.
La locataire s'est maintenue dans les lieux.
Par acte d'huissier signifié à personne le 26 juillet 2016, Madame B. lui a fait délivrer une mise en demeure de quitter les lieux sans délais ainsi que de procéder aux réparations locatives, de s'acquitter des loyers, charges, impôts afférents au logement.
Par acte d'huissier délivré le 14 septembre 2016, Bernadette B. l'a assignée au tribunal d'instance de Saint-Etienne pour obtenir sous exécution provisoire la validation de son congé, l'expulsion de sa locataire devenue sans droit ni titre, le paiement de 11 979,47 euros au titre des loyers et charges arrêtés en septembre 2016 avec intérêts au taux légal, la fixation d'une indemnité d'occupation outre 1 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile outre les dépens comprenant le coût du commandement de payer.
La procédure a été dénoncée au Préfet de la Loire par lettre recommandée avec accusé de réception du 15 septembre 2016.
Par jugement du 11 septembre 2017, une mesure d'expertise du logement s'agissant de sa décence et des travaux à réaliser a été ordonnée. Madame Nathalie S. a été autorisée à consigner son loyer sur un compte Carpa.
Suivant jugement du 11 décembre 2018, la disjonction des procédures a été ordonnée l'une pour les demandes de paiements des loyers et des éventuels dommages et intérêts compte tenu de l'expertise en cours, et l'autre aux fins de validation du congé, expulsion, et fixation de l'indemnité d'occupation.
Nathalie S. a conclu à la nullité du congé qui a été remis en mairie le 29 juin 2016 et qui ne comporte pas l'adresse des bénéficiaires. Elle a fait valoir que la procédure n'avait été mise en 'oeuvre qu'en 2017. Le loyer était de 300 euros. Il s'agit d'une colocation. Il n'y a pas eu d'état d'entrée dans les lieux. Elle a réalisé des travaux de remise en état ce qui a servi pour l'augmentation du loyer. Elle n'a payé que 113 euros par mois car les travaux préconisés par la CAF n'ont pas été réalisés par la propriétaire et que depuis l'APL a été consignée. Subsidiairement, elle a demandé de dire que les manquements et résistances volontaires de sa bailleresse l'ont contrainte à cesser son activité professionnelle et à vivre dans des conditions déplorables et inhumaines. Elle a conclu au rejet de son expulsion et à défaut un délai d'au moins six mois avec obligation pour la propriétaire de lui proposer un relogement correspondant à ses besoins et possibilités. Elle ne bénéficie que du RSA. Elle sollicite un sursis à statuer sur l'indemnité d'occupation pour la rattacher à l'autre procédure en réservant les demandes de frais irrépétibles et au titre des dépens.
Suivant jugement du 24 juin 2019, le tribunal d'instance de Saint-Etienne a':
dit n'y avoir lieu à écarter les conclusions de la défenderesse
constaté la validité du congé pour reprise notifié le 19 juin 2015 à Nathalie S. par Bernadette B. concernant le logement situé à [...]
ordonné l'expulsion de Nathalie S. et de tous occupants de son chef et autorisé Bernadette B. à reprendre possession de ce logement
rejeté la demande de délais pour quitter les lieux
dit qu'à défaut pour Nathalie S. d'avoir volontairement quitté le logement deux mois après la signification du commandement d'avoir à libérer les lieux, il sera procédé à son expulsion et à celle de tous occupants de son fait, avec l'assistance de la force publique et d'un serrurier, si besoin est, et au transport de meubles laissés dans les lieux aux frais de l'expulsée dans tel garde-meuble désigné par cette dernière ou à défaut par le bailleur,
condamné Nathalie S. à payer à Bernadette B. une indemnité d'occupation égale au montant des loyers et charges qui auraient été dus en cas de non-résiliation du bail, et ce à compter de la date de résiliation du bail soit le 1er janvier 2016 jusqu'à la libération totale des lieux étant précisé que les indemnités d'occupation porteront intérêts légaux à compter du présent jugement pour les indemnités échues et à compter de chaque indemnité pour les indemnités à échoir,
dit que l'indemnité d'occupation sera due au prorata temporis et payable à terme et au plus tard le 5 du mois suivant,
dit qu'il y a lieu de sursoir quant au calcul du montant de cette indemnité d'occupation jusqu'au prononcé de la décision définitive concernant la partie de la procédure qui a fait l'objet de la disjonction,
dit que Madame B. sera autorisée à obtenir le remboursement des charges locatives au sens de l'article 23 de la loi de 1989,
condamné Nathalie S. à payer à Bernadette B. la somme de 300 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
rejette tous les autres chefs de demande,
condamné Nathalie S. aux dépens de l'instance qui seront recouvrés selon les règles de l'aide juridictionnelle,
ordonné l'exécution provisoire.
Appel a été interjeté par le conseil de madame S. à l'encontre de l'entier jugement sur les demandes au fond.
Suivant le dernier état de ses conclusions, notifiées par voie électronique le 5 février 2020, Nathalie S. demande à la Cour de':
infirmer le jugement déféré
En conséquence,
annuler le congé aux fins de reprise notifié le 19 juin 2015
débouter Madame B. de ses demandes
la condamner aux entiers dépens de première instance distraits au bénéfice de la SCP G.N. sur sa simple affirmation de droit
A titre subsidiaire,
ordonner que l'expulsion ne pourra avoir lieu qu' à l'expiration d'un délai de six mois à compter de la décision à intervenir
débouter Madame B. de sa demande au titre de l'indemnité d'occupation et relative au remboursement des charges
débouter Madame B. au titre de l'article 700 du code de procédure civile et des dépens de première instance
Y ajoutant et en tout état de cause,
la condamner aux entiers dépens d'appel distraits au bénéfice de la SCP G.N. sur sa simple affirmation de droit.
Suivant le dernier état de ses conclusions d'intimée, notifiées par voie électronique le 20 mai 2020, Bernadette B. demande à la Cour de':
débouter Madame S. de toutes ses demandes
confirmer l'entier jugement déféré
condamner Madame S. à lui payer 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile outre les entiers dépens de l'instance.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 2 novembre 2020 et les plaidoiries ont été fixées au 7 décembre 2020.
A l'audience, les dossiers ont été déposés. Puis l'affaire a été mise en délibéré au 2 février 2021.
MOTIFS
Il ressort des pièces contradictoirement communiquées que le bail litigieux conclu au seul profit de Madame Nathalie S. le 1er janvier 2013 est soumis à la loi du 6 juillet 1989 quand bien même elle a déjà occupé les lieux depuis 2011 avec des colocataires. Le loyer était de 614 euros outre 57 euros de charges pour ordures ménagères.
Un arrêté de péril a été pris par la mairie le 12 décembre 2014 pour la grange et l'abri bois. En est résulté une réduction de loyer à 500 euros.
Madame Bernadette B. a souhaité reprendre le logement pour ses petits enfants et a informé par lettre recommandée avec accusé de réception du 16 juin 2015 Madame Nathalie S. de la non-reconduction du bail à compter du 31 décembre 2015. En vain.
Plus de six mois après, le 26 juillet 2016, elle l'a mise en demeure de quitter les lieux. En vain.
Sur la validité du congé pour reprise
Ce congé est régi par l'article 15 de la loi de 1989. Ce congé a été délivré par lettre recommandée avec accusé de réception faisant figurer le motif et l'identité des petits-enfants bénéficiaires de cette reprise soit Maëva B. et Florian C..
Faisait défaut leur adresse.
Pour autant cette cause de nullité de forme est soumise à la démonstration par celui qui sollicite la nullité du congé d'un grief que lui cause le vice en application de l'article 114 du code de procédure civile.
Pour la première fois en appel, Madame Nathalie S. prétend que l'absence de cette adresse l'a empêchée de réaliser une sommation interpellative à ces petits-enfants pour connaître leur situation sociale et professionnelle. Outre la nouveauté de l'argument qui montre son caractère purement artificiel pour les besoins de la cause, Madame Nathalie S. se garde de prouver qu'elle a vainement demandé vainement cette adresse à Madame Bernadette B. ou son conseil.
Pas plus en première instance qu'en appel, Madame Nathalie S. ne démontre que ce vice de forme lui a causé un grief.
La Cour constate que contrairement à ce que prétend Madame Nathalie S., l'arrêté de péril du maire de 2014 ne visait pas les locaux d'habitation, ce péril concernant exclusivement la grange et l'abri bois. Dès lors aucune cause de suspension de la possibilité de délivrer congé n'existait contrairement à ce que soutient vainement l'appelante.
Dès lors, la Cour confirme le raisonnement du premier juge qui a reconnu la validité du congé pour reprise.
Sur l'expulsion
L'expulsion est une conséquence de la validité du congé pour reprise, Madame Nathalie S. devenant occupante sans droit ni titre depuis le 1er janvier 2016. Cette expulsion ne peut intervenir, hors période hivernale, que dans le délai de deux mois à compter d'un commandement pour quitter les lieux à défaut de départ volontaire.'
Le jugement est confirmé sur ce point.
Sur l'indemnité d'occupation et les charges locatives
Il est dû, lorsque l'occupation se fait sans droit ni titre, une indemnité d'occupation mensuelle équivalente au loyer et charges courants à compter du 1er janvier 2016 jusqu'à la libération effective des lieux. L'arrêté de péril sur la grange et l'abri bois n'a pas d'incidence sur la nécessité de payer un loyer et charges pour le local d'habitation ou une indemnité d'occupation lorsque l'occupation devient sans droit ni titre comme en l'espèce.
Le bailleur est également en droit de récupérer les charges locatives comme l'a jugé le tribunal.
L'éventuelle insalubrité ou de la non-décence du logement, qui fait l'objet d'une procédure pendante, ne fait pas obstacle au principe du paiement d'une indemnité d'occupation et des charges par Madame B. qui pourra ultérieurement être tenue de dommages et intérêts.
La Cour confirme le jugement déféré sur ces deux points.
Sur les délais pour quitter les lieux
Selon l'article L 412-1 du code des procédures civiles d'exécution«'si l'expulsion porte sur un local d'habitation principale de la personne expulsée ou de tout occupant de son chef, elle ne peut avoir lieu qu'à l'expiration d'un délai de deux mois qui suit le commandement sans préjudice des dispositions des articles L 412-3 à L 412-7'»'
L'article L 412-3 du code des procédures civiles d'exécution dispose que « le juge peut accorder des délais renouvelables aux occupants de locaux habités ou à usage professionnel dont l'expulsion aura été ordonnée judiciairement, chaque fois que le relogement des intéressés ne pourra avoir lieu dans des conditions normales, sans que lesdits occupants aient à justifier d'un titre à l'origine de l'occupation.'»
Selon l'article L 412-4 du même code, la durée des délais ne peut en aucun cas être inférieure à trois mois ni supérieure à trois ans et pour la fixation de ces délais, il doit être tenu compte de la bonne ou de la mauvaise volonté manifestée par l'occupant dans l'exécution de ses obligations, des situations respectives du propriétaire et de l'occupant, notamment en ce qui concerne l'âge, l'état de santé, la qualité de sinistré par faits de guerre, la situation de famille ou de fortune de chacun, les circonstances atmosphériques et les diligences que l'occupant justifie avoir faites en vue de son relogement. Il doit être tenu compte du droit à un logement décent et indépendant et du délai prévisible de relogement des intéressés.
En l'espèce, Madame Nathalie S. qui a 52 ans s'est maintenue dans le logement sans droit ni titre depuis 5 ans. Elle se contente de soutenir qu'elle ne dispose que du RSA sans démontrer qu'elle a sollicité les services compétents pour déposer un dossier de logement social ou qu'elle a sollicité, sans avoir obtenu de réponse positive, un logement dans le parc privé. Elle ne démontre aucune diligence pour son relogement. Par ailleurs, la situation de la propriétaire, qui est une personne très âgée et qui souhaitait disposer de son bien pour y reloger légitimement ses petits-enfants doit prévaloir en l'absence d'éléments probants devant permettre de considérer la situation de la débitrice comme prioritaire et devant donner lieu à des délais.
La Cour confirme le jugement déféré en ce qu'il a rejeté la demande de délai pour quitter les lieux.
Sur les demandes accessoires
La situation économique de Madame Nathalie S. conduit la Cour à ne pas faire droit à la demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile présentée par Madame B. tant en première instance qu'en appel. La Cour infirme le jugement déféré sur ce point et déboute Madame Bernadette B. de sa demande à ce titre tant en première instance qu'en appel.
Partie perdante tant en première instance qu'en appel, Nathalie S. doit en revanche supporter les entiers dépens de première instance et d'appel qui seront recouvrés comme en matière d'aide juridictionnelle.
La Cour déboute Nathalie S. de ses demandes au titre de l'article 700 du code de procédure civile et des dépens.
PAR CES MOTIFS
La Cour,
Confirme le jugement déféré en toutes ses dispositions à l'exception de la condamnation de Madame Nathalie S. au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
Infirme le jugement sur la condamnation de madame S. au titre de l'article 700 du code de procédure civile en première instance,
Y ajoutant,
Déboute Madame Bernadette B. de sa demande au titre des frais irrépétibles à hauteur d'appel,
Condamne Madame Nathalie S. aux entiers dépens de d'appel qui seront recouvrés comme en matière d'aide juridictionnelle.
Déboute Madame Nathalie S. de ses entières demandes au titre de l'article 700 du code de procédure civile et des dépens."