La rétractation du locataire est une résiliation (dimanche, 27 décembre 2020)
Le cas, peu banal, était le suivant : un bail est conclu les 16 et 25 février 2011, mais par lettre du 4 mars 2011, le locataire a notifié sa volonté de rétracter son engagement au bailleur. Trois ans plus tard le bailleur invoque le bail signé pour réclamer les loyers échus pendant cette période ...
La cour d'appel donne raison au bailleur, mais pas la Cour de Cassation : la "rétractation" était bien une résiliation unilatérale du bail.
"Vu l'article 12 de la loi du 6 juillet 1989 ;
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Paris, 26 octobre 2017), que, par bail conclu les 16 et 25 février 2011, Mme W... a loué un logement à M. N... ; que, par lettre du 4 mars 2011, le locataire a notifié sa volonté de rétracter son engagement au mandataire de la bailleresse, qui a refusé cette rétractation ; qu'ayant fait constater l'abandon du logement, la bailleresse a obtenu, le 16 décembre 2013, une ordonnance constatant la résiliation du bail sur le fondement de l'article 14-1 de la loi du 6 juillet 1989, condamnant M. N... au paiement d'un arriéré locatif et autorisant la reprise des lieux, qui est intervenue le 7 mars 2014 ; que M. N... a formé opposition à cette ordonnance ;
Attendu que, pour constater la résiliation du bail au 7 mars 2014, ordonner la reprise des lieux à cette date et condamner M. N... à payer un arriéré de loyers et de charges, l'arrêt retient que la lettre du 4 mars 2011, qui faisait état d'une décision de rétractation destinée à s'appliquer sans délai, ne constituait pas une résiliation du bail au sens des articles 12 et 15 de la loi du 6 juillet 1989 et que la circonstance que M. N... avait quitté les lieux en mars 2011 n'entraînait pas en elle-même la résiliation du bail ;
Qu'en statuant ainsi, après avoir constaté que la lettre du 4 mars 2011 s'analysait en une décision unilatérale de mettre fin au contrat, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé le texte susvisé ;
PAR CES MOTIFS :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 26 octobre 2017, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Paris, autrement composée ;
Condamne Mme W... aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande de la SCP Matuchansky, Poupot et Valdelièvre ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du dix-neuf décembre deux mille dix-neuf.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt
Moyen produit par la SCP Matuchansky, Poupot et Valdelièvre, avocat aux Conseils, pour M. N...
Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir constaté la résiliation du bail consenti par madame W... à monsieur R... N... portant sur le logement sis [...] ainsi que sur l'emplacement de stationnement sis à la même adresse, à compter du 7 mars 2014, d'avoir ordonné la reprise des lieux à cette date, d'avoir condamné monsieur R... N... à payer à madame W... la somme de 7.211,31 euros au titre des loyers et charges, décompte arrêté au 9 juin 2014 et d'avoir dit, vu l'acte de saisie des rémunérations du 15 septembre 2016, que les règlements, le cas échéant, effectués dans le cadre de cette saisie viendront en déduction de la dette susvisée ;
Aux motifs propres que, sur la résiliation du bail : a ) Sur la notification alléguée d'une résiliation de bail : que M. N... fait valoir essentiellement que :- dès le 28 février 2011, ayant pris connaissance de la clause interdisant d'enfermer un animal seul dans l'appartement, il a fait transférer son courrier à l'adresse de son précédent logement et, par courrier du 4 mars 2011, il a notifié au mandataire du bailleur sa décision de mettre fin au bail ; il a aussitôt quitté l'appartement ; même si, dans ce courrier, il a employé à tort le verbe se rétracter, son refus de poursuivre le bail, et donc de le résilier, était explicite ; - il n'a pas reçu le courrier du 11 avril 2011 par lequel le représentant du bailleur lui a fait part de l'erreur de qualification commise par l'emploi du verbe « se rétracter » au lieu du verbe « résilier » ; - ce courrier a en effet été envoyé à l'adresse de l'appartement sur lequel portait le bail ; - il a envoyé à l'agence Solvimo mandataire de la bailleresse, une nouvelle lettre recommandée avec avis de réception le 22 juillet 2011, réitérant sa décision de résiliation du contrat de bail, - par courrier en réponse, l'agence Solvimo évoquant le courrier du 4 mars 2011, a fait état du courrier « concernant la résiliation de votre bail », ce qui montre que la bailleresse considère la lettre du 4 mars 2011 comme une lettre de résiliation ; - en application de l'article 1156 du code civil il y lieu d'interpréter la lettre du 4 mars 2011 comme une lettre de résiliation, comme l'a ainsi fait la mandataire de la bailleresse, interprétation qui a également été donnée par un avocat qu'il a consulté à ce sujet, - les conditions formelles que doit respecter le congé ont été respectées, le courrier du 4 mars 2011 ayant été envoyé en recommandé avec avis de réception ; - le préavis a commencé à courir à la date de réception de ce courrier, soit le 8 mars 2011 pour prendre fin le 08 juin 2011 ; qu'en réponse madame W... soutient principalement que : - le courrier du 4 mars 2011 qui ne fait pas état d'un délai de préavis ne constitue pas un courrier de résiliation au sens des dispositions d'ordre public de l'article 15 de la loi du 6 juillet 1989, - à la supposer abusive la clause invoquée ne pourrait donner lieu à l'exercice d'un droit de rétractation ; cela exposé que selon l'article 12 de la loi du 6 juillet 1989 : « Le locataire peut résilier le contrat de location à tout moment, dans les conditions de forme et de délai prévues à l'article 15 » ; que selon les dispositions de l'article 15 de cette loi : « II / [ » ]Lorsqu'il émane du locataire, le délai de préavis applicable au congé est de trois mois. Le congé doit être notifié par lettre recommandée avec demande d'avis de réception, signifié par acte d'huissier ou remis en main propre contre récépissé ou émargement. Ce délai court à compter du jour de la réception de la lettre recommandée, de la signification de l'acte d'huissier ou de la remise en main propre » ; en l'espèce, que par courrier du 4 mars 2011 M. N... faisant état de la clause du bail relative aux animaux de compagnie, a écrit au mandataire de la bailleresse « je me rétracte pour ce motif et vous saurais gré de me rendre les sommes déjà versées » ; que ce courrier ne fait pas état d'une résiliation du bail, mais d'une décision de rétractation ; qu'il résulte en outre des termes employés que cette rétractation est destinée à s'appliquer sans délai ; que compte tenu de ce qui précède le courrier du 4 mars 2011 ne peut s'analyser en une résiliation du bail au sens des articles 12 et 15 de la loi du 6 juillet 1989 mais comme une décision unilatérale de mettre fin au contrat ; que par courrier du 25 juillet 2011, le mandataire du bailleur, visant le courrier du 4 mars 2011 a précisé à M. N... que la loi n'autorisait pas le locataire à se rétracter de son engagement mais que celui-ci disposait du droit de résilier le contrat par lettre recommandée avec avis de réception ;que ce courrier montre que le mandataire du bailleur, es qualités, a refusé de considérer la lettre du 4 mars 2011 comme une lettre de résiliation ; que malgré le rappel, par le courrier du 25 juillet 2011, de la possibilité pour lui de procéder à une résiliation du bail, M. N... n'a pas adressé de courrier de résiliation au sens des dispositions légales susvisées ; qu'au vu de ce qui précède, M. N... ne justifie pas d'une résiliation du bail au sens des dispositions des articles 12 et 15 de la loi du 6 juillet 1989 ;
b ) Sur la résiliation pour abandon des lieux : M. N... fait valoir essentiellement que - en application de l'article 14 de la loi du 6 juillet 1989 le bail a été résilié dès le mois de mars 2011 par l'effet de l'abandon des lieux loués, - en tout état de cause au 24 décembre 2013 date du procès-verbal de constatation de l'inoccupation des lieux, l'abandon de domicile était caractérisé ; que Mme W... répond essentiellement que le fait, pour M. N... d'avoir quitté les lieux en mars 2011, n'a pu entraîner en lui-même la résiliation du contrat, les conditions de résiliation prévues par l'article 14 de la loi du 6 juillet 1989 en cas d'abandon des lieux, n'étant pas alors réunies ; cela exposé, qu'aux termes de l'article 14-l de la loi du 06 juillet 1989, « Lorsque des éléments laissent supposer que le logement est abandonné par ses occupants. le bailleur peut mettre en demeure le locataire de justifier qu'il occupe le logement ; que s'il n'a pas été déféré à cette mise en demeure un mois après signification, l'huissier de justice peut procéder à la constatation de l'état d'abandon du logement » ; que si le constat, par huissier de justice, de l'abandon des lieux, visé par ce texte, permet au bailleur d'agir en vue de faire constater par le juge la résiliation du bail, le fait de quitter les lieux loués n'a pas en lui-même pour effet de mettre fin au contrat de bail ; que la circonstance que M. N... ait quitté les lieux en mars 2011 n'entraîne pas en conséquence, en elle-même, la résiliation du bail ; qu'il est en revanche constant que par procèsverbal de constat du 23 décembre 2014 un huissier de justice a constaté l'abandon du logement ; que le 7 mars 2014 la bailleresse a récupéré les locaux loués ; que le juge d'instance a donc à juste titre constaté que la résiliation du bail était intervenue à cette dernière date ;
Sur la demande en paiement de loyers et charges formée par Mme W... et sur les demandes relatives aux loyers versés formées par M. N... : que Monsieur N... fait valoir principalement que :le bail étant résilié depuis le 8 juin 2011, date d'expiration du préavis légal correspondant à la lettre du 4 mars 2011, depuis le 9 juin 2011 il n'est plus redevable envers le bailleur d'aucun paiement au titre des charges et loyers ; - les loyers perçus depuis cette date doivent lui être restitués ; cela exposé, qu'en application de l'article 7 de la loi du 6 juillet 1989 les loyers et charges sont dus par le locataire jusqu'à la date de résiliation du bail ; en l'espèce qu'il a été retenu que le bail est résilié depuis le 7 mars 2014 ; qu'en conséquence la demande de restitution de loyers formée par M. N... n'est pas fondée ; qu'au vu du décompte en date du 9 juin 2014 produit aux débats par Mme W... la créance de loyers et charges arrêtée à cette dernière date, s'établit à la somme de 7211,31 euros ; que le jugement déféré qui retient une créance d'un montant différent sera infirmé à ce titre ; qu'au vu de l'acte de saisie des rémunérations du 15 septembre 2016, les règlements effectués le cas échéant, dans le cadre de cette saisie viendront en déduction de la dette ainsi fixée ;
Et aux motifs adoptés qu'en vertu de l'article 14-1 de la loi du 06/07/1989, lorsque des éléments laissent supposer que le logement est abandonné par ses occupants, le bailleur peut mettre en demeure le locataire de justifier qu'il occupe le logement ; que s'il n'a pas été déféré à cette mise en demeure un mois après signification, l'huissier de justice peut procéder à la constatation de l'état d'abandon du logement ; que le juge qui constate la résiliation du bail autorise, si nécessaire, la vente aux enchères des biens laissés sur place et peut déclarer abandonnés les biens non susceptibles d'être vendus ; qu'il résulte des pièces versées aux débats que monsieur R... N... a quitté les lieux loués, ce qu'il ne conteste pas ; qu'en conséquence, il y a lieu de constater la résiliation du bail conclu entre les parties le 16/02/2011 ; qu'il résulte des débats que la bailleresse a pu reprendre possession des lieux dès le 07/03/2014, de sorte qu'il y a lieu de fixer la résiliation du bail à cette date, afin de permettre au locataire de ne pas se trouver redevable de loyers jusqu'au présent jugement ; qu'en application de l'article 15 de la loi du 6 juillet 1989, le locataire qui souhaite résilier le contrat de bail doit donner congé au bailleur par lettre recommandée avec demande d'avis de réception, signifié par acte d'huissier ou remis en main propre contre récépissé ou émargement, en respectant un préavis d'une durée de trois mois ; que le moyen tiré par le locataire du fait qu'il a fait part de son souhait de mettre fin au bail par courrier du 4 mars 2011, sans respecter les conditions légales, malgré une information parfaitement claire en ce sens délivrée par le gestionnaire du bien, dans deux courriers en date du 11 avril 2011 et 25 juillet 2011, puis par les services juridiques mandatés par sa compagnie d'assurance, ne peut prospérer ; qu'aux termes de l'article 7 de la loi du 6 juillet 1989, le locataire est obligé de payer le loyer et les charges récupérables aux termes convenus jusqu'à la résiliation du bail ;
1°) Alors que le juge doit, dans les conventions, rechercher quelle a été la commune intention des parties contractantes plutôt que de s'arrêter au sens littéral des termes ; qu'il a l'obligation d'interpréter les conventions dont les termes sont obscurs, imprécis, ambigus ou contradictoires ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a constaté, d'une part, que, par courrier du 4 mars 2011, monsieur N..., faisant état de la clause du bail relative aux animaux de compagnie, avait écrit au mandataire de la bailleresse « je me rétracte pour ce motif et vous saurais gré de me rendre les sommes déjà versées » et a retenu, d'autre part, que ce courrier ne faisait pas état d'une résiliation du bail, mais d'une décision de rétractation qui était destinée à s'appliquer sans délai ; qu'en ayant négligé d'interpréter ce courrier du 4 mars 2011, quand cette interprétation s'imposait au regard de la situation de monsieur N..., lequel, profane en droit, ignorait la terminologie juridique appropriée, ce qui entachait nécessairement le courrier du 4 mars 2011 d'ambiguïté, la cour d'appel a violé l'article 1134 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016 ;
2°) Alors que monsieur N... faisait valoir qu'il avait adressé une nouvelle lettre recommandée avec avis de réception le 22 juillet 2011 rappelant sa décision de résiliation du 4 mars 2011 et versait aux débats cette lettre (conclusions d'appel p. 6) ; qu'en ne répondant pas à ces conclusions de nature à caractériser l'intention ferme, manifeste et définitive de monsieur N... de résilier le contrat à compter du 4 mars 2011, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile ;
3°) Alors qu'il est interdit au juge de dénaturer les éléments de la cause ; qu'en retenant, pour constater la résiliation du bail consenti par madame W... à monsieur R... N... à compter du 7 mars 2014, et condamner ce dernier à lui payer la somme de 7.211,31 euros au titre des loyers et charges, décompte arrêté au 9 juin 2014, que, par lettre du 25 juillet 2011, le mandataire du bailleur, visant le courrier du 4 mars 2011, avait précisé à monsieur N... que la loi n'autorisait pas le locataire à se rétracter de son engagement, quand il résultait de cette lettre du 25 juillet 2011 que le mandataire bailleur avait uniquement indiqué que, conformément au bail que monsieur N... avait signé, il devait signifier son préavis par lettre recommandée, la cour d'appel a dénaturé la lettre du 25 juillet 2011 susvisée, en violation du principe selon lequel il est interdit au juge de dénaturer les éléments de la cause ;
4°) Alors que le locataire qui met fin unilatéralement au contrat de bail le résilie ; qu'il ressort des constatations de la cour d'appel que le courrier du 4 mars 2011 adressé par monsieur N... au bailleur constituait une décision unilatérale de mettre fin au contrat ; qu'en refusant néanmoins de constater la résiliation du bail à compter de la date de ce courrier bien qu'elle eût relevé que monsieur N... avait mis fin unilatéralement au contrat, la cour d'appel a omis de tirer les conséquences légales qui s'évinçaient de ses propres constatations, violant ainsi l'article 12 de la loi du 6 juillet 1989."