3 arrêts sur les effets de l'annulation d'une décision de préemption (mercredi, 28 octobre 2020)
Le 28 septembre dernier, le Conseil d'État a rendu trois décisions sur les effets de l'annulation d'une décision de préemption.
Premier arrêt :
"Vu la procédure suivante :
M. et Mme A... B... ont demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler pour excès de pouvoir la décision du 18 février 2011 par laquelle le maire de Paris a exercé le droit de préemption urbain sur un immeuble situé 44/46 rue Veron et 28 rue Lepic à Paris. Par un jugement n° 1506313 du 8 avril 2016, le tribunal administratif de Paris a annulé cette décision.
La société groupe de conseil en investissement et financement (SCIFIM) a demandé au tribunal administratif de Paris, d'une part, d'annuler pour excès de pouvoir la décision implicite par laquelle le maire de Paris a rejeté sa demande tendant à ce que la ville propose à Mme D... C..., ancienne propriétaire, d'acquérir le bien situé 44/46 rue Véron et 28 rue Lepic, puis, en cas de refus de celle-ci, lui propose, en sa qualité d'acquéreur évincé, d'acquérir le bien et, d'autre part, d'enjoindre à la ville de prendre ces mesures. Par un jugement n° 1613702 du 29 juin 2018, le tribunal administratif de Paris a annulé la décision du maire de Paris et rejeté le surplus des conclusions de la demande.
Par un arrêt n° 18PA02363 du 24 octobre 2019, sur l'appel de la société groupe de conseil en investissement et financement, la cour administrative d'appel de Paris a enjoint à la Ville de Paris de proposer l'acquisition de l'immeuble à Mme C... et, en cas de renonciation de cette dernière, à la société et a réformé en ce sens le jugement du tribunal administratif de Paris du 29 juin 2019.
Par un pourvoi, enregistré le 21 décembre 2019 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la Ville de Paris demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler cet arrêt ;
2°) réglant l'affaire au fond, de rejeter l'appel de la société groupe de conseil en investissement et financement ;
3°) de mettre à la charge de la société groupe de conseil en investissement et financement la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code de la construction et de l'habitation ;
- le code de l'urbanisme ;
- la loi n° 2014-366 du 24 mars 2014 ;
- le code de justice administrative.
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme E... F..., conseiller d'Etat,
- les conclusions de M. Vincent Villette, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Foussard, Froger, avocat de la Ville de Paris et à la SCP de Nervo, Poupet, avocat de la société groupe de conseil en investissement et financement (SCIFIM) ;
Considérant ce qui suit :
1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la société groupe de conseil en investissement et financement (SCIFIM) a signé le 30 novembre 2010 avec Mme C... une promesse de vente en vue de l'acquisition d'un immeuble situé 44/46 rue Véron et 28 rue Lepic dans le dix-huitième arrondissement de Paris. Le maire de Paris a toutefois, par une décision du 18 février 2011, exercé le droit de préemption urbain de la ville sur cet immeuble en vue de la réalisation de logements sociaux et a acquis le bien au prix de 2 000 000 euros et 230 000 euros de commission d'agence. Par un jugement devenu définitif du 8 avril 2016, le tribunal administratif de Paris, saisi par des contribuables parisiens, a annulé la décision de préemption. Par un courrier du 16 juin 2016, la société groupe de conseil en investissement et financement a demandé au maire de Paris, sur le fondement des dispositions de l'article L. 231-11-1 du code de l'urbanisme, de proposer l'acquisition de l'immeuble à l'ancienne propriétaire puis à elle-même en tant qu'acquéreur évincé. Sa demande ayant été rejetée, la société a saisi le tribunal administratif de Paris, qui, par un jugement du 29 juin 2018, a annulé cette décision mais rejeté les conclusions de la société à fin d'injonction. Sur l'appel de la société, la cour administrative d'appel de Paris a enjoint à la Ville de Paris de proposer l'acquisition du bien à l'ancienne propriétaire puis, en cas de renonciation expresse ou tacite de cette dernière, à la société requérante et réformé en conséquence le jugement du tribunal administratif de Paris. La Ville de Paris se pourvoit en cassation contre cet arrêt.
2. Aux termes de l'article L. 911-1 du code de justice administrative : " Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public prenne une mesure d'exécution dans un sens déterminé, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision, cette mesure assortie, le cas échéant, d'un délai d'exécution. / La juridiction peut également prescrire d'office cette mesure ". Aux termes de l'article L. 911-4 du même code : " En cas d'inexécution d'un jugement ou d'un arrêt, la partie intéressée peut demander à la juridiction, une fois la décision rendue, d'en assurer l'exécution. / Si le jugement ou l'arrêt dont l'exécution est demandée n'a pas défini les mesures d'exécution, la juridiction saisie procède à cette définition. Elle peut fixer un délai d'exécution et prononcer une astreinte ".
3. Aux termes de l'article L. 213-11-1 introduit dans le code de l'urbanisme par la loi du 24 mars 2014 pour l'accès au logement et un urbanisme rénové : " Lorsque, après que le transfert de propriété a été effectué, la décision de préemption est annulée ou déclarée illégale par la juridiction administrative, le titulaire du droit de préemption propose aux anciens propriétaires ou à leurs ayants cause universels ou à titre universel l'acquisition du bien en priorité. / Le prix proposé vise à rétablir, sans enrichissement injustifié de l'une des parties, les conditions de la transaction à laquelle l'exercice du droit de préemption a fait obstacle. À défaut d'accord amiable, le prix est fixé par la juridiction compétente en matière d'expropriation, conformément aux règles mentionnées à l'article L. 213-4. / À défaut d'acceptation dans le délai de trois mois à compter de la notification de la décision juridictionnelle devenue définitive, les anciens propriétaires ou leurs ayants cause universels ou à titre universel sont réputés avoir renoncé à l'acquisition. / Dans le cas où les anciens propriétaires ou leurs ayants cause universels ou à titre universel ont renoncé expressément ou tacitement à l'acquisition dans les conditions mentionnées aux trois premiers alinéas du présent article, le titulaire du droit de préemption propose également l'acquisition à la personne qui avait l'intention d'acquérir le bien, lorsque son nom était inscrit dans la déclaration mentionnée à l'article L. 213-2 ". La déclaration mentionnée à l'article L. 213-2 du code est celle que doit faire le propriétaire à la mairie avant toute aliénation soumise au droit de préemption urbain ou au droit de préemption dans une zone d'aménagement différé ou un périmètre provisoire de zone. Enfin, l'article L. 213-12, dans sa rédaction issue de la même loi, prévoit qu'en cas de non-respect des obligations définies au premier et au sixième alinéas de l'article L. 213-11-1, les anciens propriétaires ou leurs ayants cause universels ou à titre universel ou, selon le cas, la personne qui avait l'intention d'acquérir le bien saisissent le tribunal de l'ordre judiciaire d'une action en dommages-intérêts contre le titulaire du droit de préemption.
4. En vertu de ces dispositions, il appartient au juge administratif, saisi de conclusions en ce sens par l'ancien propriétaire ou par l'acquéreur évincé et après avoir mis en cause l'autre partie à la vente initialement projetée, d'exercer les pouvoirs qu'il tient des articles L. 911-1 et suivants du code de justice administrative afin d'ordonner, le cas échéant sous astreinte, les mesures qu'implique l'annulation, par le juge de l'excès de pouvoir, d'une décision de préemption, sous réserve de la compétence du juge judiciaire, en cas de désaccord sur le prix auquel l'acquisition du bien doit être proposée, pour fixer ce prix. A ce titre, il lui appartient, après avoir vérifié, au regard de l'ensemble des intérêts en présence, que le rétablissement de la situation initiale ne porte pas une atteinte excessive à l'intérêt général, de prescrire au titulaire du droit de préemption qui a acquis le bien illégalement préempté, s'il ne l'a pas entre-temps cédé à un tiers, de prendre toute mesure afin de mettre fin aux effets de la décision annulée et, en particulier, de proposer à l'ancien propriétaire puis, le cas échéant, à l'acquéreur évincé d'acquérir le bien, à un prix visant à rétablir, sans enrichissement injustifié de l'une des parties, les conditions de la transaction à laquelle l'exercice du droit de préemption a fait obstacle.
5. Il résulte de ce qui précède qu'en jugeant que, en l'absence de motif impérieux d'intérêt général, résultant de l'impossibilité de procéder effectivement à la rétrocession, s'y opposant, il y avait lieu d'enjoindre à la Ville de Paris de proposer l'acquisition du bien litigieux à l'ancienne propriétaire et, en cas de renonciation expresse ou tacite de cette dernière, à la société requérante, dans les conditions prévues à l'article L. 213-11-1 du code de l'urbanisme, la cour administrative d'appel de Paris a commis une erreur de droit. Par suite, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens de son pourvoi, la Ville de Paris est fondée à demander l'annulation de l'arrêt du 24 octobre 2019.
6. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de régler l'affaire au fond, en application des dispositions de l'article L. 821-2 du code de justice administrative.
7. Il résulte de l'instruction que la Ville de Paris, après l'acceptation de son offre par la propriétaire et la signature de l'acte authentique le 3 août 2011, a conclu le 11 octobre 2011 un bail emphytéotique, pour une durée de 55 ans, avec la société de gérance d'immeubles municipaux, devenue Elogie en 2013, dont la vocation est la création et la gestion de logements sociaux. D'importants travaux, comportant la démolition et la reconstruction de l'un des deux bâtiments et la réhabilitation du second, ont été réceptionnés en avril 2018, qui ont permis la création de onze logements locatifs sociaux et très sociaux, et les premiers baux d'habitation ont été signés en mai 2018. Leur financement, pour l'essentiel, par des subventions publiques et des prêts garantis par la ville trouve sa contrepartie dans les engagements de long terme pris par la société Elogie, agréée en vue de la gestion locative sociale, et dans la réservation par l'Etat et par la ville de la plupart des logements. Le projet participe de l'objectif, fixé par l'article L. 302-5 du code de la construction et de l'habitation, de 25 % de logements locatifs sociaux dans les résidences principales, dans une zone marquée par de forts besoins et par la vétusté du parc existant. Si la société groupe de conseil en investissement et financement fait valoir que la Ville de Paris serait elle-même à l'origine de cette situation, le permis de construire nécessaire aux travaux ayant été délivré le 16 décembre 2015, cette délivrance, à l'issue d'un délai lié au nécessaire relogement des occupants précédents et à la recherche d'accords avec les commerçants louant des locaux en rez-de-chaussée, ne peut être regardée comme manifestant une absence de diligence imprudente ou une manoeuvre de la ville. La décision de préemption a fait l'objet d'un recours introduit par des tiers le 16 avril 2015, soit plus de quatre ans après son adoption, alors que la société requérante n'avait pas formé de recours dans le délai qui lui était opposable, et a été annulée au seul motif que la ville n'était pas en mesure d'établir sa transmission au représentant de l'Etat dans le département dans le délai de deux mois à compter de la réception de la déclaration d'intention d'aliéner. La société requérante ne fait par ailleurs état d'aucun projet portant sur le bien en litige, auquel la décision annulée aurait fait obstacle. Compte tenu de l'ensemble de ces éléments, la revente de ce bien à la société requérante, qui remettrait en cause la vocation sociale des logements créés, porterait à l'intérêt général une atteinte excessive qui ne serait pas justifiée par l'intérêt qui s'attache à la disparition des effets de la décision annulée.
8. Par suite, la société groupe de conseil en investissement et financement n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Paris a rejeté ses conclusions tendant à ce qu'il soit enjoint au titulaire du droit de préemption de proposer à l'ancien propriétaire puis, le cas échéant, à elle-même, d'acquérir le bien illégalement préempté.
9. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de la Ville de Paris, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la société groupe de conseil en investissement et financement une somme de 5 000 euros à verser à la Ville de Paris, au titre des mêmes dispositions, pour les frais exposés par elle devant la cour administrative d'appel de Paris et le Conseil d'Etat.
D E C I D E :
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Article 1er : L'arrêt de la cour administrative d'appel de Paris du 24 octobre 2019 est annulé.
Article 2 : La requête présentée par la société groupe de conseil en investissement et financement devant la cour administrative d'appel de Paris est rejetée.
Article 3 : Les conclusions de la société groupe de conseil en investissement et financement présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 4 : La société groupe de conseil en investissement et financement versera à la Ville de Paris une somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 5: La présente décision sera notifiée à la Ville de Paris et à la société groupe de conseil en investissement et financement.
Copie en sera adressée à la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales."
Deuxième arrêt :
"Vu les procédures suivantes :
Procédures contentieuses antérieures
M. A... C... B... a demandé au tribunal administratif de Nantes :
- d'annuler pour excès de pouvoir les décisions du 20 février 2014 par lesquelles le département de la Loire-Atlantique a décidé d'acquérir, sur le fondement des dispositions de l'article L. 142-1 du code de l'urbanisme, d'une part, les parcelles cadastrées section Z, n°s 1, 2, 3, 4, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 28, 29 et 30 et, d'autre part, les parcelles cadastrées section Z, n°s 5, 17, 18, 19, 20, 21, 22, 23, 24, 25, 26, 27, 31, 32 et 33, situées au lieu-dit l'île aux Moines à Ancenis ;
- d'enjoindre à ce département, sous astreinte, de lui proposer d'acquérir les biens préemptés, en tant qu'acquéreur évincé, au prix de vente initialement conclu, dans un délai de deux mois à compter du jugement ou, à défaut, de condamner le département à lui verser une somme égale au prix des biens préemptés.
Par une ordonnance n° 1401857 du 3 juillet 2014, le président de la 6ème chambre du tribunal administratif de Nantes a refusé de transmettre au Conseil d'Etat la question prioritaire de constitutionnalité, portant sur les articles L. 142-1 et L. 142-3 du code l'urbanisme, soulevée par M. C... B... à l'appui de sa demande enregistrée sous ce numéro.
Par un jugement n°s 1401857, 1401870 du 3 mars 2017, le tribunal administratif de Nantes a annulé les décisions du département de la Loire-Atlantique du 20 février 2014 et a rejeté les conclusions à fin d'injonction présentées par M. C... B....
Par une ordonnance n° 17NT01190 QPC du 19 décembre 2017, le président de la 2ème chambre de la cour administrative de Nantes a rejeté la contestation par M. C... B... du refus de transmettre la question prioritaire de constitutionnalité soulevée devant le tribunal administratif de Nantes et a refusé de transmettre la nouvelle question prioritaire de constitutionnalité, portant sur L. 142-3 du code l'urbanisme, soulevée par M. C... B... à l'appui de son appel.
Par un arrêt n° 17NT01190 du 22 mars 2019, la cour administrative d'appel a rejeté l'appel formé par M. C... B... contre le jugement du tribunal administratif de Nantes du 3 mars 2017 en tant qu'il rejetait ses conclusions à fin d'injonction.
Procédure devant le Conseil d'Etat
Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 22 mai et 4 juillet 2019 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. C... B... demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler l'arrêt de la cour administrative d'appel de Nantes du 22 mars 2019 ;
2°) de mettre à la charge du département de la Loire-Atlantique la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la Constitution, notamment son Préambule et son article 61-1 ;
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;
- le code de l'urbanisme, notamment ses articles L. 142-1 et L. 142-3 ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Pierre Boussaroque, conseiller d'Etat,
- les conclusions de M. Vincent Villette, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Delvolvé et Trichet, avocat de M. C... B... et à la SCP Delamarre, Jehannin, avocat du département de la Loire-Atlantique ;
Considérant ce qui suit :
1. Aux termes du premier alinéa de l'article L. 142-1 du code de l'urbanisme, dans sa rédaction applicable au litige, désormais reprise à l'article L. 113-8 du même code : " Afin de préserver la qualité des sites, des paysages, des milieux naturels et des champs naturels d'expansion des crues et d'assurer la sauvegarde des habitats naturels selon les principes posés à l'article L. 110, le département est compétent pour élaborer et mettre en oeuvre une politique de protection, de gestion et d'ouverture au public des espaces naturels sensibles, boisés ou non (...) ". Aux termes de l'article L. 142-3 du même code, dans sa rédaction alors applicable, désormais reprise aux articles L. 113-14 et L. 215-1 et suivants du même code : " Pour la mise en oeuvre de la politique prévue à l'article L. 142-1, le conseil général peut créer des zones de préemption dans les conditions ci-après définies. / Dans les communes dotées d'un plan d'occupation des sols rendu public ou d'un plan local d'urbanisme approuvé, les zones de préemption sont créées avec l'accord du conseil municipal (...) / A l'intérieur de ces zones, le département dispose d'un droit de préemption sur tout terrain ou ensemble de droits sociaux donnant vocation à l'attribution en propriété ou en jouissance de terrains qui font l'objet d'une aliénation, à titre onéreux, sous quelque forme que ce soit (...) ". Selon le premier alinéa de l'article L. 142-10 du même code, dans sa rédaction alors applicable, désormais reprise à l'article L. 215-21 de ce code : " Les terrains acquis en application des dispositions du présent chapitre doivent être aménagés pour être ouverts au public, sauf exception justifiée par la fragilité du milieu naturel. Cet aménagement doit être compatible avec la sauvegarde des sites, des paysages et des milieux naturels ".
2. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que par deux décisions du 20 février 2014, le département de la Loire-Atlantique a décidé d'acquérir par voie de préemption, sur le fondement des dispositions de l'article L. 142-3 du code de l'urbanisme, les parcelles cadastrées, d'une part, section Z n°s 1 à 4, 7 à 16 et 28 à 30 et, d'autre part, section Z n°s 5, 17 à 27 et 31 à 33, situées au lieu-dit l'île aux Moines sur le territoire de la commune d'Ancenis. M. C... B... a demandé au tribunal administratif de Nantes, d'une part, d'annuler ces décisions pour excès de pouvoir et, d'autre part, d'enjoindre au département de lui proposer, en qualité d'acquéreur évincé, les biens préemptés au prix de vente initialement conclu ou, à défaut, de condamner le département à lui verser une somme égale au prix des biens préemptés, en soulevant à l'appui de ses conclusions la question de la conformité à la Constitution des articles L. 142-1 et L. 142-3 du code l'urbanisme. Par une ordonnance du 3 juillet 2014, le président de la 6ème chambre du tribunal administratif de Nantes a refusé de transmettre au Conseil d'Etat la question prioritaire de constitutionnalité ainsi soulevée et, par un jugement du 3 mars 2017, le tribunal a fait droit aux conclusions de M. C... B... aux fins d'annulation mais rejeté ses conclusions aux fins d'injonction. Par une ordonnance du 19 décembre 2017, le président de la 2ème chambre de la cour administrative d'appel de Nantes a rejeté l'appel formé par M. C... B... contre l'ordonnance du tribunal administratif du 3 juillet 2014 et a refusé de transmettre au Conseil d'Etat la question de la conformité du régime de préemption des espaces naturels protégés au droit au recours garanti par la Constitution. Par un arrêt du 22 mars 2019, la cour administrative d'appel de Nantes a rejeté l'appel formé par le requérant contre le jugement du 3 mars 2017 en tant qu'il rejetait ses conclusions aux fins d'injonction et d'indemnisation. M. C... B... se pourvoit contre l'ordonnance du 19 décembre 2017 et l'arrêt du 22 mars 2019.
Sur le refus de transmettre au Conseil d'Etat les questions prioritaires de constitutionnalité soulevées en première instance et en appel :
3. Les dispositions de l'article 23-2 de l'ordonnance portant loi organique du 7 novembre 1958 prévoient que, lorsqu'une juridiction relevant du Conseil d'Etat est saisie de moyens contestant la conformité d'une disposition législative aux droits et libertés garantis par la Constitution, elle transmet au Conseil d'Etat la question de constitutionnalité ainsi posée à la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, et qu'elle ne soit pas dépourvue de caractère sérieux.
4. En premier lieu, M. B... conteste, ainsi qu'il est recevable à le faire en vertu de l'article R. 771-16 du code de justice administrative, le refus de transmission, qui lui a été opposé par le premier juge et qu'il a contesté sans succès devant le juge d'appel, de la question de la conformité des articles L. 142-1 et L. 142-3 du code de l'urbanisme au droit de propriété et à la liberté contractuelle et, dans des conditions affectant ce droit et cette liberté, à l'article 34 de la Constitution.
5. D'une part, il est loisible au législateur d'apporter aux conditions d'exercice du droit de propriété des personnes privées, protégé par l'article 2 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, ainsi qu'à la liberté contractuelle, qui découle de son article 4, des limitations liées à des exigences constitutionnelles ou justifiées par l'intérêt général, à la condition qu'il n'en résulte pas d'atteintes disproportionnées au regard de l'objectif poursuivi. D'autre part, la méconnaissance par le législateur de sa propre compétence ne peut être invoquée à l'appui d'une question prioritaire de constitutionnalité que dans le cas où cette méconnaissance affecte par elle-même un droit ou une liberté que la Constitution garantit.
6. Il résulte de la combinaison des dispositions des articles L. 142-1 et L. 142-3 du code de l'urbanisme que le droit de préemption dans les espaces naturels sensibles institué au profit des départements poursuit l'objectif de protection et d'ouverture au public de ces espaces, lequel constitue un objectif d'intérêt général. Les espaces soumis à ce droit sont ceux dans lesquels la qualité des sites, des paysages, des milieux naturels ou des champs naturels d'expansion des crues mérite d'être préservée et les habitats naturels sauvegardés. L'exercice de ce droit n'est possible que dans des zones préalablement délimitées à cette fin par le département, dans le cadre d'une politique d'ensemble de protection, de gestion et d'ouverture au public de ces espaces qu'il lui revient d'élaborer et de mettre en oeuvre et à laquelle ne pourrait se substituer de façon équivalente la juxtaposition d'initiatives privées de protection de ces espaces. Les décisions de préemption doivent elles-mêmes répondre aux objectifs de cette politique et être justifiées par la protection des parcelles en cause et leur ouverture ultérieure au public, sous réserve que la fragilité du milieu naturel ou des impératifs de sécurité n'y fassent pas obstacle. En vertu de l'article L. 142-10 du code de l'urbanisme, les terrains acquis en vertu de ce droit de préemption doivent faire l'objet d'un aménagement, compatible avec la sauvegarde des sites, des paysages et des milieux naturels, en vue de leur ouverture au public, sous la même réserve, et la personne publique qui en est propriétaire doit les préserver, les aménager et les entretenir dans l'intérêt du public. Enfin, en vertu de l'article L. 142-8 du même code, si un terrain acquis par l'exercice de ce droit n'a pas été utilisé comme espace naturel, dans les conditions ainsi définies, dans un certain délai, l'ancien propriétaire ou ses ayants cause universels ou à titre universel peuvent en obtenir la rétrocession.
7. Il suit de là que les articles L. 142-1 et L. 142-3 du code de l'urbanisme, par lesquels le législateur a défini avec une précision suffisante l'objectif poursuivi par le droit de préemption des espaces naturels sensibles et les espaces susceptibles d'être préemptés, ne portent pas au droit de propriété et à la liberté contractuelle une atteinte disproportionnée au regard de l'objectif qu'ils poursuivent et ne méconnaissent pas, dans des conditions affectant ce droit ou cette liberté, la compétence que le législateur tient de l'article 34 de la Constitution pour déterminer les principes fondamentaux du régime de la propriété.
8. En second lieu, M. C... B... conteste le refus de transmission, qui lui a été opposé par le juge d'appel, de la question de la conformité de l'article L. 142-3 du code de l'urbanisme au droit au recours garanti par l'article 16 de la Déclaration de 1789. Il relève que, en vertu des dispositions du code de l'urbanisme, telles qu'interprétées par la jurisprudence du Conseil d'Etat, l'annulation pour excès de pouvoir d'une décision de préemption d'un espace naturel sensible par le juge administratif n'implique pas, en cas d'atteinte excessive à l'intérêt général, que la collectivité titulaire du droit de préemption doive proposer à l'acquéreur évincé d'acquérir le bien irrégulièrement préempté.
9. L'article 16 de la Déclaration de 1789 garantit le droit des personnes à exercer un recours juridictionnel effectif, qui comprend celui d'obtenir l'exécution des décisions juridictionnelles.
10. Il appartient au juge administratif, saisi de conclusions en ce sens par l'ancien propriétaire ou l'acquéreur évincé, d'exercer les pouvoirs qu'il tient des articles L. 911-1 et suivants du code de justice administrative afin d'ordonner, le cas échéant sous astreinte, les mesures qu'implique l'annulation, par le juge de l'excès de pouvoir, d'une décision de préemption au titre des espaces naturels sensibles. La faculté reconnue à ce titre au juge de l'exécution, lorsque la décision de préemption est annulée après le transfert de propriété du bien au profit du titulaire du droit de préemption et, sauf atteinte excessive à l'intérêt général s'attachant à la préservation et à la mise en valeur de sites remarquables, appréciée au regard de l'ensemble des intérêts en présence, d'enjoindre à ce titulaire de proposer l'acquisition du bien à l'ancien propriétaire et à l'acquéreur évincé, en leur évitant ainsi d'intenter une action en nullité de la vente, assure une conciliation équilibrée entre la recherche de l'effectivité du recours pour excès de pouvoir et l'objectif d'intérêt général de préservation des espaces naturels sensibles poursuivi par les dispositions critiquées. Au surplus, elle ne fait pas obstacle à ce que l'acquéreur évincé obtienne du juge administratif de plein contentieux, en engageant la responsabilité du titulaire du droit de préemption, la réparation sous forme indemnitaire du préjudice qu'il a subi du fait de l'illégalité de la préemption dont a fait l'objet le bien qu'il se proposait d'acquérir. Ainsi, les dispositions en cause ne méconnaissent pas le droit à un recours juridictionnel effectif.
11. Il résulte de ce qui précède que le président de la 2ème chambre de la cour administrative d'appel de Nantes, dont l'ordonnance est suffisamment motivée, n'a pas commis d'erreur de qualification juridique en refusant de transmettre au Conseil d'Etat les questions prioritaires de constitutionnalité soulevées, en premier instance et en appel, par M. C... B.... Le fait que le juge d'appel se soit prononcé à tort au regard des critères posés par l'article 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 n'est pas de nature à justifier l'annulation de l'ordonnance attaquée et M. C... B... n'est pas fondé à demander cette annulation.
Sur l'arrêt de la cour administrative d'appel du 22 mars 2019 :
12. En premier lieu, aux termes de l'article L. 911-1 du code de justice administrative, dans sa rédaction applicable à la date de l'arrêt de la cour : " Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public prenne une mesure d'exécution dans un sens déterminé, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision, cette mesure assortie, le cas échéant, d'un délai d'exécution ".
13. Ainsi qu'il a été dit, il appartient au juge administratif, saisi de conclusions en ce sens par l'ancien propriétaire ou par l'acquéreur évincé et après avoir mis en cause l'autre partie à la vente initialement projetée, d'exercer les pouvoirs qu'il tient des articles L. 911-1 et suivants du code de justice administrative afin d'ordonner, le cas échéant sous astreinte, les mesures qu'implique l'annulation, par le juge de l'excès de pouvoir, d'une décision de préemption. A ce titre, il lui appartient, après avoir vérifié, au regard de l'ensemble des intérêts en présence, que le rétablissement de la situation initiale ne porte pas une atteinte excessive à l'intérêt général s'attachant à la préservation et à la mise en valeur de sites remarquables, de prescrire au titulaire du droit de préemption qui a acquis le bien illégalement préempté, s'il ne l'a pas entre temps cédé à un tiers, de prendre toute mesure afin de mettre fin aux effets de la décision annulée et, en particulier, de proposer à l'ancien propriétaire puis, le cas échéant, à l'acquéreur évincé d'acquérir le bien, à un prix visant à rétablir, sans enrichissement injustifié de l'une des parties, les conditions de la transaction à laquelle l'exercice du droit de préemption a fait obstacle.
14. En se référant notamment aux motifs retenus par les premiers juges, la cour administrative d'appel de Nantes a jugé, au terme d'une appréciation souveraine des pièces du dossier qui lui était soumis exempte de dénaturation, que si M. C... B... soutenait désormais devant elle s'être engagé à ouvrir le site au public et s'il faisait valoir que le programme de mise en valeur touristique, culturelle et écologique du marais de Grée, espace naturel situé sur le territoire de la même commune, était à l'arrêt en 2014, l'île aux Moines, dont tous les terrains avaient fait l'objet des préemptions litigieuses, était classée en zone naturelle d'intérêt écologique, faunistique et floristique de type 1 et 2, ainsi qu'en zone Natura 2000, au titre des directives habitat et oiseaux, que les préemptions s'inséraient dans un plan plus large de protection de l'environnement et de préservation des ressources et des milieux naturels des îles de Loire, poursuivi et mis en oeuvre par le département, qui avait également acquis une autre de ces îles, que depuis l'acquisition des parcelles préemptées, le département avait organisé des visites dites " nature " à destination du public et mis en pâturage respectueux de l'environnement les terres de l'île et qu'il projetait la restauration d'une chapelle, d'un hospice et d'un four à chanvre ayant appartenu à l'ordre des Franciscains cordeliers, en vue de la sauvegarde de ce patrimoine historique local.
15. En jugeant, compte tenu de la nécessité de la préservation des milieux naturels et de la sauvegarde du patrimoine historique local, et alors que les décisions de préemption avaient été annulées au seul motif qu'elles étaient insuffisamment motivées en droit et que les pièces du dossier n'établissaient pas la réalité de l'intention du requérant d'ouvrir le site au public, qu'une cession de ces terrains à M. C... B... porterait une atteinte excessive à l'intérêt général qui s'attachait à leur protection et à leur mise en valeur par le département de la Loire-Atlantique dans le cadre d'une politique d'ensemble de gestion des espaces naturels protégés, la cour a exactement qualifié les faits qui lui étaient soumis. Elle a pu, dès lors, en déduire sans erreur de droit que le tribunal administratif de Nantes était fondé à rejeter les conclusions de M. C... B... tendant à ce qu'il soit enjoint au département de lui proposer l'acquisition de ces terrains.
16. En second lieu, en jugeant qu'elle était saisie d'un appel dirigé contre le rejet, par les premiers juges, des conclusions de M. B... présentées sur le fondement de l'article L. 911-1 du code de justice administrative et que les conclusions indemnitaires que le requérant lui soumettait à titre subsidiaire, pour le cas où ses conclusions aux fins d'injonction seraient rejetées, soulevaient un litige distinct dont il ne lui appartenait pas de connaître, la cour administrative d'appel de Nantes ne s'est pas méprise sur la portée des conclusions dont elle était saisie, n'a pas méconnu son office et n'a pas commis d'erreur de droit.
Sur les frais liés au litige :
17. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que la somme réclamée à ce titre par M. C... B... soit mise à la charge du département de la Loire-Atlantique, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions de ce département présentées au même titre.
D E C I D E :
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Article 1er : Le pourvoi de M. C... B... est rejeté.
Article 2 : Les conclusions du département de la Loire-Atlantique présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à M. A... C... B..., au département de la Loire-Atlantique et à la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales.
Copie en sera adressée au Conseil constitutionnel et au Premier ministre."
Troisième arrêt :
"Vu la procédure suivante :
M. A... C... a demandé au tribunal administratif de Dijon d'annuler pour excès de pouvoir la délibération du 28 mai 2015 par laquelle le conseil municipal de Montagny-lès-Beaune a exercé le droit de préemption sur une propriété située 3, rue de l'Eglise, ainsi que la décision implicite par laquelle son recours gracieux a été rejeté. Par un jugement n° 1502835 du 27 mai 2016, le tribunal administratif de Dijon a annulé cette délibération et cette décision.
M. C... a demandé au tribunal administratif de Dijon, sur le fondement de l'article L. 911-4 du code de justice administrative, d'assurer l'exécution de ce jugement. Par un jugement n° 1700543 du 9 octobre 2018, le tribunal a enjoint à la commune de Montagny-lès-Beaune, dans un délai d'un mois à compter de la notification de sa décision, de mettre M. C... en mesure d'acquérir le bien situé 3, rue de l'Eglise à Montagny-lès-Beaune.
Par un arrêt n°s 18LY04015, 18LY04017 du 18 juin 2019, la cour administrative d'appel de Lyon a rejeté l'appel formé contre ce jugement par la commune de Montagny-lès-Beaune, porté à un mois à compter de la notification de l'arrêt le délai accordé à la commune pour proposer à M. C... l'acquisition du bien situé 3 rue de l'Eglise, prononcé, sur l'appel incident de M. C..., une astreinte de 50 euros par jour de retard à l'encontre de la commune et dit n'y avoir pas lieu à statuer sur la requête tendant au sursis à exécution du jugement.
Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 28 juin et 30 septembre 2019 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la commune de Montagny-lès-Beaune demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler cet arrêt ;
2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à son appel ;
3°) de mettre à la charge de M. C... la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code de l'urbanisme ;
- la loi n° 2014-366 du 24 mars 2014 ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme B... D..., maître des requêtes en service extraordinaire,
- les conclusions de M. Vincent Villette, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Delamarre, Jehannin, avocat de la commune de Montagny-lès-Beaune et à la SCP Gaschignard, avocat de M. C... ;
Considérant ce qui suit :
1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que, par une délibération du 28 mai 2015, le conseil municipal de Montagny-lès-Beaune a décidé d'exercer le droit de préemption urbain sur une parcelle supportant une maison d'habitation, située 3, rue de l'Eglise. Par un jugement du 27 mai 2016, statuant sur la demande de M. C..., acquéreur évincé, le tribunal administratif de Dijon a annulé cette délibération et la décision implicite rejetant le recours gracieux exercé par M. C.... En exécution de ce jugement, le maire de la commune a adressé à l'ancien propriétaire, qui l'a refusée, une proposition d'acquisition de ce bien. M. C... a alors demandé au maire de lui adresser une semblable proposition, puis, sa demande ayant été implicitement rejetée, a saisi le tribunal administratif de Dijon pour qu'il assure l'exécution de son jugement du 27 mai 2016. Par un jugement du 9 octobre 2018, le tribunal a enjoint à la commune de Montagny-lès-Beaune de mettre M. C... à même d'acquérir le bien en litige dans un délai d'un mois. La commune se pourvoit en cassation contre l'arrêt du 18 juin 2019 par lequel la cour administrative d'appel de Lyon a rejeté son appel contre ce jugement et assorti l'injonction prononcée d'une astreinte de 50 euros par jour de retard à l'expiration d'un délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt.
2. Aux termes de l'article L. 911-4 du code de justice administrative : " En cas d'inexécution d'un jugement ou d'un arrêt, la partie intéressée peut demander à la juridiction, une fois la décision rendue, d'en assurer l'exécution. / Si le jugement ou l'arrêt dont l'exécution est demandée n'a pas défini les mesures d'exécution, la juridiction saisie procède à cette définition. Elle peut fixer un délai d'exécution et prononcer une astreinte ".
3. Aux termes de l'article L. 213-11-1 inséré dans le code de l'urbanisme par la loi du 24 mars 2014 pour l'accès au logement et un urbanisme rénové : " Lorsque, après que le transfert de propriété a été effectué, la décision de préemption est annulée ou déclarée illégale par la juridiction administrative, le titulaire du droit de préemption propose aux anciens propriétaires ou à leurs ayants cause universels ou à titre universel l'acquisition du bien en priorité. / Le prix proposé vise à rétablir, sans enrichissement injustifié de l'une des parties, les conditions de la transaction à laquelle l'exercice du droit de préemption a fait obstacle. A défaut d'accord amiable, le prix est fixé par la juridiction compétente en matière d'expropriation, conformément aux règles mentionnées à l'article L. 213-4. / A défaut d'acceptation dans le délai de trois mois à compter de la notification de la décision juridictionnelle devenue définitive, les anciens propriétaires ou leurs ayants cause universels ou à titre universel sont réputés avoir renoncé à l'acquisition. / Dans le cas où les anciens propriétaires ou leurs ayants cause universels ou à titre universel ont renoncé expressément ou tacitement à l'acquisition dans les conditions mentionnées aux trois premiers alinéas du présent article, le titulaire du droit de préemption propose également l'acquisition à la personne qui avait l'intention d'acquérir le bien, lorsque son nom était inscrit dans la déclaration mentionnée à l'article L. 213-2 ". La déclaration mentionnée à l'article L 213-2 du code est celle que doit faire le propriétaire à la mairie avant toute aliénation soumise au droit de préemption urbain ou au droit de préemption dans une zone d'aménagement différé ou un périmètre provisoire de zone.
4. En vertu de ces dispositions, il appartient au juge administratif, saisi de conclusions en ce sens par l'ancien propriétaire ou l'acquéreur évincé, d'exercer les pouvoirs qu'il tient des articles L. 911-1 et suivants du code de justice administrative afin d'ordonner, le cas échéant sous astreinte, les mesures qu'implique l'annulation, par le juge de l'excès de pouvoir, d'une décision de préemption, sous réserve de la compétence du juge judiciaire, en cas de désaccord sur le prix auquel l'acquisition du bien doit être proposée, pour fixer ce prix.
5. En premier lieu, si les dispositions de l'article L. 213-11-1 du code de l'urbanisme font obligation au titulaire du droit de préemption, en cas de renonciation des anciens propriétaires ou de leurs ayants cause à l'acquisition du bien ayant fait l'objet d'une décision de préemption annulée ou déclarée illégale par le juge administratif après le transfert de propriété, de proposer cette acquisition à la personne qui avait l'intention d'acquérir le bien, lorsque son nom a été mentionné dans la déclaration d'intention d'aliéner, elles définissent ainsi les mesures qu'il incombe à la collectivité titulaire du droit de préemption de prendre de sa propre initiative à la suite de la décision du juge administratif. Elles n'ont ni pour objet ni pour effet de faire obstacle à ce que le juge, saisi de conclusions en ce sens par l'acquéreur évincé, alors même que son nom ne figurait pas sur ce document, enjoigne à cette collectivité de lui proposer l'acquisition du bien.
6. La cour administrative d'appel de Lyon a jugé que la circonstance que le nom de M. C..., bénéficiaire d'une promesse de vente portant sur le bien en litige, n'avait pas été mentionné dans la déclaration d'aliéner ne faisait pas obstacle à ce que la juridiction compétente, saisie de conclusions en ce sens sur le fondement de l'article L. 911-4 du code de justice administrative, enjoigne à la commune de Montagny-lès-Beaune, à la suite de l'annulation de la décision de préempter ce bien et de la renonciation de l'ancien propriétaire, de proposer à M. C..., acquéreur évincé, d'en faire l'acquisition. Il résulte de ce qui a été dit au point 5 qu'en statuant ainsi, la cour n'a pas commis d'erreur de droit.
7. En second lieu, il appartient au juge administratif, saisi, sur le fondement des articles L. 911-1 et suivants du code de justice administrative, de conclusions tendant à ce qu'il enjoigne au titulaire du droit de préemption de proposer l'acquisition d'un bien illégalement préempté à son ancien propriétaire puis, le cas échéant, à l'acquéreur évincé, de vérifier si, au regard de l'ensemble des intérêts en présence, la cession du bien ne porterait pas une atteinte excessive à l'intérêt général.
8. La cour administrative d'appel de Lyon a relevé, au terme d'une appréciation souveraine des pièces du dossier exempte de dénaturation, que le bien préempté consistait en une maison d'habitation ainsi qu'une grange et un garage, que la commune, face aux difficultés de mise aux normes d'accessibilité de la salle des fêtes du village, projetait d'y aménager une salle permettant l'accueil de diverses activités et qu'il ne résultait pas de l'instruction que des travaux modifiant substantiellement l'immeuble auraient déjà été exécutés pour les besoins de ce projet. En jugeant, compte tenu de ces circonstances, tenant à la nature du bien préempté, au projet poursuivi par la commune et aux travaux entrepris à cette fin, qu'une cession du bien à M. C... ne pouvait être regardée comme portant une atteinte excessive à l'intérêt général, la cour a exactement qualifié les faits qui lui étaient soumis.
9. Il résulte de tout ce qui précède que la commune de Montagny-lès-Beaune n'est pas fondée à demander l'annulation de l'arrêt qu'elle attaque.
10. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à la charge de M. C..., qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la commune de Montagny-lès-Beaune une somme de 3 000 euros à verser à M. C... au titre des mêmes dispositions.
D E C I D E :
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Article 1er : Le pourvoi de la commune de Montagny-lès-Beaune est rejeté.
Article 2 : La commune de Montagny-lès-Beaune versera à M. C... une somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à la commune de Montagny-lès-Beaune et à M. A... C....
Copie en sera adressée à la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales."