Méthanisation, activité agricole et permis de construire (jeudi, 12 septembre 2019)
Cet arrêt juge que la production, par un ou plusieurs exploitants agricoles, d'électricité par la méthanisation, lorsque cette production est issue pour au moins 50% de matières provenant d'exploitations agricoles, est réputée être une activité agricole et que le projet contesté peut être regardé comme nécessaire à l'exploitation agricole au sens des dispositions précitées de l'article L. 111-4 du code de l'urbanisme.
"Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. A...F...a demandé au tribunal administratif de Rennes, d'une part, d'annuler l'arrêté du 17 mars 2016 par lequel le maire de Trégourez, agissant au nom de l'Etat, a accordé un permis de construire une unité de méthanisation sur un terrain sis lieu-dit Penn Ar Pont à Trégourez à la SARL Gazelec de l'Odet et, d'autre part, d'annuler l'arrêté du 22 décembre 2016 par lequel le préfet du Finistère a accordé un permis de construire une unité de méthanisation sur un terrain sis lieu-dit Penn Ar Pont à Trégourez à la SARL Gazelec de l'Odet.
Par un jugement n°s 1602011 et 1700566 du 8 juin 2018, le tribunal administratif de Rennes a rejeté ses demandes.
Procédure devant la cour :
Par une requête et des mémoires, enregistrés les 23 juillet 2018, 6 février 2019 et 28 février 2019, M. A...F..., représenté par MeG..., demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du 8 juin 2018 ;
2°) d'annuler les arrêtés des 17 mars 2016 et 22 décembre 2016 ;
3°) de mettre à la charge solidaire de la commune de Trégourez et de l'Etat une somme de 3 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
Sur la légalité du permis de construire du 17 mars 2016 :
- l'article R. 423-1 du code de l'urbanisme a été méconnu ;
- l'article L. 111-4 du code de l'urbanisme a été méconnu ;
- l'article R. 111-2 du code de l'urbanisme a été méconnu ;
Sur la légalité du permis de construire modificatif du 22 décembre 2016 :
- l'article R. 423-1 du code de l'urbanisme a été méconnu ;
- le permis de construire initial est illégal, ce qui entache d'illégalité le permis de construire modificatif ;
- la commission départementale de préservation des espaces naturels, agricoles et forestiers aurait dû être consultée à nouveau.
Par des mémoires en défense, enregistrés les 21 novembre 2018 et 13 février 2019, la société Gazelec de l'Odet, représentée par MeC..., demande à la cour de rejeter la requête et de condamner le requérant au paiement global d'une somme de 5 000 € au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle fait valoir qu'aucun des moyens soulevés n'est fondé.
Par un mémoire en défense, enregistré le 13 février 2019, le ministre de la cohésion des territoires demande à la cour de rejeter la requête.
Il fait valoir qu'il s'en rapporte aux fins de non-recevoir et aux écritures présentées en défense par le préfet du Finistère en première instance.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de l'urbanisme ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Picquet,
- les conclusions de M. Sacher, rapporteur public,
- et les observations de Me E...substituant MeG..., représentant le requérant, et de Me D...représentant la société Gazelec de l'Odet.
Une note en délibéré de M. A...F...a été enregistrée le 10 juillet 2019 et présentée sans avocat.
Considérant ce qui suit :
1. La société Gazelec de l'Odet s'est vu accorder, par arrêté du 17 mars 2016 du maire de Trégourez, agissant au nom de l'Etat, un permis de construire une unité de méthanisation sur un terrain sis lieu-dit Penn Ar Pont à Trégourez, complété par un arrêté du 22 décembre 2016 pris par le préfet du Finistère et portant permis de construire modificatif de régularisation. M. F...a demandé l'annulation de ces deux arrêtés. Par un jugement du 8 juin 2018, le tribunal administratif de Rennes a rejeté ses demandes. M. F...fait appel de ce jugement.
Sur le bien-fondé du jugement :
En ce qui concerne la légalité du permis de construire du 17 mars 2016 :
2. En premier lieu, aux termes de l'article R. 423-1 du code de l'urbanisme : " Les demandes de permis de construire, d'aménager ou de démolir et les déclarations préalables sont adressées par pli recommandé avec demande d'avis de réception ou déposées à la mairie de la commune dans laquelle les travaux sont envisagés : a) Soit par le ou les propriétaires du ou des terrains, leur mandataire ou par une ou plusieurs personnes attestant être autorisées par eux à exécuter les travaux (...) ", et en vertu du dernier alinéa de l'article R. 431-5 du même code, la demande de permis de construire " comporte également l'attestation du ou des demandeurs qu'ils remplissent les conditions définies à l'article R. 423-1 pour déposer une demande de permis ". Il résulte de ces dispositions que les demandes de permis de construire doivent seulement comporter l'attestation du pétitionnaire qu'il remplit les conditions définies à l'article R. 423-1 cité ci-dessus ; les autorisations d'utilisation du sol, qui ont pour seul objet de s'assurer de la conformité des travaux qu'elles autorisent avec la législation et la réglementation d'urbanisme, étant accordées sous réserve du droit des tiers, il n'appartient pas à l'autorité compétente de vérifier, dans le cadre de l'instruction d'une demande de permis, la validité de l'attestation établie par le demandeur. Ainsi, sous réserve de la fraude, le pétitionnaire qui fournit l'attestation prévue à l'article R. 423-1 du code doit être regardé comme ayant qualité pour présenter sa demande.
3. Il ressort des pièces du dossier que la demande de permis de construire présentée par la société Gazelec de l'Odet comportait l'attestation signée de son représentant selon laquelle la société pétitionnaire remplissait les conditions définies à l'article R. 423-1 précité. Le moyen doit être écarté comme manquant en fait, alors même que les relevés de propriété produits indiquent qu'en 2016 et 2017 la parcelle C 392 était la propriété des époux F..., M. B...F...étant au demeurant le gérant de la société Gazelec de l'Odet.
4. En deuxième lieu, aux termes de l'article L. 111-4 du code de l'urbanisme dans sa rédaction alors applicable : " Peuvent toutefois être autorisés en dehors des parties urbanisées de la commune : 1° L'adaptation, le changement de destination, la réfection, l'extension des constructions existantes ou la construction de bâtiments nouveaux à usage d'habitation à l'intérieur du périmètre regroupant les bâtiments d'une ancienne exploitation agricole, dans le respect des traditions architecturales locales ; 2° Les constructions et installations nécessaires à l'exploitation agricole, à des équipements collectifs dès lors qu'elles ne sont pas incompatibles avec l'exercice d'une activité agricole, pastorale ou forestière sur le terrain sur lequel elles sont implantées, à la réalisation d'aires d'accueil ou de terrains de passage des gens du voyage, à la mise en valeur des ressources naturelles et à la réalisation d'opérations d'intérêt national ; (..) ".
5. Il ressort des pièces du dossier que le projet litigieux est destiné à valoriser des intrants majoritairement d'origine agricole et que les digestats issus du processus de méthanisation seront épandus sur six exploitations agricoles. De plus, le projet permettra, outre la revente de la majeure partie de l'électricité produite, le chauffage des serres de production de spiruline du fils de M. B...F.... D'ailleurs, plus de 50% des parts de la société pétitionnaire sont détenues par un exploitant agricole et l'article L. 311-1 du code rural et de la pêche maritime dispose que la production, par un ou plusieurs exploitants agricoles, d'électricité par la méthanisation, lorsque cette production est issue pour au moins 50% de matières provenant d'exploitations agricoles, est réputée être une activité agricole. Dès lors, ce projet peut être regardé comme nécessaire à l'exploitation agricole au sens des dispositions précitées de l'article L. 111-4 du code de l'urbanisme. Ainsi, le moyen tiré de la méconnaissance de ces dispositions doit être écarté.
6. En troisième et dernier lieu, aux termes de l'article R. 111-2 du code de l'urbanisme : " Le projet peut être refusé ou n'être accepté que sous réserve de l'observation de prescriptions spéciales s'il est de nature à porter atteinte à la salubrité ou à la sécurité publique du fait de sa situation, de ses caractéristiques, de son importance ou de son implantation à proximité d'autres installations. " Il ressort des pièces du dossier que huit maisons se situent dans un rayon de moins de 500 mètres du projet, dont l'une à 100 mètres et l'autre à 130 mètres. Toutefois, les deux maisons les plus proches se trouvent à l'ouest, les vents dominants provenant du sud à sud-ouest et du nord à nord-ouest. Les autres maisons qui se trouvent sous les vents dominants sont éloignées du projet entre 230 et 500 mètres. En outre, il ressort du dossier de déclaration au titre de la législation sur les installations classées pour la protection de l'environnement que le digestat sera stocké dans des fosses couvertes. Il est vrai que la réception des substrats liquides s'effectuera dans une pré-fosse non couverte d'un volume de 400 mètres cubes et les substrats solides seront essentiellement stockés à l'air libre, avec le bâchage des ensilages et des tontes mais pas des fumiers. Cependant, le pétitionnaire fait valoir sans être ensuite contredit que la fosse à fumier sera bien recouverte d'une bâche par l'exploitant pour limiter les odeurs au maximum et que cette fosse sera par ailleurs située en contrebas de deux bâtiments situés au sud de celle-ci limitant la propagation des éventuelles odeurs vers cette direction et la maison du requérant, la présence de haies brise-vent pouvant également être un obstacle aux odeurs. En outre, s'agissant des autres risques, le requérant se borne à joindre un rapport sur les risques sanitaires et accidentels liés à la méthanisation, établi par l'Ineris et portant sur des cas généraux. Dès lors, le moyen tiré de l'erreur manifeste d'appréciation dans l'application des dispositions précitées de l'article R. 111-2 du code de l'urbanisme doit être écarté.
En ce qui concerne la légalité du permis de construire modificatif du 22 décembre 2016 :
7. En premier lieu, il ressort des pièces du dossier que la demande de permis de construire modificatif présentée par la société Gazelec de l'Odet comportait l'attestation signée de son représentant selon laquelle la société pétitionnaire remplissait les conditions définies à l'article R. 423-1 précité. Le moyen doit être écarté comme manquant en fait, alors même que le les relevés de propriété produits indiquent qu'en 2016 et 2017 la parcelle C 392 était la propriété des épouxF..., M. B...F...étant au demeurant le gérant de la société Gazelec de l'Odet.
8. En deuxième lieu, si le requérant soutient que le permis de construire initial est illégal, ce qui entache d'illégalité le permis de construire modificatif, ce moyen doit être écarté pour les motifs indiqués aux points 2 à 6.
9. En troisième et dernier lieu, le requérant se borne à soutenir que la commission départementale de préservation des espaces naturels, agricoles et forestiers aurait dû être consultée à nouveau dès lors que des modifications ont été apportées à la notice d'appréciation d'impact visuel et aux documents graphiques, sans même indiquer en quoi consistaient ces modifications. Le pétitionnaire fait valoir sans être ensuite contredit que ces modifications mineures n'avaient pour vocation que d'étoffer la présentation du projet, sans modifier le projet lui-même. Dès lors, le moyen doit être écarté.
10. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin ni d'examiner la fin de non recevoir tirée de l'irrecevabilité de la demande de première instance, ni de procéder aux mesures d'instruction sollicitées, que M. F... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal a rejeté sa demande.
Sur les frais liés au litige :
11. La commune de Trégourez et l'Etat n'étant pas, dans la présente instance, les parties perdantes, les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à leur charge le versement de la somme demandée par M. F...à ce titre. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de M. F...la somme demandée sur le fondement des mêmes dispositions par la société Gazelec de l'Odet.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de M. F...est rejetée.
Article 2 : Les conclusions présentées par la société Gazelec de l'Odet au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. A...F..., au ministre de la cohésion des territoires et à la société Gazelec de l'Odet.
Copie en sera adressée, pour information, au préfet du Finistère.
Délibéré après l'audience du 28 juin 2019, à laquelle siégeaient :
- M. Dussuet, président de chambre,
- M. Degommier, président assesseur,
- Mme Picquet, premier conseiller.
Lu en audience publique le 19 juillet 2019."
CAA de NANTES
N° 18NT02791