Direction du procès, renonciation aux exceptions et contestation du caractère décennal des désordres par l'assureur (mardi, 14 août 2018)

Dans cette affaire, la Cour de Cassation considère que la direction du procès prise par la compagnie d'assurances au stade du référé expertise ne l'empêche pas d'opposer à son assuré et au maître d'ouvrage le caractère décennal des désordres et son absence de garantie.

"Vu l'article L. 113-17 du code des assurances, ensemble l'article 1792-7 du code civil et les articles 808 et 809 du code de procédure civile ;

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Reims, 23 février 2016), rendu en référé, que le GAEC des Vallées (le GAEC) a confié à la société Piot services la réalisation d'une plate-forme de traite ; qu'invoquant des dysfonctionnements de l'installation et sa dangerosité, le GAEC a, après expertise, assigné en référé la société Piot services en paiement d'une provision de 326 000 euros hors taxes aux fins d'installation de trois robots de traite ; qu'elle a assigné le Groupama Grand Est (le Groupama) en garantie et que le GAEC est intervenu volontairement pour demander la condamnation complémentaire de la société Piot services au paiement d'une somme de 62 500 euros correspondant à la taxe sur la valeur ajoutée non prise en compte lors de la première instance ;

Attendu que, pour condamner le Groupama à payer au GAEC la somme de 391 200 euros, in solidum avec la société Piot services, et à garantir cette société de la condamnation, l'arrêt retient que les contestations de l'assureur ne sont pas sérieuses alors qu'il a, jusqu'au stade du référé, pris la direction du procès et que les travaux concernent la construction d'une stalle et donc d'un bâtiment ;

Qu'en statuant ainsi, alors que, les exceptions visées par l'article L. 113-17 du code des assurances, en ce qu'elles se rapportent aux garanties souscrites, ne concernant ni la nature des risques souscrits, ni le montant de la garantie, l'assureur ne se voyait pas priver de la possibilité de contester le caractère décennal des désordres et qu'elle avait constaté que les désordres affectaient les installations d'une salle de traite, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;


PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il condamne le Groupama à payer au GAEC la somme de 391 200 euros, in solidum avec la société Piot services, et à garantir cette société de la condamnation, l'arrêt rendu le 23 février 2016, entre les parties, par la cour d'appel de Reims ; remet, en conséquence, sur ce point, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Dijon ;

Condamne le GAEC des Vallées aux dépens ;

Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du treize juillet deux mille dix-sept.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt.

Moyen produit par la SCP Ohl et Vexliard, avocat aux Conseils, pour la société Groupama Grand Est.

Il est fait grief à l'arrêt confirmatif attaqué d'avoir condamné Groupama Grand Est à relever et garantir la SARL Piot services de la condamnation prononcée contre elle au titre des travaux destinés à prévenir un dommage imminent par l'ordonnance du 31 juillet 2015, et à payer au GAEC des Vallées la somme de 391 200 euros in solidum avec la SARL Piot services,

Aux motifs propres que sur les demandes dirigées contre la société Piot services (…) en application de l'article 809 du code de procédure civile, le juge des référés peut toujours même en présence d'une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s'imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite ; que par motifs adoptés de l'ordonnance du 31 juillet 2015, le juge des référés a jugé que le dommage était caractérisé dans la note d'étape n° 2 de l'expert judiciaire démontrant que la salle de traite installée par la SARL Piot services était dangereuse et devait être stoppée ; qu'il en a exactement déduit que compte tenu des accidents passés, à savoir un homme ayant subi un arrêt de travail durant deux mois et une vache énuquée, ne pas modifier la salle de traite installée par la SARL Piot services faisait persister les risques, de sorte qu'il convenait de prévenir la survenance d'un dommage imminent ; que pas davantage à hauteur de cour qu'en première instance la SARL Piot services qui affirme que les dysfonctionnements résultent de modifications faites par le GAEC des vallées sur la sécurité, n'en rapporte pas la preuve ; qu'en tout état de cause, il résulte de la note adressée par l'expert judiciaire le 27 juillet 2015 au juge chargé du contrôle des expertises que le montage de l'installation présente des malfaçons imputables à la SARL Piot services. Ainsi, il résulte de cette note que les structures métalliques sont mal montées, que les maintiens mécaniques sont absents ou brisés anormalement, que le variateur électronique est mal placé dans l'armoire et en constante surchauffe, que la motorisation est mal protégée, que les guidages mécaniques du plateau ne respectent pas les tolérances et que la distribution automatique est mal placée. La SARL Piot services ne conteste pas avoir réalisé l'installation suivant bon de commande émis en novembre 2007. Dès lors que l'expert affirme que le montage de cette installation est clairement en cause, il appartient à la SARL Piot services de faire cesser le dommage imminent créé par son installation quelles que soient les responsabilités qui seront définies ultérieurement par le juge du fond ; que reste maintenant à déterminer quelle mesure est susceptible de prendre le juge des référés pour prévenir le dommage imminent créé par cette installation jugée dangereuse par l'expert judiciaire ; que la SARL Piot services soutient que la demande du GAEC des vallées s'analyse en réalité en une demande provision qui se heurte à une contestation sérieuse au sens de l'article 809 alinéa 2 du code de procédure civile et qui concerne le principe de sa responsabilité ; qu'elle ajoute que l'essence de la mesure conservatoire de remise en état prévue par l'article 809 alinéa 1 du code de procédure civile implique de prononcer une obligation de faire ou de ne pas faire et non une condamnation pécuniaire comme l'a fait l'ordonnance critiquée ; que néanmoins, il résulte de l'article 809 alinéa 1 du code de procédure civile que le juge des référés, dans le but de prévenir un dommage imminent, prescrit les mesures qui s'imposent, le choix de la mesure relevant de son appréciation souveraine ; que comme le rappelle l'ordonnance critiquée, l'expert a passé en revue plusieurs solutions avant de retenir l'installation de robot de traite dans le but de faire fonctionner la traite actuelle et de prévenir le dommage imminent ; En effet, dans sa note d'étape n° 1 et 2 (…), l'expert proposait comme première et meilleure solution, le déplacement du cheptel sur une installation vide et conforme pour une exploitation sous forme de prestations de services ; qu'il indiquait cependant que si une installation adéquate n'était pas trouvée, la solution n° 2 était d'utiliser partiellement le matériel déjà sur place et fonctionnelle et d'installer des pipelines et des griffes pour la traite directe, sans utilisation pour autant de la salle qui devait être condamnée ; qu'au stade de la note d'étape n° 2, la solution n° 3 consistant en l'installation d'une salle de traite mobile n'était plus envisageable, faute de fournisseurs ; que dans sa note d'étape n° 3 (…), l'expert indique qu'il convient de mettre en place la solution n° 4 qui consiste en l'installation de robot de traite, toutes les autres options ayant été écarté faute de fournisseurs, de concessionnaires ou d'installations équivalentes ; que l'installation de robots de traite constitue donc la seule mesure de remise en état envisageable qui puisse prévenir le dommage imminent ; qu'ainsi, comme l'a très exactement retenu le juge des référés, elle ne constitue pas une avance sur indemnisation comme le prétend à tort la SARL Piot services ; que l'ordonnance rendue en référé par le président du tribunal de grande instance de Troyes le 31 juillet 2015 sera donc confirmée en toutes ses dispositions ; que sur les demandes dirigées contre la société Groupama Grand Est, (…), la cour renvoie à ses développements précédents sur l'analyse de la mesure prononcée par l'ordonnance du 31 juillet 2015 qui, contrairement à ce que soutient la société Groupama Grand Est, ne constitue pas une demande de provision sur indemnisation future ; qu'il n'est pas contesté que la SARL Piot services a appelé la société Groupama Grand Est en sa qualité d'assureur responsabilité décennale ; que la SARL Piot services a été condamnée sur le fondement de l'article alinéa 1 du code de procédure civile qui permet au juge des référés de prononcer une mesure de remise en état même en présence d'une contestation sérieuse ; que la société Groupama Grand Est ne conteste pas sa qualité d'assureur responsabilité décennale de la SARL Piot services ; qu'ainsi, le 6 novembre 2014 elle a informé la SARL Piot de ce qu'elle procédait à l'ouverture d'un dossier dans le présent litige (pièce n° 10 de la SARL Piot) ; que le 2 juin 2015 (pièce n° 11), elle l'a informée de ce qu'elle avait mandaté le cabinet Juber Eurexo pour assister à la réunion d'expertise judiciaire ; qu'elle a également mandaté un avocat commun qu'elle a en particulier chargé d'assister la SARL Piot lors de l'audience de référé du 30 juillet 2015 ; que si, le 29 juin 2015, elle a indiqué ne pas prendre en charge les frais de mise en place des nouveaux robots de traite, elle s'est fondée sur le contrat de responsabilité civile professionnelle excluant le coût représenté par le renouvellement, le remplacement, le remboursement, la remise en état, la modification, la reconstitution, la rectification, le perfectionnement, le parachèvement des produits, ouvrages ou travaux exécutés ; qu'elle n'a donc soulevé aucune contestation relative à la garantie décennale jusqu'à la procédure de référé qui devait conduire à l'ordonnance du 15 septembre 2015 ; que ce comportement, par lequel, jusqu'au stade du référé, elle a pris la direction du procès, conjugué au fait que les travaux concernent bien notamment la construction d'une stalle et donc d'un bâtiment, prive ses contestations de tout caractère sérieux ; qu'au stade du référé, elle doit donc être condamnée à garantir la SARL Piot des condamnations mises à sa charge ; que l''ordonnance de référé du 15 septembre 2015 sera donc confirmée en toutes ses dispositions ;

Et aux motifs éventuellement adoptés de l'ordonnance confirmée du 15 septembre 2015 que sur le principe de la condamnation de Groupama Grand Est, l'action du GAEC des vallées à l'égard de la SARL Piot services a été reçue sur le fondement de la prévention du dommage imminent par l'article 809 alinéa 1 du code de procédure civile ; qu'il n'est pas contesté par Groupama Grand Est qu'au temps de la réalisation des travaux de la salle de traites, elle est l'assureur de la SARL Piot services au titre de la responsabilité civile et de la garantie décennale ; que c'est d'ailleurs à ce titre qu'elle a dans un premier temps et jusqu'à la demande de condamnation provisionnelle de son assurée, permis à cette dernière d'être assistée par un conseil rémunéré par ses soins sans se prévaloir d'une absence de couverture des risques ; que dès lors, nonobstant le débat relatif à la notion d'ouvrage ou non et à l'étendue des garanties qui relève du juge du fond, la demande de condamnation provisionnelle de Groupama Grand Est au paiement des sommes mises à la charge de son assurée pour l'exécution des travaux destinés à prévenir un dommage imminent n'est pas sérieusement contestable ; qu'il y sera en conséquence fait droit tant à la demande de la SARL Piot services à son égard qu'à celle du GAEC tendant au paiement in solidum avec son assurée de la condamnation provisionnelle ;

Et encore aux motifs éventuellement adoptés de l'ordonnance confirmée du 31 juillet 2015 qu'en l'espèce, le dommage imminent est caractérisé dans la mesure où il ressort de la note d'étape n° 2 de l'expert judiciaire que la salle de traite installée par la SARL Piot services est dangereuse et doit être stoppée ; qu'à cet égard, figure au dossier le certificat du vétérinaire qui indique être intervenu pour constater la mort d'une vache énuquée lors de la traite ; que c'est ce risque auquel fait référence l'expert judiciaire puisque dans sa note d'étape n° 2 il indique que deux vaches ont été retrouvées mortes et cinq ont dû être abattues suite à des blessures causées par le fonctionnement défectueux de l'installation ; que l'expert ajoute que l'une des personnes intervenantes lors de la traite a été blessée ; qu'il est évident que si comme le dit l'expert, les dommages résultent d'un dysfonctionnement de l'installation destinée à la traite des vaches, ne pas la modifier fait persister les risques de sorte qu'il est possible d'affirmer que le dommage est imminent ; que la SARL Piot services et la compagnie Groupama du Nord Est, qui affirment que les dysfonctionnements résultent de modifications faites par le GAEC des vallées sur la sécurité, n'en apportent pas la preuve ; qu'au contraire, l'expert qui indique dans sa note d'étape n° 2 et 3 et dans sa note adressée le 27 juillet 2015 au juge chargé du contrôle des expertises que le montage de l'installation présente des malfaçons en ce que les structures métalliques sont mal montées, les maintiens mécaniques sont absents ou brisés anormalement, le variateur électronique mal placé dans l'armoire et en constante surchauffe, la motorisation mal protégée, les guidages mécaniques du plateau ne respectent pas les tolérances et la distribution automatique mal placée ; que l'expert indique que le montage est clairement en cause, la salle n'est pas réparable et est dangereuse ; qu'il n'est pas contestable que l'installation a été exécutée par la SARL Piot services ; que le bon de commande qu'elle a émis en novembre 2007 figure d'ailleurs au dossier ; que peu importent les responsabilités partagées à définir ultérieurement ; que la SARL Piot services doit faire cesser le dommage imminent créé par son installation et son incapacité à proposer une réparation efficace, l'installation étend impropre à sa destination ; qu'aussi, la demande apparaît justifiée ; que certes, le montant est double du coût de l'installation ; que cependant, l'expert a passé en revue plusieurs solutions avant de retenir l'installation de robots lesquels ont été estimés utiles pour faire fonctionner la traite actuelle et prévenir le dommage imminent ; qu'il ne s'agit pas d'une avance sur indemnisation, mais bien d'une solution pour faire cesser le trouble, laquelle est étrangère à une éventuelle indemnisation future ; qu'il sera fait droit à la demande formulée à l'encontre de la SARL Piot services ; qu'en n revanche, il ne saurait être fait droit à cette demande à l'encontre de la compagnie Groupama du Nord Est dans la mesure où il n'est pas établi que cet assureur soit celui de la SARL Piot services ;

1° Alors que le juge des référés peut toujours, même en présence d'une contestation sérieuse, prescrire les mesures conservatoires ou de remise en état qui s'imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite ; que dans les cas où l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable, il peut accorder une provision au créancier ou ordonner l'exécution de l'obligation même s'il s'agit d'une obligation de faire ; que l'octroi d'une somme d'argent ne constitue pas une mesure conservatoire, mais correspond au paiement d'une provision ne pouvant être allouée qu'en l'absence de contestation sérieuse, notamment sur la notion d'ouvrage ou l'étendue des garanties ; qu'en retenant, pour condamner Groupama Grand Est à relever et garantir la SARL Piot services de la condamnation prononcée contre elle au titre des travaux destinés à prévenir un dommage imminent par l'ordonnance du 31 juillet 2015, et à payer au GAEC des Vallées la somme de 391 200 euros in solidum avec la SARL Piot services que l'installation de robots de traite constituait la seule mesure de remise en état envisageable qui puisse prévenir le dommage imminent, qu'il ne s'agissait pas d'une avance sur indemnisation, mais d'une solution pour faire cesser le trouble, la cour d'appel a violé les articles 808 et 809 du code de procédure civile ;

2° Alors que seule la partie exposée au dommage imminent pour solliciter en référé le bénéfice d'une mesure conservatoire ou de remise en état ; que la cour d'appel, qui a condamné Groupama Grand Est, non seulement en paiement au profit du GAEC des Vallées, mais également à relever et garantir la SARL Piot services de la condamnation prononcée contre elle au titre des travaux destinés à prévenir un dommage imminent par l'ordonnance du 31 juillet 2015, et a violé les articles 808 et 809 du code de procédure civile ;

3° Alors que les exceptions visées par l'article L. 113-17 du code des assurances, en ce qu'elles se rapportent aux garanties souscrites, ne concernent ni la nature des risques garantis, ni le montant de la garantie ; que la cour d'appel qui, pour condamner Groupama Grand Est à relever et garantir la SARL Piot services de la condamnation prononcée contre elle au titre des travaux destinés à prévenir un dommage imminent par l'ordonnance du 31 juillet 2015, et à payer au GAEC des Vallées la somme de 391 200 euros in solidum avec la SARL Piot services, a retenu que Groupama avait pris la direction du procès sans soulever aucune contestation relative à la garantie décennale, a violé l'article L. 113-17, alinéa 1er, du code des assurances ;

4° Alors que ne sont pas considérés comme des éléments d'équipement d'un ouvrage au sens des articles 1792, 1792-2, 1792-3 et 1792-4 les éléments d'équipement, y compris leurs accessoires, dont la fonction exclusive est de permettre l'exercice d'une activité professionnelle dans l'ouvrage ; que la cour d'appel qui a condamné Groupama Grand Est à relever et garantir la SARL Piot services de la condamnation prononcée contre elle au titre des travaux destinés à prévenir un dommage imminent par l'ordonnance du 31 juillet 2015, et à payer au GAEC des Vallées la somme de 391 200 euros in solidum avec la SARL Piot services, tout en constatant des désordres affectant les installations d'une salle de traite, a violé l'article 1792-7 du code civil."