Un devoir d'information et de conseil du notaire à l'égard des tiers ? (jeudi, 31 mai 2018)
Cet arrêt juge que le notaire qui instrumente un acte de vente n'est tenu d'aucun devoir d'information et de conseil envers les tiers dont il n'a pas à protéger les intérêts et qui ne disposent pas d'un droit opposable aux parties.
"Vu l'article 1382, devenu 1240 du code civil ;
Attendu que le notaire qui instrumente un acte de vente n'est tenu d'aucun devoir d'information et de conseil envers les tiers dont il n'a pas à protéger les intérêts et qui ne disposent pas d'un droit opposable aux parties ;
Attendu, selon l'arrêt attaqué, que M. X... (le vendeur), propriétaire d'un bien immobilier, en a confié la vente à M. Y... (le notaire) ; qu'une promesse de vente ayant été signée le 2 octobre 2009, le vendeur a donné au notaire un mandat, qualifié d'irrévocable, de virer la somme de 200 000 euros à valoir sur le prix de vente, au profit de la caisse régionale de Crédit agricole mutuel de Centre France (la banque) ; que, par lettre du 2 avril 2010, cet ordre de virement a été confirmé à la banque par le notaire ; que, le 10 décembre suivant, jour de la réitération de la vente par acte authentique, le vendeur a signifié au notaire une lettre par laquelle il a indiqué révoquer le mandat et lui a demandé de tenir à sa disposition un chèque à son ordre représentant le solde net du prix de vente lui revenant ; que, conformément aux instructions du mandant, le notaire a libéré les fonds provenant de la vente entre les mains du vendeur ; que, le 4 novembre 2013, la banque a assigné le notaire en responsabilité et paiement de la somme de 200 000 euros, en réparation du préjudice subi ;
Attendu que, pour condamner le notaire à payer à la banque la somme de 40 000 euros en réparation du préjudice résultant de la perte de chance de mettre en place une procédure civile d'exécution, l'arrêt retient que le notaire était tenu, à l'égard de la banque, d'une obligation personnelle d'information portant sur la révocation du mandat, dès lors que le mandant ne justifiait pas en avoir lui-même informé la banque et qu'il appartenait au notaire, qui ne pouvait ignorer que la révocation n'était pas opposable au tiers bénéficiaire tant que celui-ci n'en avait pas été informé, de retenir le prix de la vente dans cette attente, de sorte qu'en acceptant de libérer ce prix entre les mains du vendeur le jour même de la vente, avant la notification effective de la révocation au tiers bénéficiaire, le notaire a commis une faute engageant sa responsabilité ;
Qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;
PAR CES MOTIFS et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres branches du moyen :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 12 octobre 2016, entre les parties, par la cour d'appel de Riom ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Lyon ;
Condamne la caisse régionale de Crédit agricole mutuel de Centre France aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette sa demande et la condamne à payer à M. Y... la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du trois mai deux mille dix-huit. MOYEN ANNEXE au présent arrêt.
Moyen produit par la SCP Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat aux Conseils, pour M. Y... .
Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR déclaré l'action en recherche de responsabilité professionnelle par le Crédit Agricole Centre France à l'encontre de M. Hubert Y... fondée en son principe et d'AVOIR en conséquence condamné ce dernier à payer au Crédit Agricole Centre France la somme de 40 000 € à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice résultant de la perte de chance de recouvrer sa créance à l'égard de M. Laurent X... ;
AUX MOTIFS PROPRES QUE l'ordre donné par M Laurent X... à Me Hubert Y... notaire choisi par ses soins pour établir l'acte de vente authentique d'un immeuble lui appartenant, de virer au profit du Crédit Agricole Centre France la somme de 200 000 € à valoir sur le prix de vente du bien vendu doit recevoir la qualification juridique de mandat ; qu'au regard du caractère irrévocable expressément attribué à ce mandat qui l'avait consacré dans un rôle de mandataire chargé de remettre les fonds à provenir de la vente immobilière à un tiers organisme bancaire en règlement d'une créance dont ce dernier disposait à l'égard du mandant, Me Y... en sa double qualité de notaire instrumentaire et de mandataire était tenu d'une obligation d'information à regard de la banque tiers bénéficiaire ; que c'est d'ailleurs manifestement dans ce cadre que le notaire a informé la banque, par télécopie du 2 avril 2010, de l'existence et de la portée du mandat irrévocable qu'il avait reçu de M. X..., de virer au profit de celle-ci la somme de 200 000 € à valoir sur le prix de la vente immobilière ; qu'en conséquence, compte tenu des circonstances particulièrement tardives de la révocation du mandat qui n'a été portée à la connaissance du notaire que par acte d'huissier en date du 10 décembre 2010 à 10 heures 30 le jour même de la réitération de la vente immobilière par acte authentique, celui-ci était manifestement tenu d'une obligation personnelle d'information à l'égard du Crédit Agricole des lors que le mandant ne justifiait pas avoir réalisé celle-ci ; que cette obligation d'information impliquait non seulement l'envoi d'une lettre recommandée avec avis de réception à la banque mais bien au-delà, le retour auprès du notaire de l'avis de réception qui pouvait uniquement attester de la prise de connaissance effective par son bénéficiaire de la révocation du mandat qualifié d'irrévocable et permettre à celui-ci d'en contrecarrer efficacement les effets s'il envisageait de la contester ; que par ailleurs pendant ce laps de temps, il appartenait au notaire mandataire qui ne pouvait ignorer que la révocation ne pouvait être opposée au tiers bénéficiaire tant qu'il n'avait pas été informé de celle-ci, de retenir le prix de vente dans l'attente que preuve soit rapportée de sa notification à ce dernier ; qu'en acceptant de libérer le montant du prix de vente de l'immeuble entre les mains de M. X... le jour même de la vente le 10 décembre 2010, avant la notification effective de cette révocation au tiers bénéficiaire qui n'est intervenue qu'à réception de la lettre recommandée avec avis de réception du 17 décembre 2010, Me Y... a commis une faute qui a engagé sa responsabilité ; qu'il y a donc lieu de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a retenu celle-ci ; que les manquements imputables au notaire ont certes privé la banque, ainsi que l'a retenu à bon droit le tribunal aux termes d'une motivation que la cour fait sienne, de toute possibilité de mettre en place une procédure civile d'exécution dont aucun des éléments produits ne permet de considérer qu'elle aurait abouti avec certitude au regard des arguments qu'aurait pu développer M. X... en défense ; que dès lors si c'est à bon droit que le tribunal a admis au bénéfice du Crédit Agricole la possibilité de se prévaloir de la perte d'une chance de recouvrement de sa créance auprès de M X... imputable à la défaillance du notaire retenue dans les termes précités, il n'en demeure pas moins que l'absence de garantie antérieure à la vente de l'immeuble telle que la prise d'une hypothèque imputable à la banque a également contribué à son préjudice ; qu'en conséquence la réparation du préjudice lié à la perte de chance strictement provoqué par les manquements du notaire sera limitée à la somme de 40 000 € ;
ET AUX MOTIFS ADOPTÉS QUE M. X... a donné ordre irrévocable à Me Y... de virer au profit du CACF la somme de 200 000 euros à valoir sur le prix de la vente d'un bien situé à Clermont Ferrand ; que cet ordre a été confirmé à la banque par courrier du notaire en date du 2 avril 2010 ; que par courrier signifié au notaire le 10 décembre 2010, M. X... a indiqué révoquer le mandat qu'il lui avait confié et demandé de tenir à sa disposition un chèque à son ordre représentant le solde net vendeur du prix de vente ; que pour mettre en cause la responsabilité de Me Y... au visa de l'article 1382 du code civil, le Crédit Agricole se fonde sur le manque de précaution prise par le notaire pour assurer la préservation de ses droits, et non plus sur le fait d'avoir accepté la révocation de son mandat ; que selon lui, Me Y... devait refuser d'instrumenter la vente et à tout le moins, prévenir en urgence afin que toute mesure utile à la conservation de ses droits puisse être envisagée ; que le notaire ne pouvait ignorer que la révocation du mandat dont il avait été informé le jour même de la réitération de la vente était de nature à nuire aux intérêts du Crédit Agricole ; qu'il ne disposait plus d'aucun pouvoir pour retenir le prix de vente, lequel devait alors être remis au vendeur ; que la révocation du mandat dans ces circonstances ne constitue toutefois pas un motif légitime de refus d'instrumenter, étant rappelé que le notaire est tenu par les règles de son statut d'officier ministériel à une obligation d'instrumenter l'acte pour lequel il est requis ; que s'il ne pouvait se départir de la réitération de la vente pour lequel il était requis, il devait néanmoins mettre en oeuvre les moyens permettant au Crédit Agricole de préserver ses droits ainsi mis en péril ; qu'il aurait dû informer la banque de la révocation du mandat qui était de nature à la priver de la perception d'une somme de 200 000 euros, et ce en urgence compte tenu du contexte ; qu'au titre de ses diligences, Me Y... n'a transmis qu'une lettre recommandée, dont l'avis de réception n'a été signé que le 17 décembre 2010 ; que quoiqu'il en soit des délais de distribution de la lettre, il ne pouvait ignorer que l'information de la révocation du mandat ne serait transmise qu'au mieux le lendemain ou le surlendemain ; qu'il est constant que Me Y... n'a utilisé aucun des procédés usuels de transmission immédiate de l'information, tels le téléphone ou la télécopie ; que s'il avait avisé le Crédit Agricole de la révocation du mandat dès sa signification par acte extra judiciaire, cet établissement bancaire aurait pu, le cas échéant, exercer avant remise du produit de la vente à son débiteur une voie civile d'exécution lui permettant de recouvrer une partie de sa créance ; que le Crédit Agricole aurait notamment pu mettre en oeuvre une saisie-attribution entre les mains du notaire dépositaire du prix de vente, en lui faisant signifier cette mesure le jour même de la vente conformément aux dispositions des articles R. 211-1 et suivants du code des procédures civiles d'exécution ; que le succès de cette saisie restait néanmoins aléatoire ; que tout d'abord, pour être efficace, la signification de la saisie au notaire aurait dû intervenir à un moment bien précis, à savoir entre le dépôt du prix de vente entre les mains du notaire et sa libération au profit du vendeur, cette libération n'étant pas habituellement réalisée de façon immédiate ; que M. X... pouvait ensuite présenter devant le juge de l'exécution des contestations, de forme ou de fond, et demander la main levée de la saisie ; qu'il n'en reste pas moins qu'en s'abstenant d'informer en urgence le Crédit Agricole de la révocation du mandat, Me Y... a privé celui-ci d'une chance de recouvrir une partie de sa créance ; que cette perte de chance est seule constitutive du préjudice, à l'exclusion de la perte du prix de vente, laquelle, compte tenu des éléments ci-dessus exposés, aurait pu être déplorée même en l'absence de faute du notaire ;
1°) ALORS QUE le notaire qui instrumente un acte de vente n'est tenu d'aucun devoir de conseil ou d'obligation envers les tiers dont il n'a pas à protéger les intérêts et qui ne disposent pas d'un droit opposable aux parties ; qu'en imputant à faute à M. Hubert Y... d'avoir remis le prix de vente à M. X... sans s'assurer que le Crédit Agricole avait une connaissance effective de la révocation de l'ordre de paiement que M. X... avait initialement donné au notaire au profit de la banque afin qu'elle puisse en contrecarrer les effets quand, en sa qualité d'officier ministériel, l'exposant n'était tenu d'aucune obligation notamment d'information et de conseil envers un tiers créancier qui ne justifiait d'aucun droit opposable aux parties, la cour d'appel a méconnu l'article 1382 (devenu 1240) du code civil ;
2°) ALORS QU'un mandataire dont le mandat, quoique stipulé irrévocable, peut toujours être révoqué par le mandant, n'est pas tenu d'informer les tiers d'une telle révocation ; qu'en se fondant, pour retenir un manquement de M. Y... à son obligation d'information envers le Crédit Agricole, en sa qualité de mandataire, sur l'irrévocabilité de l'ordre de paiement reçue de M. X... quand un mandataire ne commet aucune faute envers le tiers bénéficiaire en s'abstenant d'exécuter l'ordre révoqué sans s'assurer de la connaissance effective de la révocation par le tiers, la cour d'appel a violé l'article 2004 du code civil ;
3°) ALORS QU'en toute hypothèse, un tiers ne peut invoquer à son profit la responsabilité délictuelle de l'une des parties à un contrat qu'à charge pour lui d'établir qu'un manquement contractuel lui a causé un dommage ; qu'en retenant la responsabilité de M. Y... envers le Crédit Agricole, tiers au mandat existant entre M. X... et le notaire, sans caractériser l'existence d'une faute contractuelle commise par le notaire, dans ses rapports avec le mandant, qui aurait causé un dommage à l'établissement de crédit, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1382 (devenu 1240) du code civil ;
4°) ALORS QU'en toute hypothèse, seul un créancier muni d'un titre exécutoire constatant une créance liquide et exigible peut en poursuivre l'exécution forcée ; que, dans ses conclusions d'appel, M. Hubert Y... soulignait qu'à la date de la vente, soit le 10 décembre 2010, la créance du Crédit Agricole était incertaine car elle ne sera consacrée que par un jugement du 25 mai 2012 confirmé en appel par un arrêt du 11 septembre 2013 de sorte que la banque n'avait subi aucun préjudice (conclusions d'appel, page 6, antépénultième et pénultième al. ; page 7, al. 3 et 4 ; page 8, al. 5) ; qu'en retenant que la faute imputée au notaire avait privé la banque d'une chance de recouvrer sa créance en la privant de la possibilité « de mettre en place une procédure civile d'exécution » (arrêt page 4, al. 8) sans répondre aux conclusions susvisées qui établissaient l'impossibilité de mettre en oeuvre des mesures de recouvrement, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile."