La notification de la décision de préemption à l'acquéreur est-elle une condition de sa légalité ? (lundi, 05 juin 2017)

Selon cette décision de la cour administrative d'appel de Versailles, la notification de la décision de préemption à l'acquéreur n'est pas une condition de légalité de la décision de préemption elle-même.

On notera cependant que les juges annulent la décision de préemption en raison de l'absence d'un projet justifiant la préemption au moment de la décision de préemption a été prise.

"Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société Simober a demandé au Tribunal administratif de Versailles d'annuler la décision de préemption du maire de la commune de Brunoy en date du 12 juin 2014.

Par un jugement n° 1405350 du 13 avril 2015, le Tribunal administratif de Versailles a fait droit à la demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête, enregistrée le 1er juin 2015, et un mémoire en réplique enregistré le 15 février 2016, la COMMUNE DE BRUNOY, représentée par Me Burel, avocat, demande à la Cour :

1° d'annuler ce jugement ;

2° de rejeter la demande de la société Simober ;

3° de mettre à la charge de la société Simober le versement de la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

 


Elle soutient que :
- la notification de la décision de préemption à l'acquéreur évincé prévue par l'alinéa 5 de l'article L. 213-2 du code de l'urbanisme modifié par la loi n° 2014-366 du 24 mars 2014 n'est pas une condition de sa légalité ; la décision de préemption doit être réputée avoir été notifiée à l'acquéreur évincé dans des conditions de garantie équivalentes à celles prévues par les dispositions précitées et celles de l'article L. 2131-1 du code général des collectivités territoriales au plus tard le 25 juillet 2014 ; à cette date la décision de préemption était réputée exécutoire dans le délai de deux mois imparti ; au surplus l'absence de notification n'a privé la société d'aucune garantie ;
- un projet réel et d'intérêt général d'équipement collectif petite enfance que s'est fixé la commune il y a plusieurs années, justifie l'exercice du droit de préemption ; la décision est suffisamment motivée et fait clairement apparaître la nature du projet envisagé ; la société Simober a d'ailleurs proposé à la commune d'intégrer ce projet d'une crèche dans son propre projet.



Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code général des collectivités territoriales ;
- le code de l'urbanisme ;
- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Geffroy,
- les conclusions de Mme Ribeiro-Mengoli, rapporteur public,
- et les observations de Me Burel pour la COMMUNE DE BRUNOY.


1. Considérant que le maire de la COMMUNE DE BRUNOY, par une décision en date du 12 juin 2014, a décidé d'acquérir par préemption la parcelle cadastrée AP 273, située sur le territoire de la commune 9 rue de Cerçay, appartenant à l'association UNEDIC, pour un prix s'élevant à 1 300 000 euros ; que la COMMUNE DE BRUNOY demande l'annulation du jugement du 13 avril 2015 du Tribunal administratif de Versailles annulant ladite décision ;
2. Considérant qu'aux termes de l'article L. 213-2 du code de l'urbanisme dans sa version issue de la loi du 24 mars 2014 pour l'accès au logement et un urbanisme rénové : " Toute aliénation visée à l'article L. 213-1 est subordonnée, à peine de nullité, à une déclaration préalable faite par le propriétaire à la mairie de la commune où se trouve situé le bien. Cette déclaration comporte obligatoirement l'indication du prix et des conditions de l'aliénation projetée (...) Le silence du titulaire du droit de préemption pendant deux mois à compter de la réception de la déclaration mentionnée au premier alinéa vaut renonciation à l'exercice du droit de préemption. (...) Lorsqu'il envisage d'acquérir le bien, le titulaire du droit de préemption transmet sans délai copie de la déclaration d'intention d'aliéner au responsable départemental des services fiscaux. La décision du titulaire fait l'objet d'une publication. Elle est notifiée au vendeur, au notaire et, le cas échéant, à la personne mentionnée dans la déclaration d'intention d'aliéner qui avait l'intention d'acquérir le bien. Le notaire la transmet aux titulaires de droits d'emphytéose, d'habitation ou d'usage, aux personnes bénéficiaires de servitudes, aux fermiers et aux locataires mentionnés dans la déclaration d'intention d'aliéner. (...) " ;
3. Considérant que ces dispositions ne sauraient avoir pour objet ou pour effet d'instaurer une nouvelle condition de légalité de la décision de préemption tenant à la réception dans le délai de deux mois, à compter de la réception par la commune de la déclaration mentionnée au premier alinéa, de la notification de cette décision par l'acquéreur mentionné, le cas échéant, dans ladite déclaration d'intention d'aliéner ; que, par suite, la COMMUNE DE BRUNOY est fondée à soutenir que c'est à tort que les premiers juges après avoir constaté que la décision de préemption du 12 juin 2014 avait été reçue dans le délai de 2 mois par les services préfectoraux et l'UNEDIC, ont estimé qu'elle devait être annulée au motif qu'elle n'avait pas été notifiée à la société Simober en méconnaissance des dispositions de l'article L. 213-2 du code de l'urbanisme ;
4. Considérant, toutefois, qu'aux termes de l'article L. 210-1 du code de l'urbanisme : " Les droits de préemption institués par le présent titre sont exercés en vue de la réalisation, dans l'intérêt général, des actions ou opérations répondant aux objets définis à l'article L. 300-1, à l'exception de ceux visant à sauvegarder ou à mettre en valeur les espaces naturels, ou pour constituer des réserves foncières en vue de permettre la réalisation desdites actions ou opérations d'aménagement. (...) Toute décision de préemption doit mentionner l'objet pour lequel ce droit est exercé. (...) " ; qu'aux termes de l'article L. 300-1 du même code dans sa version applicable : " Les actions ou opérations d'aménagement ont pour objets de mettre en oeuvre un projet urbain, une politique locale de l'habitat, d'organiser le maintien, l'extension ou l'accueil des activités économiques, de favoriser le développement des loisirs et du tourisme, de réaliser des équipements collectifs ou des locaux de recherche ou d'enseignement supérieur, de lutter contre l'insalubrité et l'habitat indigne ou dangereux, de permettre le renouvellement urbain, de sauvegarder ou de mettre en valeur le patrimoine bâti ou non bâti et les espaces naturels. / L'aménagement, au sens du présent livre, désigne l'ensemble des actes des collectivités locales ou des établissements publics de coopération intercommunale qui visent, dans le cadre de leurs compétences, d'une part, à conduire ou à autoriser des actions ou des opérations définies dans l'alinéa précédent et, d'autre part, à assurer l'harmonisation de ces actions ou de ces opérations." ; qu'il résulte de ces dispositions que les collectivités titulaires du droit de préemption urbain peuvent légalement exercer ce droit, d'une part, si elles justifient, à la date à laquelle elles l'exercent, de la réalité d'un projet d'action ou d'opération d'aménagement répondant aux objets mentionnés à l'article L. 300-1 du code de l'urbanisme, alors même que les caractéristiques précises de ce projet n'auraient pas été définies à cette date, et, d'autre part, si elles font apparaître la nature de ce projet dans la décision de préemption ; qu'en outre, la mise en oeuvre de ce droit doit, eu égard notamment aux caractéristiques du bien faisant l'objet de l'opération ou au coût prévisible de cette dernière, répondre à un intérêt général suffisant ;
5. Considérant que la décision de préemption du 12 juin 2014 indique d'une part que
" la commune a constaté, dans son rapport préliminaire établi à l'occasion du lancement d'une délégation de service public, sur le site de la propriété Charrière le déficit d'une centaine de places d'accueil du jeune enfant et donc la nécessité de créer des places supplémentaires", d'autre part que la capacité de la propriété Charrière limitée à l'accueil de 40 berceaux ne comble pas les besoins réels de la commune et enfin que l'acquisition de bâtiments en parfait état et aux normes en matière d'accessibilité permettra " d'envisager la réalisation supplémentaire d'un équipement collectif dédié à la petite enfance pour un coût de réalisation moindre " ; que par ailleurs, la commune se borne à produire un rapport de mars 2013 préalable à une éventuelle délégation de service public pour la gestion d'un service d'accueil existant pour la petite enfance, un compte rendu d'une visite de contrôle du 20 janvier 2011 de cette structure par le département soulignant la nécessité d'une réfection extérieure du bâtiment et quatre permis de construire accordés pour la construction de logements entre 2010 et 2014 ; que ces éléments n'attestent pas de la réalité d'un projet d'un nouvel équipement public de la petite enfance à la date de la décision de préemption ; qu'ainsi la décision attaquée ne répond pas aux exigences des articles L. 210-1 et L. 300-1 du code de l'urbanisme ;

6. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que la COMMUNE DE BRUNOY n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que le Tribunal administratif de Versailles a, par le jugement attaqué, annulé la décision de préemption du 12 juin 2014 ;

Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

7. Considérant que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de la société Simober, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que la COMMUNE DE BRUNOY demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens ; qu'il y a lieu, en revanche, de faire application de ces dispositions et de mettre à la charge de cette dernière une somme de
2 000 euros au titre des frais exposés par la société Simober et non compris dans les dépens ;
DECIDE :
Article 1er : La requête de la COMMUNE DE BRUNOY est rejetée.
Article 2 : La COMMUNE DE BRUNOY versera à la société Simober la somme de 2 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative."