Astreinte et droit de passage, qui doit prouver quoi ? (samedi, 07 janvier 2017)
Un propriétaire est condamné à enlever les entraves à la libre circulation sur un passage grevé de servitude et comme il ne le fait pas le bénéficiaire de la servitude demande la liquidation de l'astreinte qui a été prononcée pour le contraindre à le faire. A qui incombe la charge de la preuve ?
Il est jugé que la charge de la preuve de l'exécution d'une obligation de faire assortie d'une astreinte pèse sur le débiteur de l'obligation, soit le voisin qui a été condamné à libérer le passage.
"Attendu, selon l'arrêt attaqué, que dans le cadre d'un litige de voisinage relatif à un droit de passage opposant M. X... aux époux Y..., la cour d'appel de Saint-Denis a, par arrêt devenu irrévocable du 13 avril 2007, condamné les époux Y... à enlever les entraves à la libre circulation sur un passage grevé de servitude et à ne pas entraver à l'avenir ladite servitude ; que par arrêt confirmatif du 6 mai 2011, la cour d'appel de Saint-Denis a accueilli la demande de M. X... de voir cette décision assortie d'une astreinte ; que M. X... a ensuite saisi le juge de l'exécution en liquidation de l'astreinte provisoire et en fixation d'une astreinte définitive ;
Sur le premier moyen, pris en sa deuxième branche :
Vu l'article 1315 du code de procédure civile ;
Attendu que pour rejeter les demandes de M. X..., l'arrêt retient que l'obligation mise à la charge des époux Y... ayant été de ne pas entraver la libre circulation sur le chemin de desserte de la parcelle de M. X..., c'était à ce dernier de rapporter la preuve de l'inexécution par les époux Y... de leur obligation et plus précisément qu'il ne pouvait accéder à son terrain ;
Qu'en statuant ainsi, alors que la charge de la preuve de l'exécution d'une obligation de faire assortie d'une astreinte pèse sur le débiteur de l'obligation, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;
Et sur le second moyen, pris en sa première branche :
Attendu que la cassation intervenue sur le premier moyen entraîne, par voie de conséquence, la cassation sur le second en application de l'article 625 du code de procédure civile ;
PAR CES MOTIFS, sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs du pourvoi :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 12 juillet 2013, entre les parties, par la cour d'appel de Saint-Denis de la Réunion ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Saint-Denis de la Réunion, autrement composée ;
Condamne les époux Y... aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, condamne les époux Y... à payer à M. X... la somme globale de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du dix-neuf février deux mille quinze.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt.
Moyens produits par la SCP Delvolvé, avocat aux Conseils, pour M. X....
PREMIER MOYEN DE CASSATION
IL EST FAIT GRIEF A L'ARRET ATTAQUE D'AVOIR infirmé le jugement entrepris en ce qu'il avait liquidé l'astreinte provisoire mise à la charge des époux Y... à 4. 500 € et fixé une astreinte définitive de 100 € par jour de retard pendant un mois et, statuant à nouveau, d'avoir débouté M. X... de toutes ses demandes,
AUX MOTIFS QUE l'obligation mise à la charge de M. et Mme Y... ayant été de ne pas entraver la libre circulation sur le chemin de desserte de la parcelle de M. X..., c'était à M. X... de rapporter la preuve de l'inexécution par M. et Mme Y... de leur obligation et plus précisément qu'il ne pouvait accéder à son terrain ; qu'il était vain et parfaitement inutile pour les époux Y... de contester l'arrêt définitif de la cour du 13 avril 2007 qui avait octroyé à M. X..., pour accéder à sa parcelle AV 626, un passage sur 16, 50 mètres sur leur propriété AV 471 en prolongement du chemin de servitude ; qu'ils n'avaient d'autre choix que de se soumettre à cette décision ; que cependant, M. X... ne justifiait pas de ce que le passage, qui lui était incontestablement dû en application de l'arrêt définitif du 13 avril 2007, était entravé par un obstacle et qu'il ne pouvait toujours pas utiliser le passage sur le prolongement du chemin de servitude sur la propriété AV 471 pour accéder à sa parcelle AV 626 ; que les seuls documents qu'il produisait et qui étaient des attestations qui dataient de 2008 étaient insuffisantes à établir le non-respect actuel par M. et Mme Y... de l'obligation mise à leur charge ; que par ailleurs ces attestations évoquaient la présence d'un véhicule 4X4 qui empêchait le passage, dont il n'était pas établi qu'il fût toujours là quatre ans plus tard, et d'un portail à 13 mètres au lieu de 16, 50 mètres dont ils ne précisaient pas même qu'il était verrouillé,
ALORS, D'UNE PART, QUE les juges ne peuvent dénaturer les termes du litige qui leur sont soumis ; qu'en l'espèce, selon les termes clairs et précis de l'arrêt définitif de la Cour d'appel de SAINT-DENIS du 13 avril 2007 qui a consacré les obligations assorties de l'astreinte litigieuse, les époux Y... ont été condamnés « à enlever toute entrave à la libre circulation de la servitude dans le délai d'un mois à compter de la signification du présent arrêt et à n'entraver en aucune manière que ce soit ladite servitude » ; que les époux Y... ont donc reçu injonction, d'une part, d'enlever les obstacles existants et, d'autre part, de ne pas placer de nouvelle entrave à l'exercice de la servitude de passage ; qu'en retenant néanmoins que l'obligation mise à la charge des époux Y... était de ne pas entraver la libre circulation sur le chemin litigieux, la cour d'appel a dénaturé cette décision et violé les articles 4 et 5 du code de procédure civile,
ALORS, D'AUTRE PART, QUE lorsqu'une astreinte assortit une décision de condamnation à une obligation de faire, il incombe au débiteur condamné de rapporter la preuve de l'exécution conforme, dans le délai imparti, de cette obligation ; qu'en l'espèce, les époux Y... ont été condamnés sous astreinte à enlever toute entrave à l'exercice de la servitude de passage grevant leur fonds au profit de la propriété X..., en particulier le portail installé sur l'assiette de cette servitude ; que cette obligation constitue une obligation de faire dont la preuve de l'exécution incombait aux débiteurs ; qu'en retenant néanmoins que M. X... n'avait pas démontré son inexécution, la cour d'appel a inversé la charge de la preuve et violé l'article 1315 du code civil,
ALORS, ENFIN, QUE le juge saisi d'une demande de liquidation d'astreinte ne peut refuser d'y procéder sans constater l'exécution, conforme et dans les délais impartis, par le débiteur de l'injonction assortie de l'astreinte ; qu'en l'espèce, en se bornant à retenir qu'il n'était pas démontré que l'obligation des époux Y... demeurât inexécutée à la date de sa propre décision, sans rechercher si les époux Y... justifiaient de l'exécution conforme et dans les délais impartis, à savoir le 13 juillet 2009 au plus tard, de leurs obligations assorties de l'astreinte litigieuse, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 36 de la loi du 9 juillet 1991 portant réforme des procédures civiles d'exécution, devenu l'article L. 131-4 du code des procédures civiles d'exécution.
SECOND MOYEN DE CASSATION
IL EST FAIT GRIEF A L'ARRET ATTAQUE D'AVOIR condamné M. X... à verser à M. et Mme Y... la somme de 1. 000 euros à titre de dommages et intérêts en raison du caractère abusif de la demande de liquidation d'astreinte,
AUX MOTIFS QUE le caractère abusif de la demande de M. X... était avéré dans la mesure où il avait saisi le juge de l'exécution d'une demande sans aucun fondement,
ALORS QUE la cassation prononcée sur le premier moyen de cassation entraînera par voie de conséquence la cassation sur le second moyen de cassation,
ALORS, EN TOUT ETAT DE CAUSE, QUE les juges ne peuvent faire droit à une demande fondée sur le caractère abusif de la procédure sans caractériser un exercice du droit d'agir en justice ayant dégénéré en abus ; qu'en l'espèce, en se bornant à relever l'absence de fondement de la demande de M. X..., sans caractériser de faute qui aurait fait dégénérer en abus le droit de M. X... d'agir en liquidation d'une astreinte précédemment fixée à son profit, la cour d'appel a violé l'article 1382 du code civil."