Notion de servitude par destination du père de famille (jeudi, 07 juillet 2016)
Voici un arrêt qui retient l'existence d'une servitude de passage de canalisation sur le terrain vendu par un propriétaire, au profit de celui-ci, en considérant qu'il s'agit d'une servitude par destination du père de famille.
"Vu les articles 693 et 694 du code civil ;
Attendu, selon le premier de ces textes, qu'il n'y a destination du père de famille que lorsqu'il est prouvé que les deux fonds actuellement divisés ont appartenu au même propriétaire et que c'est par lui que les choses ont été mises dans l'état duquel résulte la servitude ; que, selon le second, si le propriétaire de deux héritages entre lesquels il existe un signe apparent de servitude dispose de l'un des héritages sans que le contrat contienne aucune convention relative à la servitude, elle continue d'exister activement ou passivement en faveur du fonds aliéné ou sur le fonds aliéné ;
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Poitiers, 18 juin 2014), que, par acte du 21 mai 2010, M. X... a, en restant propriétaire de parcelles attenantes, vendu à la SCI du Moulin du Vicomte (la SCI) un tènement immobilier ; que la SCI, prétendant avoir découvert, postérieurement à la vente, l'existence d'une canalisation permettant de relier, à travers son fonds, les parcelles de M. X... au réseau public d'évacuation des eaux usées, a assigné ce dernier en dénégation de servitude et en enlèvement de la canalisation ;
Attendu que, pour accueillir ces demandes, l'arrêt constate que le fonds divisé ne constitue pas un fonds unique puisque les parcelles vendues sont parfaitement individualisées par rapport à celles conservées et que la servitude revendiquée n'est pas apparente puisque la canalisation d'évacuation des eaux usées est enterrée et retient que M. X... a déclaré expressément, dans l'acte de vente, qu'il n'avait créé ni laissé acquérir aucune servitude et que, dans ces conditions, il ne peut pas revendiquer une servitude qu'il a lui-même créée et dont il a nié l'existence ;
Qu'en statuant ainsi, sans constater l'absence de signe apparent de servitude au moment de la division du fonds et alors qu'il résultait de ses constatations que l'acte de vente, qui portait division d'un fonds appartenant à un seul propriétaire, ne comportait pas une stipulation contraire à l'existence de la servitude, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
PAR CES MOTIFS :
CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il a débouté la SCI du Moulin du Vicomte de sa demande de dommages-intérêts, l'arrêt rendu le 18 juin 2014, entre les parties, par la cour d'appel de Poitiers ; remet, en conséquence, sur ce point, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Bordeaux ;
Condamne la SCI du Moulin du Vicomte aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande de la SCI du Moulin du Vicomte et la condamne à payer à M. X... la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du trente et un mars deux mille seize.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt
Moyen produit par la SCP Capron, avocat aux Conseils, pour M. X...
Le pourvoi fait grief à l'arrêt infirmatif attaqué D'AVOIR dit et jugé que M. Nicolas X... ne dispose d'aucune servitude de passage, conventionnelle ou légale, sur le fonds appartenant à la société civile immobilière du Moulin du Vicomte et D'AVOIR, en conséquence, ordonné l'enlèvement de la canalisation d'évacuation des eaux usées aux frais de M. Nicolas X..., sous une astreinte de 150 euros par jour de retard, à compter du 60ème jour suivant sa signification et pendant six mois ;
AUX MOTIFS QUE « le lieu du litige se situe à Thouars, département des Deux-Sèvres, lieuxdits le Vicomte et 8, rue de l'Abreuvoir ; que selon acte reçu le 21 mai 2010 par la Scp Cagniart-Roy, notaires associés à Airvault, M. X... a vendu à la Sci du Moulin du Vicomte une maison d'habitation, un barrage avec retenue et système de vannes et un bâtiment avec terrain, le tout cadastré section BO numéros 114, 131, 132, 133 et 194, d'une contenance totale de 16 a 60 ca ; que M. X... est resté propriétaire de la parcelle attenante cadastrée section BO n° 218 sur laquelle il a fait édifier un immeuble à usage d'habitation et de la parcelle n° 196 sur laquelle a été constitué au profit de l'immeuble acquis par la Sci du Moulin du Vicomte une servitude de passage en surface en tous temps et heures et avec tous véhicules et en tréfonds pour permettre le passage dans le sol de tous réseaux ; que l'acte de vente précisait encore que le vendeur n'avait " créé et ni laissé acquérir aucune servitude et qu'à sa connaissance il n'existait pas, à l'exception de celles rapportées ci-après, d'autre servitude que celle résultant de la situation naturelle des lieux, de la loi, des règlements d'urbanisme " soit, outre la servitude précédemment rappelée, la constitution par acte authentique d'une servitude pour la pose de canalisations publiques d'évacuation d'eaux usées ou pluviales au profit du district urbain de Thouars./ Attendu que la société du Moulin expose qu'après la prise de possession du fonds acquis, elle a découvert l'existence d'une servitude non révélée avant la vente et non contenue dans l'acte authentique soit une canalisation permettant de relier le logement de M. X... au réseau public d'évacuation des eaux usées à travers la parcelle n° 114 acquise par la Sci du Moulin du Vicomte et que l'existence de la servitude n'a été révélée qu'à l'occasion d'importants travaux d'élagage et de défrichement par une entreprise professionnelle./ Attendu que sur assignation délivrée à la requête de M. X... et par ordonnance du 10 mai 2011, le juge des référés a condamné la Sci du Moulin du Vicomte à mettre fin à tous agissements tendant à obstruer l'écoulement normal des eaux usées provenant de la canalisation traversant son fonds et en provenance de la propriété de M. X..../ Attendu que les premiers juges ont considéré que l'acte de vente du 21 mai 2010 faisait obligation pour l'acquéreur de supporter les servitudes passives, apparentes ou non, continue et discontinue et qu'en raison de l'existence de signes apparents de servitude entre les deux fonds et en l'absence de volonté manifestée contraire au maintien de cette servitude lors de l'acte signé par les parties, M. X... invoquait à bon droit une destination du père de famille valant titre à l'égard de la servitude d'écoulement des eaux usées établies pour l'usage du bâtiment situé sur sa propriété./ Attendu que l'appelante critique le jugement entrepris en faisant valoir qu'en considération de ses propres affirmations écrites dans l'acte authentique, M. X... est irrecevable à revendiquer une servitude qu'il a lui-même créée et dont il a nié l'existence lors de la signature de l'acte de vente et qu'il ne peut pas se prévaloir de la destination du père de famille alors même qu'il a créé cette servitude sur deux fonds préexistants au moment de la création de la servitude./ Attendu que la Sci du Moulin du Vicomte rappelle qu'au moment de l'acquisition, le tuyau et le regard étaient inaccessibles en raison de l'état du terrain et de la nécessité d'un nettoyage et d'un débroussaillage pendant 18 heures pour un terrain d'environ 1 600 m ² et qu'il a fallu enlever toute la végétation pour découvrir le regard litigieux ; qu'elle souligne encore que dans le constat dressé par Me Moureau, huissier de justice à Mauléon, M. X... a indiqué que mention de cette servitude avait été omise dans l'acte de vente ce qui confirme que la visibilité de cette servitude était loin d'être établie./ Attendu qu'il est certain que dans l'acte de vente, M. X... a déclaré expressément qu'il n'avait créé ni laissé acquérir aucune servitude autre que celle consentie au profit du district urbain de Thouars et de l'acquéreur et que dans ces conditions il ne peut pas revendiquer une servitude qu'il a lui-même créée et dont il a nié l'existence dans l'acte notarié de vente ; que la clause obligeant l'acquéreur à supporter les servitudes passives apparentes ou non apparentes continues ou discontinues ne concerne que celles résultant de loi ou de conventions mais que tel n'est pas le cas puisque M. X..., auteur de la servitude, a soutenu dans l'acte authentique de vente qu'il n'avait jamais créée de servitude./ Attendu qu'il en résulte que l'acte authentique de vente ne mentionne l'existence que de deux servitudes, l'une au profit du fonds numéro 114 acquis par la Sci du Moulin du Vicomte et au détriment de la parcelle n° 196 conservée par M. X..., et l'autre au profit du district urbain de Thouars ; que la servitude revendiquée par M ; X... n'est ni légale ni conventionnelle et que les servitudes continues non apparentes et les servitudes discontinues apparentes ou non apparentes, comme c'est le cas en l'espèce, ne peuvent s'établir que par titres ; qu'en l'espèce s'il s'agit d'une servitude continue non apparente et que même en retenant la qualification d'une servitude discontinue et non apparente l'exigence d'un titre serait maintenue./ Attendu en outre que la servitude par destination du père de famille doit être continue et apparente, ce qui n'est pas le cas en l'espèce puisque la canalisation d'évacuation des eaux usées est enterrée et que M. X... ne peut pas se prévaloir de l'article 692 du code civil dans la mesure où il a volontairement omis de signaler l'existence de cette canalisation dont il avait forcément connaissance puisqu'elle dessert son habitation ; qu'en outre il n'a pas procédé au partage de son patrimoine puisque les parcelles vendues étaient parfaitement individualisées par rapport à celles dont il conserve la propriété et que l'ensemble, tel qu'il se présentait avant la vente à la Sci du Moulin du Vicomte, ne constituait pas un fonds unique./ Attendu qu'à l'évidence M. X... ne peut pas se prévaloir de la protection possessoire./ Attendu en conséquence qu'il convient de faire droit à la demande principale de l'appelante et d'ordonner l'enlèvement de la canalisation litigieuse aux frais de M. X... sous astreinte conformément au dispositif ci-après mais que la Sci du Moulin du Vicomte ne justifie pas d'un préjudice ouvrant droit à dommages-intérêts complémentaires dès lors que la suppression de la canalisation litigieuse suffira à réparer et mettre fin au trouble allégué » (cf., arrêt attaqué, p. 3 à 5) ;
ALORS QUE, de première part, en disant et en jugeant que M. Nicolas X... ne dispose d'aucune servitude de passage légale sur le fonds appartenant à la société civile immobilière du Moulin du Vicomte, sans motiver, d'une quelconque manière, sa décision quant à l'absence de servitude de passage légale, et, notamment, quant à l'absence de servitude de passage résultant de l'application des dispositions des articles 682 et suivants du code civil, existant sur le fonds appartenant à la société civile immobilière du Moulin du Vicomte au profit du fonds appartenant à M. Nicolas X..., la cour d'appel a entaché sa décision d'un défaut de motifs, en violation des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile ;
ALORS QUE, de deuxième part, la destination du père de famille vaut titre à l'égard d'une servitude continue lorsqu'existent, lors de la division du fonds, des signes apparents de la servitude, sans qu'importent les stipulations de l'acte de division quant au maintien de la servitude ; que si, en principe, les servitudes d'écoulement des eaux usées ont un caractère discontinu, les parties peuvent en stipuler autrement ; qu'en se fondant, par conséquent, sur les stipulations de l'acte de vente conclu entre M. Nicolas X... et la société civile immobilière du Moulin du Vicomte, par lesquelles M. Nicolas X... avait déclaré qu'il n'avait créé, ni laissé acquérir aucune servitude autre que celles consenties au profit du district urbain de Thouars et de l'acquéreur, et selon lesquelles seule l'existence de ces deux servitudes était mentionnée et en énonçant que M. Nicolas X... ne pouvait se prévaloir des dispositions de l'article 692 du code civil dans la mesure où il a volontairement omis de signaler l'existence de la canalisation litigieuse dont il avait forcément connaissance puisqu'elle dessert son habitation, pour dire et juger que M. Nicolas X... ne dispose d'aucune servitude de passage conventionnelle sur le fonds appartenant à la société civile immobilière du Moulin du Vicomte, sans rechercher, ainsi qu'elle y avait été invitée par M. Nicolas X..., si ce dernier et la société civile immobilière du Moulin du Vicomte n'étaient pas convenues, dans l'acte de vente qu'elles ont conclu le 21 mai 2010, que les conduites d'eau et les égouts constituaient des servitudes continues, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des dispositions de l'article 692 du code civil ;
ALORS QUE, de troisième part et à titre subsidiaire, la destination du père de famille vaut titre à l'égard d'une servitude lorsqu'existent, lors de la division du fonds, des signes apparents de la servitude et que l'acte de division ne contient aucune stipulation contraire à son maintien ; que la clause de style, aux termes de laquelle l'ancien propriétaire du fonds servant n'a créé ni laissé acquérir aucune servitude et qu'à sa connaissance, il n'existe pas d'autres servitudes que celles résultant de la situation naturelle des lieux, de la loi ou des règlements d'urbanisme, ne constitue pas une stipulation contraire au maintien de la servitude résultant de l'aménagement établi par ce propriétaire ou son auteur ; qu'en se fondant, par conséquent, sur les stipulations de l'acte de vente conclu entre M. Nicolas X... et la société civile immobilière du Moulin du Vicomte, par lesquelles M. Nicolas X... avait déclaré qu'il n'avait créé, ni laissé acquérir aucune servitude autre que celles consenties au profit du district urbain de Thouars et de l'acquéreur, pour dire et juger que M. Nicolas X... ne dispose d'aucune servitude de passage conventionnelle sur le fonds appartenant à la société civile immobilière du Moulin du Vicomte, quand les stipulations de l'acte de vente conclu entre M. Nicolas X... et la société civile immobilière du Moulin du Vicomte sur lesquelles elle s'est fondée constituaient une clause de style, qui ne pouvait s'analyser en une stipulation contraire au maintien de la servitude litigieuse, que celle-ci soit regardée comme présentant un caractère continu ou discontinu, la cour d'appel a violé les dispositions de l'article 694 du code civil ;
ALORS QUE, de quatrième part et à titre subsidiaire, la destination du père de famille vaut titre à l'égard d'une servitude lorsqu'existent, lors de la division du fonds, des signes apparents de la servitude et que l'acte de division ne contient aucune stipulation contraire à son maintien ; que l'absence de mention dans l'acte de division de la servitude ne constitue pas une stipulation contraire à son maintien ; qu'en énonçant, dès lors, pour dire et juger que M. Nicolas X... ne dispose d'aucune servitude de passage conventionnelle sur le fonds appartenant à la société civile immobilière du Moulin du Vicomte, que seule l'existence des servitudes consenties au profit du district urbain de Thouars et de l'acquéreur était mentionnée dans l'acte de vente conclu entre M. Nicolas X... et la société civile immobilière du Moulin du Vicomte et que M. Nicolas X... ne pouvait se prévaloir des dispositions de l'article 692 du code civil dans la mesure où il a volontairement omis de signaler l'existence de la canalisation litigieuse dont il avait forcément connaissance puisqu'elle dessert son habitation, la cour d'appel a violé les dispositions de l'article 694 du code civil ;
ALORS QUE, de cinquième part, c'est à la date de division du fonds qu'il convient d'apprécier, pour déterminer s'il existe une servitude par destination du père de famille, l'existence de signes apparents de la servitude ; qu'en se bornant à énoncer, pour considérer que la servitude invoquée par M. Nicolas X... n'était pas apparente et pour, en conséquence, dire et juger que M. Nicolas X... ne dispose d'aucune servitude de passage conventionnelle sur le fonds appartenant à la société civile immobilière du Moulin du Vicomte, que la canalisation d'évacuation des eaux usées est enterrée, sans constater l'absence de signes apparents de la servitude à la date de la division du fonds qui appartenait à M. Nicolas X..., la cour d'appel a violé les dispositions des articles 692 et 694 du code civil ;
ALORS QUE, de sixième part, M. Nicolas X... a fait valoir, dans ses conclusions d'appel, en produisant, notamment, à l'appui de ses prétentions un constat d'huissier, qu'il existait des signes apparents, à la date de la division de son fonds, de la servitude qu'il invoquait, dès lors qu'était alors visible un tuyau vertical d'évacuation sortant d'un mur surplombant de plusieurs mètres le fonds acquis par la société civile immobilière du Moulin du Vicomte et s'enfonçant dans le sol de ce fonds avec un regard en direction du raccordement au réseau public d'assainissement ; qu'en laissant sans réponse ce moyen, qui était péremptoire, la cour d'appel a entaché sa décision d'un défaut de réponse à conclusions, en violation des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile ;
ALORS QUE, de septième part, l'établissement d'une servitude par destination du père de famille est subordonné à la condition que les deux fonds actuellement divisés ont appartenu au même propriétaire, et non à celle que ces deux fonds constituaient, avant leur division, un fonds unique ; qu'en énonçant, dès lors, pour dire et juger que M. Nicolas X... ne dispose d'aucune servitude de passage conventionnelle sur le fonds appartenant à la société civile immobilière du Moulin du Vicomte, que M. Nicolas X... n'a pas procédé au partage de son patrimoine puisque les parcelles vendues étaient parfaitement individualisées par rapport à celles dont il conserve la propriété et que l'ensemble, tel qu'il se présentait avant la vente à la société civile immobilière du Moulin du Vicomte, ne constituait pas un fonds unique, la cour d'appel a violé les dispositions de l'article 693 du code civil."