Permis de construire illégal et responsabilité de la commune et de l'Etat (jeudi, 14 mai 2015)
Voici un arrêt qui retient la responsabilité partagée de la commune et de l'Etat à l'occasion de la délivrance illégale d'un permis :
"Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure
La société Masarin a demandé au tribunal administratif de Rennes de condamner la commune de Crozon (Finistère) à lui verser une indemnité de 125 000 euros en réparation du préjudice qu'elle affirme avoir subi du fait de décisions d'urbanisme illégales. Par un jugement n° 0702866 du 9 juin 2011, le tribunal administratif de Rennes a condamné la commune de Crozon à verser à cette société une somme de 55 780,13 euros à titre de dommages et intérêts, a condamné l'Etat à garantir la commune de Crozon à concurrence de la moitié de cette somme et a rejeté le surplus des conclusions de la demande.
Par un arrêt n° 11NT02173 du 18 janvier 2013, la cour administrative d'appel de Nantes a rejeté l'appel formé par le ministre de l'écologie, du développement durable, des transports et du logement contre ce jugement ainsi que les conclusions présentées par la commune de Crozon et par la société Masarin par la voie de l'appel incident et de l'appel provoqué.
Procédure devant le Conseil d'Etat
Par un pourvoi, enregistré le 25 mars 2013 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le ministre de l'égalité des territoires et du logement demande au Conseil d'Etat d'annuler cet arrêt de la cour administrative d'appel de Nantes du 18 janvier 2013.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code de l'urbanisme ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Denis Rapone, conseiller d'Etat,
- les conclusions de M. Alexandre Lallet, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Rocheteau, Uzan-Sarano, avocat de la commune de Crozon et à la SCP de Chaisemartin, Courjon, avocat de la société Masarin ;
1. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que, par actes authentiques du 18 août 1998, la société Masarin a acquis deux terrains situés à Crozon, au lieu-dit " Kervéron " ; que ces terrains avaient été classés en zone 1NAc du plan d'occupation des sols de la commune, correspondant à une zone constructible, à la suite de la révision de ce document d'urbanisme approuvée par délibération du conseil municipal de Crozon du 6 mai 1998, après que le préfet du Finistère, sollicité sur le fondement des dispositions du II de l'article L. 146-4 du code de l'urbanisme, eut donné son accord à l'extension de l'urbanisation dans le secteur de Kervéron le 14 janvier 1997 ; que le maire de la commune a, par arrêté du 25 octobre 1999, accordé à la société Masarin un permis de construire portant sur l'édification d'une maison d'habitation ; qu'en raison d'une modification du plan d'occupation des sols approuvée le 21 juillet 2000 et classant les mêmes parcelles en zone 2NAc correspondant à une zone constructible mais avec un coefficient d'occupation des sols différent, la société Masarin a sollicité un nouveau permis de construire pour la réalisation d'une maison d'habitation, qu'elle a obtenu le 6 septembre 2000 ; que, par un jugement du tribunal administratif de Rennes du 8 février 2001, confirmé par un arrêt de la cour administrative d'appel de Nantes du 25 mars 2003, le permis de construire du 6 septembre 2000 a été annulé pour avoir été accordé en méconnaissance des dispositions du I de l'article L. 146-4 du code de l'urbanisme ; que la société Masarin a saisi le maire de la commune, le 14 décembre 2006, d'une demande de réparation du préjudice qu'elle estimait avoir subi du fait de décisions d'urbanisme illégales ; que, par un jugement du 9 juin 2011, le tribunal administratif de Rennes a fait partiellement droit à la demande de la société Masarin en condamnant la commune de Crozon à lui verser une somme de 55 780,13 euros à titre de dommages et intérêts et a, à la demande de la commune, condamné l'Etat à la garantir pour moitié des sommes mises à sa charge ; que, par un arrêt du 18 janvier 2013, la cour administrative d'appel de Nantes a rejeté l'appel formé contre ce jugement par le ministre de l'égalité des territoires et du logement, ainsi que les appels incident et provoqués de la commune de Crozon et de la société Masarin ;
Sur le pourvoi du ministre de l'égalité des territoires et du logement :
2. Considérant que le ministre doit être regardé comme demandant l'annulation de l'arrêt de la cour administrative d'appel de Nantes en tant que, rejetant son appel, il confirme la condamnation de l'Etat à garantir la commune de Crozon à hauteur de la moitié de la somme de 55 780,13 euros mise à la charge de cette dernière ;
3. Considérant que la responsabilité d'une personne publique n'est susceptible d'être engagée que s'il existe un lien de causalité suffisamment direct entre les fautes qu'elle a commises et le préjudice subi par la victime ; que la cour a relevé que la commune de Crozon avait classé les terrains litigieux en zone constructible par une délibération de son conseil municipal du 6 mai 1998 approuvant la modification de son plan d'occupation des sols, après accord donné par le préfet du Finistère à l'extension de l'urbanisation dans le secteur de Kervéron, en méconnaissance des dispositions du I de l'article L. 146-4 du code de l'urbanisme qui limitent l'extension de l'urbanisation dans les communes littorales ; qu'elle en a déduit que la société Masarin avait, lors de l'acquisition des parcelles le 18 août 1998, une assurance suffisante, donnée par la commune et par l'Etat, de leur constructibilité tant au regard du plan d'occupation des sols que de l'article L. 146-4 du code de l'urbanisme et que le préjudice résultant pour la société de la différence entre le prix d'acquisition des terrains et leur valeur réelle trouvait son origine directe non dans les actes de cession de ces terrains, mais dans la modification illégale du plan d'occupation des sols de la commune ; qu'en retenant ainsi l'existence d'un lien de causalité directe entre les illégalités commises par l'administration et le préjudice subi par la société Masarin, alors même qu'elle relevait par ailleurs que les actes de cession n'avaient été assortis d'aucune condition suspensive ou résolutoire, la cour administrative d'appel de Nantes a exactement qualifié les faits qui lui étaient soumis ;
Sur les conclusions de la commune de Crozon :
4. Considérant, d'une part, que, dans son mémoire en défense, la commune de Crozon demande l'annulation de l'arrêt de la cour en tant qu'il confirme sa condamnation à indemniser la société Masarin ; que de telles conclusions ne peuvent être regardées que comme un pourvoi provoqué ; que, dès lors que le pourvoi du ministre est rejeté, les obligations résultant pour la commune de l'arrêt attaqué ne peuvent s'en trouver aggravées ; qu'ainsi, le pourvoi provoqué de la commune doit être rejeté ;
5. Considérant, d'autre part, que pour rejeter les conclusions incidentes de la commune tendant à voir condamner l'Etat à la garantir intégralement de toute condamnation prononcée contre elle, la cour a relevé que la commune avait souhaité, dans le cadre de la modification de son plan d'occupation des sols, rendre constructible le secteur de Kervéron et que l'Etat, dont le représentant avait été sollicité sur le fondement des dispositions du II de l'article L. 146-4 du code de l'urbanisme et ne s'y était pas opposé, ne pouvait être regardé comme unique responsable de l'illégalité de la modification du plan d'occupation des sols ; qu'en statuant ainsi, par un arrêt qui est suffisamment motivé, la cour n'a pas commis d'erreur de droit et a souverainement apprécié, sans les dénaturer, les faits de l'espèce ; qu'ainsi, le pourvoi incident présenté à titre subsidiaire par la commune doit être rejeté ;
Sur les conclusions présentées au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
6. Considérant que ces dispositions font obstacle à ce qu'il soit fait droit aux conclusions de la commune de Crozon présentées à ce titre ; qu'en revanche, il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat et de la commune de Crozon une somme globale de 3 000 euros à verser à parts égales à la société Masarin au même titre ;
D E C I D E :
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Article 1er : Le pourvoi du ministre de l'égalité des territoires et du logement est rejeté.
Article 2 : Les conclusions de la commune de Crozon sont rejetées.
Article 3 : L'Etat et la commune de Crozon verseront à la société Masarin une somme globale de 3 000 euros, à parts égales, au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à la ministre du logement, de l'égalité des territoires et de la ruralité, à la commune de Crozon et à la société Masarin.
Analyse
Abstrats : 60-02 RESPONSABILITÉ DE LA PUISSANCE PUBLIQUE. RESPONSABILITÉ EN RAISON DES DIFFÉRENTES ACTIVITÉS DES SERVICES PUBLICS. - POLICE DE L'URBANISME - CLASSEMENT ILLÉGAL D'UN TERRAIN EN ZONE CONSTRUCTIVE - PRÉJUDICE RÉSULTANT, POUR L'ACQUÉREUR, DE LA DIFFÉRENCE ENTRE LE PRIX D'ACHAT DE CES TERRAINS ET LEUR VALEUR RÉELLE - EXISTENCE D'UN LIEN DIRECT [RJ1].
60-04-01-03-02 RESPONSABILITÉ DE LA PUISSANCE PUBLIQUE. RÉPARATION. PRÉJUDICE. CARACTÈRE DIRECT DU PRÉJUDICE. EXISTENCE. - CLASSEMENT ILLÉGAL D'UN TERRAIN EN ZONE CONSTRUCTIVE - PRÉJUDICE RÉSULTANT, POUR L'ACQUÉREUR, DE LA DIFFÉRENCE ENTRE LE PRIX D'ACHAT DE CES TERRAINS ET LEUR VALEUR RÉELLE - EXISTENCE D'UN LIEN DIRECT [RJ1].
Résumé : 60-02 Après qu'une commune a classé un terrain en zone constructible par une délibération contraire à l'article L. 146-4 du code de l'urbanisme (loi littoral), ce terrain a été acquis par une personne qui a obtenu un permis de construire. Annulation du permis de construire pour avoir été accordé en méconnaissance des dispositions de l'article L. 146-4 du code de l'urbanisme.... ,,La cour administrative d'appel a jugé que l'acquéreur avait, lors de l'acquisition des parcelles, une assurance suffisante, donnée par la commune et par l'Etat, de leur constructibilité tant au regard du plan d'occupation des sols que de l'article L. 146-4 du code de l'urbanisme et que le préjudice résultant pour la société de la différence entre le prix d'acquisition des terrains et leur valeur réelle trouvait son origine directe non dans les actes de cession de ces terrains, mais dans la modification illégale du plan d'occupation des sols de la commune. En retenant ainsi l'existence d'un lien de causalité directe entre les illégalités commises par l'administration et le préjudice subi par l'acquéreur, alors même qu'elle relevait par ailleurs que les actes de cession n'avaient été assortis d'aucune condition suspensive ou résolutoire, la cour administrative d'appel a exactement qualifié les faits qui lui étaient soumis.
60-04-01-03-02 Après qu'une commune a classé un terrain en zone constructible par une délibération contraire à l'article L. 146-4 du code de l'urbanisme (loi littoral), ce terrain a été acquis par une personne qui a obtenu un permis de construire. Annulation du permis de construire pour avoir été accordé en méconnaissance des dispositions de l'article L. 146-4 du code de l'urbanisme.... ,,La cour administrative d'appel a jugé que l'acquéreur avait, lors de l'acquisition des parcelles, une assurance suffisante, donnée par la commune et par l'Etat, de leur constructibilité tant au regard du plan d'occupation des sols que de l'article L. 146-4 du code de l'urbanisme et que le préjudice résultant pour la société de la différence entre le prix d'acquisition des terrains et leur valeur réelle trouvait son origine directe non dans les actes de cession de ces terrains, mais dans la modification illégale du plan d'occupation des sols de la commune. En retenant ainsi l'existence d'un lien de causalité directe entre les illégalités commises par l'administration et le préjudice subi par l'acquéreur, alors même qu'elle relevait par ailleurs que les actes de cession n'avaient été assortis d'aucune condition suspensive ou résolutoire, la cour administrative d'appel a exactement qualifié les faits qui lui étaient soumis."