Abus de majorité dans une copropriété (samedi, 21 février 2015)
Voici un arrêt qui rappelle les éléments constitutifs d'une abus de majorité en copropriété :
"Attendu, selon l'arrêt attaqué (Pau, 26 juillet 2013), que M. X... et Mme Y... (les consorts X...-Y...) ont acquis le lot n° 7 d'un immeuble en copropriété à destination principale d'habitation et correspondant à un local à usage professionnel composé d'une pièce unique d'une superficie de 112, 84 m ² ; qu'ayant demandé l'autorisation de changer la destination de leur lot en un local à usage d'habitation, ils ont assigné le syndicat des copropriétaires du centre d'affaires Foch (le syndicat) en annulation de la décision de refus de l'assemblée générale du 9 mars 2009 ; que M. A...et la société Sainte-Croix (la société) sont intervenus volontairement à l'instance ; que le syndicat, M. A...et la société ont demandé reconventionnellement que les consorts X...-Y... soient condamnés à cesser toute occupation à usage d'habitation du lot ;
Sur le moyen unique, pris en sa première branche :
Vu l'article 1382 du code civil ;
Attendu que, pour prononcer la nullité de la décision d'assemblée générale, l'arrêt retient que la modification de la destination du lot n'est pas contraire à la destination de l'immeuble, n'est pas interdite par le règlement de copropriété et ne porte pas atteinte aux droits des autres copropriétaires et en déduit que la décision de refus de l'assemblée générale est abusive ;
Qu'en statuant ainsi, sans relever en quoi la décision de l'assemblée générale était contraire aux intérêts collectifs des copropriétaires ou avait été prise dans le seul but de favoriser les intérêts personnels des copropriétaires majoritaires au détriment des copropriétaires minoritaires, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision ;
Et, sur le moyen unique, pris en sa seconde branche :
Vu l'article 17 de la loi du 10 juillet 1965, ensemble l'article 1134 du code civil ;
Attendu que, pour rejeter la demande reconventionnelle, l'arrêt retient, par motifs propres et adoptés, qu'il y a lieu d'annuler la décision de l'assemblée générale et que les demandes reconventionnelles doivent être rejetées ;
Qu'en statuant ainsi, la cour d'appel, qui a substitué son appréciation à celle de l'assemblée générale a violé les textes susvisés ;
PAR CES MOTIFS :
CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 26 juillet 2013, entre les parties, par la cour d'appel de Pau ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Bordeaux ;
Condamne les consorts X...-Y... aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, condamne les consorts X...-Y... à payer à M. A...et à la société Sainte-Croix, ensemble, la somme de 3 000 euros ; rejette la demande des consorts X...-Y... ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du dix-sept décembre deux mille quatorze.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt
Moyen produit par la SCP Spinosi et Sureau, avocat aux Conseils, pour M. A...et la société Sainte-Croix
Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir prononcé la nullité de la résolution n° 7 adoptée par l'assemblée générale des copropriétaires du « Centre d'affaires Foch » à Pau le 9 mars 2009 et d'avoir par conséquent rejeté les demandes reconventionnelles formées par Monsieur A...et la société SAINTE CROIX notamment celle tendant à voir juger que les consorts X... Y... devront cesser toute occupation à usage d'habitation du lot n° 7 de la copropriété ;
Aux motifs propres que :
« Sur la nullité de la résolution n° 7 de l'assemblée générale du 9 mars 2009
Attendu que le règlement de copropriété, qui a valeur contractuelle, s'impose à tous les copropriétaires qui doivent en respecter les stipulations relatives à l'affectation donnée aux différents lots de l'immeuble ;
Attendu que le règlement de copropriété du Centre d'affaires Foch prévoit que la destination de l'immeuble est principalement à usage commercial et de bureaux ;
Qu'aucune modification pouvant compromettre la destination de l'ensemble de l'immeuble ne pourra être faite sans le consentement de l'ensemble des propriétaires ; la destination de chaque lot ne peut être modifiée qu'à la demande de son propriétaire par une décision de l'assemblée générale statuant à la majorité prévue à l'article 26 de la loi du 10 juillet 1965 ;
Que chaque propriétaire dispose des parties privatives comprises dans son lot, il use et jouit librement des parties privatives et des parties communes sous la condition de ne porter atteinte ni aux droits des autres copropriétaires ni à la destination de l'immeuble et de se conformer aux prescriptions formulées dans la deuxième partie du règlement de copropriété ;
Que toute tolérance au sujet des prescriptions édictées quelles qu'aient pu en être la fréquence et la durée, ne pourront jamais être considérées comme modification ou suppression de ces prescriptions ;
Attendu que l'examen de l'état descriptif de division démontre que l'ensemble des lots sont désignés locaux soit d'exposition soit commercial soit de bureau ;
Attendu que les consorts X...-Y... ont soumis à l'assemblée générale une demande de changement de destination de leur lot n° 7 à usage de bureau pour un usage d'habitation ;
Que le fait que cette demande ait été refusée à leur auteur, n'est pas de nature à priver les consorts X...-Y... de leur droit de soumettre à nouveau la même question à une nouvelle assemblée générale des copropriétaires ;
Que cette demande a été refusée à la majorité qualifiée de 7 copropriétaires sur 12 représentant 691 voix sur 1035 conformément aux dispositions de l'article 26 de la loi du 10 juillet 1965 ;
Attendu que l'acte de vente par la SCI OLLA aux consorts X...-Y... en date du 20 juillet 2007 stipule bien que le bien objet de la vente est le lot n° 7 situé au 5ème étage d'un immeuble collectif situé 6 rue du Maréchal Foch à Pau constitué d'un local à usage professionnel comprenant une pièce unique avec les 65/ 1035èmes de la propriété du sol et des parties communes générales ;
Que le règlement de copropriété a été remis aux acquéreurs qui ont déclaré en avoir parfaite connaissance et se sont engagés à le respecter ;
Attendu que conformément à l'article 9 de la loi du 10 juillet 1965 chaque copropriétaire dispose librement et jouit librement des parties privatives comprises dans son lot sous réserve de ne porter atteinte ni aux droits des autres copropriétaires ni à la destination de l'immeuble ;
Attendu qu'en l'espèce, au regard de l'acte de vente et du règlement de copropriété, les consorts X...-Y... qui n'invoquent pas le changement de destination de l'immeuble, avaient parfaitement connaissance de ce qu'ils acquéraient non pas un appartement mais un local à usage professionnel dans un immeuble destiné principalement à usage commercial et de bureaux ;
Attendu que dès lors au regard des dispositions du règlement de copropriété qui ne prohibent pas le changement d'affectation d'un lot puisque d'une part ce règlement utilise, s'agissant de la destination de l'immeuble, l'adverbe « principalement » de sorte que l'immeuble n'est pas uniquement ou exclusivement à destination professionnelle ou commerciale et que, d'autre part, l'hypothèse d'une modification du changement d'affectation de l'usage d'un lot est organisée, cette modification devant être autorisée à la majorité de l'article 26 de la loi du 10 juillet 1965, il appartient aux consorts X...-Y... qui contestent le refus qui leur a été opposé par l'assemblée générale de démontrer que ce refus est abusif ;
Attendu que l'expert relève que la modification sollicitée par les consorts X...-Y... est techniquement compatible avec les installations communes existantes (puissance électrique, distribution en eau potable, évacuation des eaux vannes) ;
Que s'agissant de la colonne de chute des eaux usées dont le diamètre de 50 mm est inférieur au minimum requis en fonction du nombre d'appareils raccordés et ce en considération du nouveau DTU n° 60 du 11 octobre 1988 fixant un diamètre de 90 mm pour 11 appareils et au-delà, il précise néanmoins que le DTU de 1959 " applicable aux travaux de plomberie sanitaire lors de la construction de l'immeuble ne fixait pas de diamètre de chute en fonction du nombre d'appareils raccordés ; l'installation était conforme aux règles de l'art " et que la chute évacue les eaux usées sans défaut de fonctionnement ;
Qu'ainsi l'expert précise que " la chute actuellement en place assure l'évacuation normale des eaux usées au-delà du nombre d'appareils fixés par le texte normatif et ce malgré le rajout d'appareils issus du changement d'affectation de trois lots professionnels en logement " ;
Qu'il relève qu'il existe " une non-conformité réglementaire de la chute d'eaux usées au regard de la nouvelle norme de 1988 que ce soit dans le cadre d'affectation initiale des lots à usage professionnel, ou dans celui de leur modification à usage de logement " ;
Qu'après avoir observé que " cette canalisation assure en l'état et sans vice de fonctionnement, l'évacuation de trois logements aménagés ainsi que dix toilettes raccordées ", il conclut que le remplacement éventuel de la chute pour le respect du diamètre normatif 90 n'est pas à ce jour une nécessité pour le bon fonctionnement de cet élément d'équipement commun " ;
Qu'il apparaît dès lors que la chute des eaux usées est de dimension insuffisante au regard de la réglementation existante quelle que soit l'affectation des locaux et que la modification de l'usage d'un lot n'est pas de nature à porter atteinte à cet égard aux droits des autres copropriétaires ;
Que les appelants qui critiquent les conclusions de l'expert ne produisent aucun élément technique susceptible de les contredire valablement ;
Que s'ils font état des aménagements déjà réalisés par les demandeurs pour transformer leur local, ils ne démontrent d'aucune manière que les travaux exécutés entraîneraient de nouvelles sujétions pour la copropriété ;
Attendu que pas davantage, il n'est démontré que les consorts X...-Y... ont procédé à des modifications sur les parties communes sans autorisation de l'assemblée générale des copropriétaires ;
Que la seule photocopie d'une photographie produite par M. A...et la SCI SAINTE CROIX de la façade de l'immeuble et d'une pièce appelée " séjour vue sur rue sud " est insuffisante pour démontrer cette allégation ;
Qu'aucun élément ne permet non plus d'établir que la modification du lot en local à usage d'habitation pourrait exiger une mise aux normes de l'ensemble du bâtiment et notamment des parties communes au regard de la sécurité Incendie, de l'accessibilité des personnes à mobilité réduite, de l'équipement en parkings privatifs, ou encore qu'elle pourrait entraîner une modification des impositions et taxes supportées par les copropriétaires ;
Attendu qu'enfin M. A...et la SCI SAINTE CROIX ne démontrent pas que les dispositions des articles L. 631-7 et suivants du code la construction et de l'habitation relatifs au changement d'usage des locaux destinés à l'habitation et des articles R. 412-14 et suivants du code l'urbanisme relatifs aux travaux soumis à permis de construire qu'ils invoquent, sont applicables en l'espèce et que leur violation à la supposer établie, a porté atteinte à leurs droits ;
Attendu que dès lors, le refus opposé par l'assemblée générale des copropriétaires à la modification de la destination du lot sollicitée par les consorts X...-Y... qui n'est pas contraire à la destination de l'immeuble, qui n'est pas interdite par le règlement de copropriété et qui ne porte atteinte aux droits des autres copropriétaires est abusif ;
Qu'il convient en conséquence de confirmer le jugement déféré en ce qu'il a prononcé l'annulation de la résolution n° 7 adoptée par l'assemblée générale des copropriétaires réunie le 9 mars 2009 » ;
Et aux motifs, éventuellement adoptés, que :
« Sur la demande d'annulation de la résolution de l'assemblée générale :
Aux termes de l'article 8 de la loi du 10 juillet 1965 " un règlement conventionnel de copropriété, incluant ou non l'état descriptif de division, détermine la destination des parties tant privatives que communes, ainsi que les conditions de leur jouissance ; il fixe également, sous réserve des dispositions de la présente loi, les règles relatives à l'administration des parties communes. Le règlement de copropriété ne peut imposer aucune restriction au droit des copropriétaires en dehors de celles qui seraient justifiées par la destination de l'immeuble, telle qu'elle est définie aux actes, par ses caractères ou sa situation ".
Le syndicat des copropriétaires ne peut donc s'opposer au changement d'affectation des locaux que si cette modification porte atteinte cumulativement à la destination de l'immeuble et aux droits des autres copropriétaires.
En l'espèce, le règlement de copropriété qui a été modifié à plusieurs reprises, mentionne toujours au chapitre " destination de l'immeuble " que " les immeubles sont principalement à usage commercial et de bureaux " et prévoit que " la destination de chaque lot ne peut être modifiée qu'à la demande de son propriétaire par une décision de l'assemblée générale statuant à la majorité prévue par l'article 26 de la loi du 10 juillet 1965. "
Le règlement de copropriété n'exclut donc pas de façon définitive la modification de la destination de l'immeuble et en prévoit même la possibilité sous réserve d'une autorisation de l'assemblée générale des copropriétaires.
De ce fait, la modification de la destination des locaux acquis à usage professionnel en usage d'habitation est envisageable sous réserve de ne pas porter atteinte aux droits des autres copropriétaires.
Pour justifier leur refus du changement de destination du lot des demandeurs, le Syndicat des copropriétaires et les copropriétaires intervenants soutiennent que l'immeuble a été conçu et réalisé pour accueillir des locaux commerciaux en rez-de-chaussée et des locaux à usage de bureaux en étage et que de ce fait, les aménagements ne sont pas adaptés à un usage d'habitation (réseaux des eaux vannes, normes électriques, etc...) et que la copropriété est donc en droit de refuser de supporter le coût généré par l'adaptation des structures à une destination d'habitation.
Il résulte cependant du rapport d'expertise établi par Monsieur B...que la modification sollicitée par les Consorts X...-Y..., est techniquement compatible avec les installations communes existantes.
L'expert précise que la seule incidence concernerait la colonne de chute des eaux usées dont le diamètre de 50 mm est inférieur au minimum requis en fonction du nombre d'appareils raccordés et ce en considération du nouveau DTU n° 60 du 11 octobre 1988 fixant un diamètre de 90 mm pour 11 appareils et au-delà.
Néanmoins, il précise que le DTU de 1959 " applicable aux travaux de plomberie sanitaire lors de la construction de l'immeuble ne fixait pas de diamètre de chute en fonction du nombre d'appareils raccordés ; l'installation était conforme aux règles de l'art ".
Il relève qu'il existe " une non-conformité réglementaire de la chute d'eaux usées au regard de la nouvelle norme de 1988 que ce soit dans le cadre d'affectation initiale des lots à usage professionnel, ou dans celui de leur modification à usage de logement ".
Le sous dimensionnement de la chute d'eaux usées est donc indépendant de l'affectation des locaux.
L'expert considère en outre que " la chute actuellement en place assure l'évacuation normale des eaux usées au-delà du nombre d'appareils fixés par le texte normatif et ce malgré le rajout d'appareils issus du changement d'affectation de trois lots professionnels en logement ".
Après avoir observé que " cette canalisation assure en l'état et sans vice de fonctionnement, l'évacuation de trois logements aménagés ainsi que dix toilettes raccordées ", il conclut que " le remplacement éventuel de la chute pour le respect du diamètre normatif 90 n'est pas à ce jour une nécessité pour le bon fonctionnement de cet élément d'équipement commun ".
Les défendeurs qui critiquent les conclusions de l'expert ne produisent aucun élément technique susceptible de les contredire.
S'ils font état des aménagements déjà réalisés par les demandeurs pour transformer leur local, ils ne démontrent d'aucune manière que les travaux exécutés entraîneraient de nouvelles sujétions pour la copropriété.
Aucun élément ne permet non plus d'établir que la modification du lot en local à usage d'habitation pourrait exiger une mise aux normes de l'ensemble du bâtiment et notamment des parties communes au regard de la sécurité incendie, de l'accessibilité des personnes à mobilité réduite, de l'équipement en parkings privatifs, ou encore qu'elle pourrait entraîner une modification des impositions et taxes supportées par les copropriétaires.
Dès lors, le refus opposé par l'assemblée générale des copropriétaires à la modification sollicitée doit être considéré comme abusif.
Il y a lieu, en conséquence, d'annuler la résolution n° 7 adoptée par l'assemblée générale des copropriétaires réunie le 9 mars 2009.
Les demandes reconventionnelles du Syndicat des copropriétaires de Monsieur A...et de la SCI SAINTE CROIX seront également rejetées » ;
Alors, d'une part, que l'abus de majorité suppose que la décision de l'assemblée des copropriétaires soit contraire à l'intérêt collectif des copropriétaires et qu'elle ait été prise dans l'unique dessein de favoriser les intérêts personnels des majoritaires au détriment de ceux des minoritaires ; qu'en l'espèce, en se bornant à considérer, pour juger que l'assemblée des copropriétaires s'était rendue coupable d'un abus de majorité, que le refus opposé à la modification de destination du lot, sollicitée par les consorts X... Y..., n'était pas contraire à la destination de l'immeuble, pas interdite par le règlement et qu'elle ne portait pas atteinte aux droits des copropriétaires, sans relever d'éléments de nature à démontrer que la résolution litigieuse était manifestement contraire aux intérêts collectifs des copropriétaires et avait été prise dans le seul but de favoriser les intérêts personnels des copropriétaires majoritaires au détriment de ceux des minoritaires, la Cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision au regard de l'article 1382 du Code civil ;
Alors, d'autre part, que dans l'hypothèse où un abus de majorité a été commis par une assemblée de copropriétaires, le juge ne peut pas substituer son appréciation à celle de l'assemblée ; qu'en l'espèce, le changement de destination d'un lot supposait une autorisation de l'assemblée générale des copropriétaires ; qu'en annulant la résolution litigieuse, refusant le changement de destination sollicitée, tout en rejetant la demande des exposants tendant à voir interdit l'usage du lot à titre d'habitation, quand tout changement de destination d'un lot devait pourtant être autorisé par l'assemblée générale des copropriétaires, la Cour d'appel a substitué son appréciation à celle de l'assemblée et a par là-même excédé ses pouvoirs en violation des articles 17 et 22 de la loi n° 65-557 du 10 juillet 1965 fixant le statut de la copropriété des immeubles bâtis, ensemble l'article 1134 du Code civil."