Droit de préemption et prise illégale d'intérêt (jeudi, 26 septembre 2013)
Un arrêt de la chambre Criminelle de la Cour de Cassation sur le droit de préemption et la prise illégale d'intérêt :
"Statuant sur le pourvoi formé par :
- M. Paul X...,
contre l'arrêt de la cour d'appel de DIJON, chambre correctionnelle, en date du 2 novembre 2011, qui, pour prise illégale d'intérêts, l'a condamné à deux ans d'emprisonnement avec sursis, 6 000 euros d'amende, cinq ans de privation des droits civiques, civils et de famille et a prononcé sur les intérêts civils ;
La COUR, statuant après débats en l'audience publique du 30 janvier 2013 où étaient présents dans la formation prévue à l'article 567-1-1 du code de procédure pénale : M. Louvel président, Mme Labrousse conseiller rapporteur, M. Dulin conseiller de la chambre ;
Greffier de chambre : Mme Leprey ;
Sur le rapport de Mme le conseiller référendaire LABROUSSE, les observations de la société civile professionnelle WAQUET, FARGE et HAZAN, avocat en la Cour, et les conclusions de M. l'avocat général LACAN ;
Vu le mémoire et les observations complémentaires produits ;
Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles 121-3 et 342-12 du code pénal, 593 du code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale ;
" en ce que, l'arrêt attaqué a déclaré M. X...coupable de prise illégale d'intérêt ;
" aux motifs propres que, dans l'opération litigieuse, seule la société Autre Monde a retiré un bénéfice, et la revente rapide des appartements acquis n'a pu être réalisée qu'à défaut d'exercice de son droit de préemption par la commune ; qu'il n'est pas contesté que M. X...a signé, en sa qualité de maire, l'acte portant renonciation de la commune à l'exercice de ce droit ; qu'il ne pouvait ignorer en agissant ainsi qu'il favorisait, en usant de ses fonctions, la réalisation d'une opération immobilière favorable à la société dont il assurait la gestion de fait, étant également observé que les acquéreurs étaient des proches ; que s'agissant de l'opération immobilière de double acquisition, il sera aussi rappelé que dans le cadre d'une politique de développement du commerce dans la commune, la municipalité s'était déjà portée acquéreur d'un immeuble comportant des surfaces commerciales, qu'elle n'avait pas, au temps de l'opération A..., mené à terme son premier projet ; qu'en conséquence, l'intérêt pour la commune de la seconde opération immobilière n'est pas avéré ; qu'au contraire, la rapidité des transactions opérées par la SARL, même s'il n'en est résulté qu'un bénéfice modeste, démontre l'intérêt économique de l'opération de marchand de biens, étant rappelé que le volet activité immobilière de la société n'a été réactivé qu'à l'occasion de cette opération ; qu'aussi, la cour estime que l'infraction reprochée est caractérisée à l'encontre de l'appelant qui ne pouvait ignorer le conflit d'intérêts existant entre ses fonctions privées et ses fonctions publiques et le jugement mérite confirmation sur la culpabilité de ce chef ;
" et aux motifs adoptés que, la démonstration de la culpabilité du prévenu est, à ce stade, amplement suffisante au vu des exigences de la jurisprudence, sachant que la SARL Autre Monde est sous le contrôle de P & MBJ Limited, qui détient la presque totalité des parts sociales (499 sur 500) et que le représentant, en France, de P & MBJ Limited n'est autre que M. X...; que le tribunal constate que lors de sa séance budgétaire du 4 décembre 2007, le conseil municipal, présidé par M. X..., prend simultanément les décisions suivantes : achat du bien immobilier précité en votant la dépense (230 000 euros) et vote du budget 2008 avec provision de 250 000 euros au titre de sa revente ; que la SARL Autre Monde a revendu, au plus vite, la surface acquise en deux appartements à Mme Y...et son compagnon (20/ 12/ 2007) et Mme Z...(19/ 12/ 2007), sachant que M. X...est l'entraîneur sportif des 2 jeunes femmes qui pratiquent l'athlétisme et que l'employeur de Mlle Y...est la SARL Autre Monde contrôlée par M. X...; que M. X...a signé, en qualité de maire d'Ouges, le certificat de non préemption par la Commune relativement à la vente des deux appartements précités (24/ 12/ 2009) ;
" 1°) alors que, l'intérêt quelconque visé par l'article 432-12 du code pénal doit être pris, directement ou indirectement, dans l'opération dont le décideur public a la charge d'assurer la surveillance, l'administration, la liquidation ou le paiement ; que la déclaration de culpabilité fondée sur la participation du maire à la délibération du 4 décembre 2007 votant la dépense d'acquisition par la commune d'un bien immobilier distinct de celui acquis par la SARL Autre Monde dont le Maire était gérant de fait, et dont il n'est pas constaté que la commune aurait également entendu l'acquérir, n'est pas légalement justifiée ;
" 2°) alors que, la renonciation à son droit de préemption par la commune sur la partie arrière du bâtiment vendu, était inéluctable compte tenu de la décision antérieurement prise par la commune de n'acquérir que le bâtiment avant ; qu'en estimant que, par la signature de l'acte portant renonciation, le maire avait favorisé la réalisation de l'opération immobilière sur la partie arrière du bâtiment, sans même relever que la commune aurait eu un intérêt à préempter ou la volonté de le faire, la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision ;
" 3°) alors que, le délit de prise illégale d'intérêt suppose pour être caractérisé qu'une personne investie d'un mandat électif public ait sciemment cherché à s'attribuer un intérêt dans une entreprise ou dans une opération soumise à sa surveillance ; qu'en l'espèce, M. X...faisait valoir, offre de preuve à l'appui, que l'acquisition du bâtiment arrière par la SARL Autre Monde n'avait été décidée que consécutivement aux difficultés rencontrées par la commune pour n'acquérir, dans une volonté de redynamisation du commerce de centre ville, que la partie avant de la propriété A..., abritant l'ancienne épicerie, et ce, en raison du refus catégorique du vendeur de vendre à la découpe ; qu'en ne s'expliquant pas sur cette chronologie et en recherchant pas si la circonstance que ce soit le refus catégorique du vendeur qui ait conduit à l'acquisition du bâtiment arrière par la SARL Autre Monde, n'était pas de nature à démontrer que le prévenu n'avait pas cherché indûment à s'attribuer un avantage dans cette opération, la cour d'appel a privé sa décision de base légale " ;
Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué que M. X..., maire d'Ouges, est poursuivi du chef de prise illégale d'intérêts pour avoir lors de la vente d'un ensemble immobilier dont la propriétaire souhaitait céder l'intégralité, participé à la délibération du conseil municipal du 4 décembre 2007 autorisant cette commune à acquérir une partie dudit immeuble, l'autre partie étant acquise par la société Autre Monde dont il était gérant de fait ; qu'il est également reproché à M. X...d'avoir renoncé le 24 décembre 2007 à exercer le droit de préemption dont était titulaire la commune d'Ouges lors de la revente par cette société du bien acquis à deux de ses proches ;
Attendu que, pour le déclarer coupable de ce chef, l'arrêt prononce par les motifs repris au moyen ;
Attendu qu'en l'état de ces énonciations, d'où il résulte que le prévenu a pris un intérêt dans l'opération d'acquisition réalisée par la commune en faisant acheter par la société dont il était le gérant l'autre partie de l'immeuble, dont la vente était indissociable de la première, la cour d'appel qui a, sans insuffisance ni contradiction, répondu aux chefs péremptoires des conclusions dont elle était saisie et caractérisé en tous ses éléments, tant matériels qu'intentionnel, le délit de prise illégale d'intérêts dont elle a déclaré le prévenu coupable, a justifié sa décision ;
D'où il suit que le moyen ne peut être admis ;
Sur le deuxième moyen de cassation, pris de la violation des articles 121-3 et 342-12 du code pénal, de l'article 593 du code de procédure pénale, défaut de motifs ;
" en ce que, l'arrêt attaqué, après avoir infirmé le jugement sur la culpabilité du chef d'abus de biens sociaux et relaxé M. X...de ce chef de poursuite, a confirmé la condamnation de M. X...à un emprisonnement délictuel de deux ans avec sursis, au paiement d'une amende de 6 000 euros et prononcé, à titre de peine complémentaire, la privation de tous ses droits civiques, civils et de famille pour une durée de cinq ans ;
" aux motifs propres que, le premier juge a fait une exacte application des termes de la loi pénale et que la peine prononcée est adaptée à la gravité du délit commis et à la personnalité de Paul X...; que le jugement doit recevoir confirmation sur la peine prononcée ;
" et aux motifs dès lors adoptés que, la personnalité de M. X...incite à une réponse pénale très ferme, l'intéressé ayant déjà été condamné pour abus de biens sociaux et se trouvant interdit de gérer aux termes de deux décisions de juridictions commerciales, décisions qu'il semble avoir beaucoup de difficulté à respecter ;
" alors que, tout jugement ou arrêt doit comporter les motifs propres à justifier la décision ; que la contradiction entre les motifs et le dispositif équivaut à leur absence ; que l'arrêt attaqué ne peut, sans se contredire, approuver et confirmer le prononcé, par les premiers juges, de peines dont le quantum était motivé par la déclaration de culpabilité du chef d'abus de biens sociaux, tout en ayant relaxé le prévenu de ce chef " ;
Attendu que, hormis les cas expressément prévus par la loi, les juges ne sont pas tenus de motiver spécialement le choix des sanctions qu'ils prononcent dans les limites légales ; que tel est le cas en l'espèce ;
D'où il suit que le moyen ne peut être admis ;
Sur le troisième moyen de cassation, pris de la violation de la loi des 16-24 août 1790 et le décret du 16 fructidor an III et des articles 2 et 3 du code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale ;
" en ce que, l'arrêt attaqué a confirmé le jugement en ce qu'il avait déclaré recevable la constitution de partie civile de la commune d'Ouges ainsi que sur l'indemnité de procédure accordée et, réformant pour le surplus sur les intérêts civils, a condamné M. X...à payer à la commune d'Ouges la somme de 26 650 euros à titre de dommages-intérêts ainsi qu'une somme de 1 000 euros en application des dispositions de l'article 475-1 du code de procédure pénale ;
" aux motifs que, c'est à bon droit que les premiers juges ont déclaré recevable la constitution de partie civile de la commune d'Ouges et ont fait application des dispositions de l'article 475-1 du code de procédure pénale ; que la juridiction pénale a compétence pour apprécier l'existence d'un préjudice résultant d'une infraction, ainsi que pour déterminer l'ampleur de ce préjudice et ce sans porter atteinte à la séparation des pouvoirs, dans la mesure où cette compétence est attribuée sans restriction par la loi ; qu'en l'espèce la commune sollicite une somme de 50 000 euros représentant le préjudice né de l'acquisition litigieuse ; que la commune estime d'une part subir une perte de 40 000 euros relative à la différence existant entre le prix d'achat de l'immeuble et sa valeur actuelle ; que cependant ce poste de préjudice ne peut être qualifié d'actuel et certain dans la mesure où la municipalité n'a pas revendu l'immeuble, étant précisé que le marché immobilier est extrêmement fluctuant ; que cependant au vu des pièces versées, il est avéré que le marché immobilier actuel est moins favorable, de sorte que la commune démontre subir un préjudice résultant de la perte d'une chance de revendre l'immeuble, au moins à son prix d'acquisition ; que ce préjudice avéré sera indemnisé à hauteur de 10 000 euros ; que ce poste de préjudice découle directement de l'infraction commise par M. X...; que la commune sollicite également l'indemnisation des sommes engagées au titre des frais de notaire, des frais d'agence et des taxes foncières durant trois années ; que les justificatifs produits, et le fait que les dépenses découlent de l'infraction commise par M. X...doivent conduire faire droit cette demande ce poste de préjudice étant arrêté à la somme de 16 650 euros ; que le jugement déféré sera réformé sur les intérêts civils et M. X...condamné à payer à la commune d'Ouges une somme de 26 650 euros à titre de dommages-intérêts ;
" 1°) alors que, la cour d'appel ne pouvait faire droit aux demandes de dommages-intérêts de la partie civile sans constater que les agissements reprochés au prévenu, maire de la commune, ayant agi dans l'exercice de ses fonctions, étaient détachables de ses fonctions ;
" 2°) alors que, l'action civile appartient seulement à ceux qui ont personnellement souffert du dommage causé directement par l'infraction ; que ni la perte d'une chance de revendre le bien acquis par la commune au même prix d'ailleurs attribuée aux fluctuation du marché immobilier-, ni les frais de notaire, d'agence et taxes foncières inhérent à cette acquisition, ne sont en lien direct avec l'infraction de prise illégale d'intérêt dont M. X...a été déclaré coupable, que ce soit pour avoir participé à une délibération collégiale du conseil municipal concernant la décision d'acquérir cet immeuble et qui ne peut lui être personnellement imputée, ou pour avoir signé un acte portant renonciation à préempter un bien distinct " ;
Attendu que, pour condamner M. X...déclaré coupable de prise illégale d'intérêts à indemniser la commune d'Ouges, la cour d'appel prononce par les motifs repris au moyen ;
Attendu qu'en l'état de ces énonciations, et dès lors qu'il résulte des constatations de l'arrêt que les faits commis par le prévenu présentent le caractère d'une faute personnelle détachable du service, la cour d'appel, qui n'a fait qu'user de son pouvoir d'apprécier souverainement, dans la limite des conclusions des parties, les indemnités propres à réparer le dommage né de cette infraction, a justifié sa décision
D'où il suit que le moyen doit être écarté ;
Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;
REJETTE le pourvoi ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le vingt-sept février deux mille treize ;
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre ."