La procédure d'alignement est constitutionnelle (lundi, 12 décembre 2011)
Selon cette décision :
Le Conseil constitutionnel a été saisi le 28 septembre 2011 par la Cour de cassation (troisième chambre civile, arrêt n° 1236 du 28 septembre 2011), dans les conditions prévues à l'article 61-1 de la Constitution, d'une question prioritaire de constitutionnalité posée par Mme Christiane V. épouse D. et MM. Jean-Pierre et Christophe D., relative aux articles 4 et 5 de l'édit du 16 décembre 1607, devenus les articles L. 112-1 et L. 112-2 du code de la voirie routière.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL,
Vu la Constitution ;
Vu l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 modifiée portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;
Vu le code de la voirie routière ;
Vu le code de l'expropriation pour cause d'utilité publique ;
Vu le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Vu les observations produites pour les requérants par la SCP Monod-Colin, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, enregistrées les 20 octobre et 4 novembre 2011 ;
Vu les observations produites pour la commune de Salers par la SCP Vincent-Ohl, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, enregistrées le 19 octobre 2011 ;
Vu les observations produites par le Premier ministre, enregistrées le 20 octobre 2011 ;
Vu les pièces produites et jointes au dossier ;
Me Alain Monod, pour les requérants, et M. Xavier Pottier, désigné par le Premier ministre, ayant été entendus à l'audience publique du 22 novembre 2011 ;
Le rapporteur ayant été entendu ;
1. Considérant qu'aux termes de l'article L. 112-1 du code de la voirie routière, dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2010-788 du 12 juillet 2010 portant engagement national pour l'environnement : « L'alignement est la détermination par l'autorité administrative de la limite du domaine public routier au droit des propriétés riveraines. Il est fixé soit par un plan d'alignement, soit par un alignement individuel.
« Le plan d'alignement, auquel est joint un plan parcellaire, détermine après enquête publique la limite entre voie publique et propriétés riveraines.
« L'alignement individuel est délivré au propriétaire conformément au plan d'alignement s'il en existe un. En l'absence d'un tel plan, il constate la limite de la voie publique au droit de la propriété riveraine » ;
2. Considérant qu'aux termes de l'article L. 112-2 du code de la voirie routière : « La publication d'un plan d'alignement attribue de plein droit à la collectivité propriétaire de la voie publique le sol des propriétés non bâties dans les limites qu'il détermine.
« Le sol des propriétés bâties à la date de publication du plan d'alignement est attribué à la collectivité propriétaire de la voie dès la destruction du bâtiment.
« Lors du transfert de propriété, l'indemnité est, à défaut d'accord amiable, fixée et payée comme en matière d'expropriation » ;
3. Considérant que, selon les requérants, d'une part, en permettant à l'administration de bénéficier d'une cession forcée de propriété privée par la publication d'un plan d'alignement établi unilatéralement, sans que soit constatée sa nécessité publique ni qu'il soit fait droit à une indemnisation préalable, les articles L. 112-1 et L. 112-2 du code de la voirie routière portent atteinte au droit de propriété garanti par les articles 2 et 17 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 ; que, d'autre part, en ne prévoyant pas de recours effectif, les articles L. 112-1 et L. 112-2 du code de la voirie routière porteraient atteinte au respect des droits de la défense et au droit à un recours juridictionnel effectif résultant de l'article 16 de la même Déclaration ;
- SUR LE DROIT DE PROPRIÉTÉ :
4. Considérant que la propriété figure au nombre des droits de l'homme consacrés par les articles 2 et 17 de la Déclaration de 1789 ; qu'aux termes de son article 17 : « La propriété étant un droit inviolable et sacré, nul ne peut en être privé, si ce n'est lorsque la nécessité publique, légalement constatée, l'exige évidemment, et sous la condition d'une juste et préalable indemnité » ; qu'en l'absence de privation du droit de propriété, il résulte néanmoins de l'article 2 de la Déclaration de 1789 que les limites apportées à son exercice doivent être justifiées par un motif d'intérêt général et proportionnées à l'objectif poursuivi ;
5. Considérant, d'une part, qu'il résulte de la jurisprudence constante du Conseil d'État sur les dispositions contestées que le plan d'alignement n'attribue à la collectivité publique le sol des propriétés qu'il délimite que dans le cadre de rectifications mineures du tracé de la voie publique ; qu'il ne permet ni d'importants élargissements ni a fortiori l'ouverture de voies nouvelles ; qu'il ne peut en résulter une atteinte importante à l'immeuble ; que, par suite, l'alignement n'entre pas dans le champ d'application de l'article 17 de la Déclaration de 1789 ;
6. Considérant, d'autre part, que le plan d'alignement vise à améliorer la sécurité routière et à faciliter les conditions de circulation ; qu'ainsi, il répond à un motif d'intérêt général ;
7. Considérant qu'il ressort des dispositions contestées que le plan d'alignement est fixé après enquête publique ; qu'il ressort du troisième alinéa de l'article L. 112-2 que, lors du transfert de propriété, l'indemnité est, à défaut d'accord amiable, fixée et payée comme en matière d'expropriation ; que, par suite, l'article L. 13-13 du code de l'expropriation pour cause d'utilité publique, qui dispose que l'indemnité doit couvrir l'intégralité du préjudice direct, matériel et certain, est applicable à la fixation de l'indemnisation des transferts de propriété résultant de l'alignement ;
8. Considérant que, toutefois, il ressort du deuxième alinéa de l'article L. 112-2 du code de la voirie routière que, lorsque le plan d'alignement inclut des terrains bâtis, le transfert de propriété résulte de la destruction du bâtiment ; que, tant que ce transfert n'est pas intervenu, les terrains sont soumis à la servitude de reculement, prévue par l'article L. 112-6 du code de la voirie routière, qui interdit, en principe, tout travail confortatif ; que la servitude impose ainsi au propriétaire de supporter la dégradation progressive de l'immeuble bâti pendant une durée indéterminée ; que la jouissance de l'immeuble bâti par le propriétaire est limitée par cette interdiction ; que, dans ces conditions, l'atteinte aux conditions d'exercice du droit de propriété serait disproportionnée au regard de l'objectif poursuivi si l'indemnité due à l'occasion du transfert de propriété ne réparait également le préjudice subi du fait de la servitude de reculement ; que, sous cette réserve, les deuxième et troisième alinéas de l'article L. 112-2 du code de la voirie routière sont conformes à l'article 2 de la Déclaration de 1789 ;
9. Considérant que, pour le surplus, les articles L. 112-1 et L. 112-2 du code de la voirie routière ne portent pas aux conditions d'exercice du droit de propriété une atteinte disproportionnée au regard du but poursuivi ;
- SUR LE DROIT À UN RECOURS JURIDICTIONNEL EFFECTIF :
10. Considérant que les dispositions contestées ne portent aucune atteinte au droit du propriétaire de contester le plan d'alignement ou la servitude de reculement ; que le grief tiré d'une violation de l'article 16 de la Déclaration de 1789 manque en fait ;
11. Considérant que les dispositions contestées ne sont contraires à aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit,
DÉCIDE :
Article 1er.- Sous la réserve énoncée au considérant 8, les deuxième et troisième alinéas de l'article L. 112-2 du code de la voirie routière sont conformes à la Constitution.
Article 2.- L'article L. 112-1 du code de la voirie routière, dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2010-788 du 12 juillet 2010 portant engagement national pour l'environnement, et le surplus de l'article L. 112-2 du même code sont conformes à la Constitution.
Article 3.- La présente décision sera publiée au Journal officiel de la République française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23 11 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.
Délibéré par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 1er décembre 2011, où siégeaient : M. Jean-Louis DEBRÉ, Président, M. Jacques BARROT, Mme Claire BAZY MALAURIE, MM. Guy CANIVET, Michel CHARASSE, Renaud DENOIX de SAINT MARC, Mme Jacqueline de GUILLENCHMIDT, MM. Hubert HAENEL et Pierre STEINMETZ.