Bretelle d'accès à une autoroute et préjudice anormal et spécial à raison des troubles dans les conditions d'existence et de la dépréciation de propriété (samedi, 25 septembre 2010)
"Vu la requête sommaire et les mémoires complémentaires enregistrés au secrétariat du Contentieux du Conseil d'Etat les 27 juin 1984 et 9 octobre, 22 novembre et 14 décembre 1984, présentés pour M. et Mme Y..., demeurant ... ; M. et Mme Y... demandent au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler le jugement du 26 avril 1984, par lequel le tribunal administratif de Rennes a rejeté leur demande tendant à ce que soit annulée la décision de rejet résultant du silence gardé pendant plus de quatre mois par le préfet d' Ille-et-Vilaine sur leur demande du 6 décembre 1982 de dommages et intérêts en réparation des divers préjudices subis du fait de la mise à quatre voies de la route nationale n° 24 bordant leur propriété sise sur le territoire de la commune de Bréal-sous-Montfort au lieu-dit "La Petite Pommeraie", Ille-et-Vilaine, et à ce que l'Etat soit condamné à verser 290 000 F en réparation desdits préjudices ;
2°) de condamner l'Etat à verser 290 000 F en réparation des préjudices subis, avec intérêts et capitalisation des intérêts à compter du 6 décembre 1982 ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ;
Vu l'ordonnance n° 45-1708 du 31 juillet 1945, le décret n° 53-934 du 30 septembre 1953 et la loi n° 87-1127 du 31 décembre 1987 ;
Après avoir entendu :
- le rapport de M. Lasvignes, Auditeur,
- les observations de la SCP Le Bret, Laugier, avocat de M. Emile Y... et de Mme Léonie X..., épouse Y...,
- les conclusions de M. Fornacciari, Commissaire du gouvernement ;
Considérant que M. et Mme Y... ont acquis en 1972 un terrain au lieu-dit "La Petite Pommeraie" dans la commune de Bréal-sous-Montfort et y ont fait construire en 1973 leur maison d'habitation, en retrait de 100 mètres par rapport à la route nationale n° 24 située au nord de leur terrain, conformément à la prescription contenue dans le permis de construire qui leur avait été délivré, et motivée par l'existence d'un projet d'élargissement à quatre voies de ladite route ;
Considérant que si les requérants ont eu connaissance du projet d'élargissement de la route nationale bordant le terrain avant de procéder à son acquisition, ils ne pouvaient prévoir la réalisation d'une bretelle d'accès nouvelle située au nord-ouest de ce terrain, réalisée en sus de l'élargissement de la route nationale ;
Considérant qu'il résulte de l'instruction que la bretelle d'accès est à une distance de 30 mètres de la façade ouest de la maison d'habitation de M. et Mme Y... ; qu'eu égard à la disposition des lieux, l'intensité des bruits que subissent les intéressés du fait de la mise en service de cet ouvrage excède les nuisances que peuvent être appelés à supporter, dans l'intérêt général, les propriétaires riverains d'une voie à grande circulation ; qu'ainsi, M. et Mme Y... sont fondés se prévaloir d'un préjudice anormal et spécial à raison des troubles dans leurs conditions d'existence et de la dépréciation de leur propriété, sans qu'une plus-value née de la construction de l'ouvrage ait atténué cette dépréciation ; qu'il suit de là que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Rennes a rejeté la demande de M. et Mme Y... tendant à obtenir réparation des préjudices subis ;
Considérant qu'il sera fait une juste appréciation de ces préjudices en les évaluant globalement à la somme de 30 000 F ;
Sur les intérêts et la capitalisation des intérêts :
Considérant que M. et Mme Y... ont droit aux intérêts de la somme de 30 000 F à compter de la date de réception par l'administration de leur demande du 6 décembre 1982 ;
Considérant que la capitalisation des intérêts a été demandée les 27 juin 1984 et 3 mai 1989 ; qu'à chacune de ces deux dates, il était dû au moins une année d'intérêts ; que, dès lors, conformément aux dispositions de l'article 1154 du code civil, il y a lieu de faire droit à ces demandes ;
Article 1er : Le jugement du 26 avril 1984 du tribunal administratif de Rennes est annulé.
Article 2 : L'Etat est condamné à verser une somme de 30 000 F àM. et Mme Y..., en réparation du préjudice subi. Cette somme portera intérêts à compter de la date de réception de leur demande du6 décembre 1982. Les intérêts échus les 27 juin 1984 et 3 mai 1989 seront capitalisés à ces dates pour produire eux-mêmes intérêts.
Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête de M. et Mme Y... est rejeté.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à M. et Mme Y... et au ministre de l'équipement, du logement, des transports etde la mer."